L'arrêt de la production nationale de ce fusil à la fin du XXe siècle a renforcé la concurrence entre les Allemands et les Belges pour armer les forces françaises.
Le Famas (Fusil Automatique d'Assaut de la Manufacture d'Armes de Saint-Étienne) a été développé au début des années 1970. Il se distinguait par son design original et sa construction inhabituelle. Son architecture reprend le système bullpup — le chargeur, la culasse et le boîtier mécanique se situent derrière la poignée de tir. Le boîtier mécanique dispose d'un sélecteur de tir pour passer du régime de tir en rafale au coup par coup ou en rafale de trois coups. La cadence de tir technique du fusil est de 1 100 coups/min, il est alimenté par des chargeurs de 25 ou de 30 cartouches. Surnommé "le clairon" pour son aspect inédit, près de 400 000 unités de différentes versions sont en service, qui seront progressivement remplacées par de nouvelles armes d'infanterie.
D'après le cahier des charges du commandement français, les nouveaux fusils devront tirer des cartouches de calibre 5,56x45 Otan, être dotés de lance-grenades de 40 mm monté sur le canon ou avoir la possibilité de tirer des grenades à fusil. De plus, la nouvelle arme devra facilement s'intégrer dans l'équipement du "soldat du futur" FELIN (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrés).
Cinq compagnies ont répondu à l'appel d'offres pour l'achat de 100 000 premiers fusils: Heckler & Koch (Allemagne), FN Herstal (Belgique), Beretta (Italie), Swiss Arms (Suisse) et HS Produkt (Croatie). Les finalistes ont été annoncés la semaine dernière: il s'agira du fusil automatique allemand Heckler & Koch HK416 ou du belge FN SCAR. Les autorités françaises pourraient prendre leur décision d'ici un mois.
Question de rentabilité
La décision des Français de remplacer le Famas par un fusil étranger pourrait sembler étrange, étant donné qu'en principe le pays aborde avec prudence ses projets de défense conjoints. Depuis la fin du XIXe siècle en effet, l'armée française était littéralement obsédée par son indépendance envers les structures commerciales et par la préservation de ses secrets militaires: elle ne mettait en service que des armements développés par ses propres compagnies d'État du secteur de la défense — les arsenaux gouvernementaux (sauf à de très rares exceptions). En outre, pendant la première moitié du XXe siècle, le pays disposait déjà de sa propre école de tir de bon niveau qui proposait des projets et des concepts intéressants.
"Cela coûtait très cher d'entretenir une grande production complexe qui n'était pas soutenue par une émission régulière de fabrication en série", explique Maxim Popenker, historien des armes d'infanterie et représentant du consortium Kalachnikov, au sujet de la décision des autorités françaises. Le problème de la rentabilité de la production des armes à feu dans les entreprises militaires n'est pas d'actualité que pour la France. D'après le directeur général adjoint pour la sécurité économique de la compagnie Complexes de haute précision Alexandre Chouliakov, la fabrication de fusils dans les grandes usines russes (Kalachnikov, Molot et l'usine d'armement de Toula) est financée grâce à l'émission de produits militaires plus chers et plus marginaux, et de missiles antichars — exception faite de la production des armes à feu militaires et civiles destinées aux exportations.
Un fusil étrange
De plus, le potentiel d'exportation du Famas était faible car le concept du fusil était très contestable: les experts disent souvent de lui qu'il était "plus original que réussi". A commencer par le fait qu'il s'agit de l'un des rares fusils d'assaut automatiques avec une culasse mécanique non calée à un levier amplificateur d'inertie. Ce système est considéré comme plus sensible à l'encrassement et à la qualité des cartouches par rapport au rechargement par emprunt de gaz. A l'exception du Famas, le seul fusil largement répandu avec une telle culasse était le JK G3 allemand, retiré du service de l'armée allemande en 1997. En choisissant son remplaçant, le commandement allemand avait opté pour un modèle avec un rechargement par emprunt de gaz — le HK G36.
