Viols par l’armée française en Centrafrique, les chiffres officiels contestés (VIDEO)

© AP Photo / Jerome DelaySangaris
Sangaris - Sputnik Afrique
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Par nos envoyés spéciaux à Bangui Ksénia Lukyanova et Jean-Baptiste Deucher

Faustin-Archange Touadéra, président centrafricain - Sputnik Afrique
Sangaris: le président centrafricain demande que le droit des victimes soit respecté
Alors que les pays intervenants militairement en République Centrafricaine se sont engagés à sanctionner les soldats qui se seraient rendus coupable de viols sur la population locale, de nouveaux témoignages mettent en doute la volonté réelle des forces oeuvrant au maintien de la paix en Centrafrique à vouloir faire toute la lumière sur cette affaire.

En 2013, un coup d'état en République Centrafricaine mettait fin à de longues années de coexistence pacifique entre les communautés musulmanes (environ 10% de la population) et chrétiennes. Depuis, le groupe rebelle musulman Seleka et son équivalent chrétien Antibalaka, s'affrontent dans une guerre civile ayant déjà fait plusieurs centaines de victimes.

Devant ce risque d'embrasement, la France, ancienne puissance coloniale, déployait dès le mois de décembre 2013 une force d'interposition, la mission Sangaris, constituée de forces militaires françaises agissants sous mandat de l'ONU.

Mais dès décembre 2014, un scandale mettant en cause des soldats français accusés d'abus sexuels sur des enfants, est mis au jour: une dizaine de cas est avérée, et cinq militaires sont interpellés. Malgré l'engagement solennel du président François Hollande pour que justice soit faite, près de deux ans après les faits aucune sanction officielle n'a encore été prononcée.

En poste depuis avril 2016, le Président de la République Centrafricaine Faustin-Archange Touadéra est revenu sur cet affaire dans une interview exclusive accordée à nos envoyés spéciaux:

« La France aurait dû faire en sorte que justice soit faite. Nous demandons que le droit des victimes soit respecté, et nous avons eu des pourparlers à ce sujet avec la France afin que la justice soit rendue. Vous savez que nous suivons de près ce dossier, et nous insistons sur le respect du droit des victimes. Pour les victimes et pour nous l'affaire traîne depuis trop longtemps mais nous espérons que ce dossier va aboutir à la sanction des auteurs. Le peuple attend cela, surtout les victimes.»

A United Nations flag is seen at U.N. Headquarters in New York September 25, 2013 - Sputnik Afrique
Abus sexuels par les casques bleus: trop humains pour être vrais?
A Bangui, certaines ONG vont bien au-delà, et soupçonnent les militaires français d'avoir commis nettement plus d'abus sexuels que la "petite dizaine" officiellement reconnue. Notamment Yamacuir Centrafrique, une ONG locale qui depuis 2003 s'occupe d'enfants et d'adultes ayant subis des cas de violences physiques ou sexuelles. Selon Yvan, son responsable interviewé par notre équipe, entre 2014 et 2015 plus d'une centaine de victimes d'abus sexuels perpétrés par des militaires français se sont adressées à leur centre d'accueil, situé dans le quartier du PK12, au nord de Bangui, la capitale.

Contacté par Sputnik, l'UNICEF se tient quant à lui au chiffre officiel, en évoquant une "dizaine d'enfants qui auraient été violés".

Pourtant, au moins deux victimes, Yacinthe et Barbara, ne font pas partie des chiffres officiels. Elles se sont livrées à Sputnik:

« Quand ça c'est passé, j'avais 13 ans. Maintenant j'ai eu mes 15 ans. C'était en 2014, j'étais vendeuse d'oranges. Je les vendais dans la cour de l'école, à Bégoua, car les Sangaris y avait leur base, et je leur apportait mes oranges pour les leur vendre. Un jour, ils m'ont demandé de leur apporter des oranges dans la salle où était leur base. Quand je suis arrivée là-bas, l'un d'eux m'a attrapée et ils m'ont violée. Je ne connais même pas son nom. Il m'a attrapée de force et je n'ai rien pu faire. Il y a des soeurs qui travaillent aux urgences, je suis allée là-bas et elles m'ont aidée. Je n'ai jamais eu d'excuses ni de compensation. » —Yacinthe

« Les fais ont eu lieu en 2014. J'avais 15 ans, aujourd'hui j'en ai 17. À l'époque j'étais vendeuse, je vendais des corossols [fruits]. Souvent j'en apportais aux militaires, ils aimaient ça. Ils en achetaient, ils achetaient même tout le plateau. Un jour, j'en ai apporté comme j'en avais l'habitude, et ils m'ont dit d'en apporter dans leur char. Donc je leur en ai apporté, et là l'un d'eux m'a attrapée et m'a violée dans le char. C'est moi-même qui ai approché le centre, car après ce qu'ils m'ont fait j'étais tellement furieuse, ça m'a tellement blessée. J'ai cherché une ONG et j'y suis allée. Quand je suis arrivée, c'est Yvan qui m'a aidée, il m'a amenée à l'hôpital où ils m'ont donné des médicaments et des soins au centre d'écoute. Après ce qui s'est passé, personne ne m'a présenté des excuses. » —Barbara

S'il est difficile pour l'instant d'établir avec précision le nombre de victimes des soldats français en Centrafrique, une chose est sûre: le chiffre officiel semble loin d'être exact. Les difficultés rencontrées afin d'obtenir une réponse officielle laissent penser que le président François Hollande, qui avait affirmé que l'affaire était grave et que "la réputation de la France [était] en jeu", ne semble désormais plus pressé de lever le voile sur cette affaire, qui dure depuis près de deux ans maintenant.

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