Rappelons que le mécanisme permettant à tout électeur, moyennant la signature d'un papier sur les « valeurs » de la « gauche » comme de la « droite », de voter introduit, en réalité, un biais non démocratique important dans ces « primaires ». L'inexistence de frontières précises déterminant qui peut, et ne peut pas, voter, dilue la prise de responsabilité. La démocratie, il convient toujours de le rappeler, implique une délimitation précise du corps politique. Rappelons, encore, que les multiples manœuvres d'appareil qui seront possibles lors de ces primaires confirment ce biais. C'est la raison pour laquelle un certain nombre de candidats ont décidé de se présenter directement aux suffrages des Français.
Il a aussi raison quand il décrit l'ensemble des mécanismes, de la manipulation des sondages au rôle de l'argent, dont sont constituées ces dites primaires. Et il est clair qu'elles ne font que préparer l'opinion à la possibilité d'une « grande coalition », dont Emmanuel Macron se verrait bien tirer profit, lui dont le profil est assez lisse pour pouvoir tout aussi bien charmer Gattaz que la ménagère du 20 heures. Ici encore, lisons ce qu'écrit Corbière: « La primaire consacre et institutionnalise ce paysage. Elle le fige définitivement. Elle est la méthode de ceux qui se savent minoritaire dans la société et semblent l'accepter, mais cherchent néanmoins par des astuces à gouverner encore » (4). C'était bien ce qu'il fallait dire et il est bon que ceci fut dit. De même il ajoute quelques pages plus loin: « La primaire n'offre que le confort de la tactique politicienne à la place de l'effort de la politique » (5). La formule fait mouche.
Après, Corbière ne fait pas trop remarquer que le PCF, via son lamentable secrétaire Pierre Laurent, accepte de cautionner ce système. Mais à lire les lignes où il s'emporte contre ceux qui laissent le monopole de la rupture avec les traités européens au Front national, comment ne pas comprendre qu'il dresse le réquisitoire contre la politique de Pierre Laurent, de ses insuffisances et ses coups bas.
Disons le: la décrépitude du P « S » est aujourd'hui telle que cela n'a aucun sens.
Bien sûr, ce livre n'est pas parfait. Bien sûr, il est fait aussi pour défendre le choix de Jean-Luc Mélenchon. Quand Alexis Corbière intitule une des sections de son ouvrage « La machine à excommunier » (8), on voit immédiatement à quoi il fait référence. Et, en un sens, il a raison. Oui, il est évident que la mécanique de la primaire a aussi pour but de délégitimer ceux qui, comme Mélenchon, n'ont pas voulu se plier aux diktats des appareils politiques. Mais, son argumentaire eut été plus fort, et sa position plus assurée, si Corbière lui-même ne s'était livré en son temps à ce même exercice de l'excommunication.
Enfin, cette remise en cause du mécanisme de la primaire valide, en réalité, le modèle de la Ve République, du moins dans sa forme gaullienne. Car il est clair que, de révisions en révisions, nous sommes définitivement sortis du cadre de la Ve République aujourd'hui. On attendait sur ce point Corbière et c'est sans surprise qu'il faut constater qu'il se défausse ici. Ce qu'il écrit sur la VIe République (eh, Alexis, on y est déjà en VIe République, il faut faire comme les petits chats, ouvrir les yeux…) n'est que propagande, discours convenu et non analyse.
Mais, cela n'enlève pas le mérite du reste de l'ouvrage. Voici donc un petit livre qui peut servir pour clouer le bec à ceux qui, à « gauche » comme à droite, se gargarisent des « primaires » pour mieux cacher leur ignominie et leurs politiques honteuses.
(1) Corbière A., Le Piège des primaires, Paris, Ed. du Cerf, coll. « Le poing sur la table », août 2016.
(2) P. 12.
(3) P. 12
(4) P. 44
(5) P. 47
(8) P. 50 et ssq.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.