Autre particularité du Famas: sa sensibilité aux munitions. Le fusil français fonctionne correctement avec des cartouches à douille en acier et n'apprécie pas les douilles en laiton, qui sont les munitions de base de l'Otan. C'est pourquoi, même si officiellement l'armée française utilise des cartouches 5,56x51 Otan, elle achète quand même pour ses fusils des cartouches spéciales avec des douilles en acier. Enfin, il faut également souligner la cadence de tir excessive du Famas et son architecture bullpup qui suscite des débats depuis son apparition: d'un côté, elle permet d'avoir une arme compacte aux gabarits d'un pistolet mitrailleur avec un canon de fusil automatique; de l'autre, l'ergonomie des bullpups avec leur crosse longue et non réglable, le déséquilibre vers l'arrière et l'éjection des douilles au niveau du visage du tireur est loin d'être appréciée de tous.
"Les Français ont utilisé ces fusils dans différentes conditions au sein de leurs corps d'expédition. Il ne fait pas de miracles. Lors d'essais indépendants, y compris en URSS, ce modèle n'a rien montré d'extraordinaire", résume Mikhaïl Degtiarev, rédacteur en chef du magazine Kalachnikov. L'utilisation du fusil automatique allemand HK416 par les forces spéciales et le GIGN français depuis plusieurs années rejoint ce constat.
Certes, l'histoire a aussi vu des systèmes peu performants s'écouler facilement sur le marché international: "Les Américains ont bien réussi à répandre leur M-16, qui est loin d'être une réussite, parfois en l'offrant, parfois en le vendant", note Maxim Popenker. Et d'ajouter: "Les Français ne cherchaient visiblement pas à entrer en compétition sur le marché international".
Qui va armer les Français?
Comme en Russie, ce sont les grandes entreprises publiques conçues chargée de la production en série qui s'occupent de la fabrication d'armes en France. De plus, il n'est possible d'investir une grande somme d'argent dans la conception et la sortie d'un nouveau fusil d'assaut que si les perspectives d'en vendre de grandes quantités sont garanties. Ce ne sera certainement pas le cas: une nouvelle production moderne satisferait les besoins de l'armée nationale en un an ou deux, alors que le marché mondial est déjà saturé et compte suffisamment de nouveautés. Plutôt que de produire leur propre fusil, les Français devront donc choisir entre les Allemands et les Belges.
Les deux fusils concurrents, le HK416 et le FN SCAR, sont conçus selon un agencement traditionnel et une construction modulaire, sont dotés de crosses télescopiques et de nombreux rails pour installer des viseurs optiques et collimatés, des lampes-torches, des pointeurs et d'autres accessoires. Les deux prétendants fonctionnent par emprunt de gaz avec un piston à gaz à court recul situé au-dessus du canon. Le système de verrouillage des deux armes est semblable également. Les deux affichent un bon groupe de tir, une haute précision, un faible recul… et sont assez coûteux, c'est pourquoi ils sont essentiellement achetés pour les forces spéciales.
Le fusil allemand pourrait être considéré comme une évolution du concept américain AR-15/M-16. Apparu en 2005 comme une tentative de Heckler & Koch de toucher le marché d'armes militaires et policières aux USA, le HK416 emprunte son design et de nombreuses pièces au M-16. La principale différence a été le remplacement du système américain d'évacuation directe du gaz (les gaz sont dirigés directement dans la boîte de culasse) par le système à emprunt de gaz du G36. De plus, la boîte de culasse a été améliorée avec l'installation d'un fût plus résistant. Le HK416 est en service dans les unités spéciales de plus de 20 pays.
Quant à lui, le FN SCAR belge est une conception originale datant du début des années 2000 commandée par le Commandement des opérations spéciales américaines SOCOM. Ce fusil se distingue par un design futuriste original et une large utilisation du plastique: la partie inférieure de la boîte de culasse est en plastique et la partie supérieure est en aluminium. Des canons interchangeables se fixent à la partie supérieure de la boîte de culasse et peuvent être remplacés en quelques minutes. Le FN SCAR est utilisé par les forces armées de près de 30 pays.