En première ligne, des femmes combattent les terroristes aux côtés des hommes, et un correspondant de RIA Novosti a fait la connaissance de certaines d'entre elles.
L'épouse à la guerre, l'époux — en Allemagne
On dit que le "calife" autoproclamé de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, a dû décréter une fatwa spéciale "autorisant" un islamiste à mourir de la main d'une femme. Avant cela, les terroristes de Daech estimaient qu'en se faisant tuer par une femme ils n'iraient pas au paradis. Les femmes volontaires, aussi bien en Irak qu'en Syrie, combattent très efficacement, et les terroristes ont dû revoir leur propre idéologie pour redonner à leurs "confrères" l'enthousiasme d'antan.
"Il y a deux ans, j'ai vu à la télévision et sur Internet ce que Daech faisait à Sinjar (une ville yézidie capturée par les terroristes). J'ai beaucoup pleuré, j'ai été très touchée. J'ai décidé que ma place était ici — que je devais combattre pour protéger mon peuple", a déclaré Hassiba.
Elle avait même un billet d'avion pour l'Amérique où elle comptait rendre visite à des proches, voire y rester. Elle a décidé de jeter son billet.
Son époux ne partageait pas son enthousiasme. Il a décidé de partir en Allemagne pour suivre la voie de nombreux hommes du Moyen-Orient qui tentent de s'installer en Europe.
Comme de nombreux volontaires, Hassiba Nouzad est arrivée du Kurdistan irakien pour rejoindre les peshmergas kurdes. "Le bataillon Hezi-Agri était le premier à accepter les femmes. C'est pourquoi je suis venue ici", se souvient-elle. Au cours des mois, à mesure que Daech avançait rapidement en s'emparant de nouveaux villages, la résistance kurde recrutait tout le monde.
Hassiba a ensuite commencé à former les nouvelles recrues pour devenir chef d'unité. Actuellement, le bataillon Hezi-Agri tient la ligne de front à 30 km au nord de Mossoul.
"Nous avons encerclé les extrémistes à Telshov. A la radio nous entendions les troupes encerclées appeler des renforts à Mossoul: "Aidez-nous, nous sommes encerclés", se souvient Hassiba. De nombreux terroristes ont été tués et fait prisonniers ce jour-là.
La jeune femme n'en veut pas à son mari. "Bien sûr, ce serait plus facile avec lui, mais c'est son choix. Il m'a dit qu'il ne voulait pas faire la guerre", déclare l'officier Nouzad. "Vais-je revenir auprès de lui? Je ne sais pas. Car j'ignore combien de temps je vais encore me battre. Nous vaincrons d'abord Daech, et puis on verra", rit-elle.
Un SMS envoyé depuis l'enfer
Le massacre perpétré par les islamistes à Sinjar a bouleversé Hassiba Nouzad, l'incitant à partir sur le front. Une autre volontaire, Assima Dahar, a été directement concernée — elle est d'origine yézidie.
Les Yézidis sont adeptes d'une version contemporaine de zoroastrisme, une ancienne religion qui était autrefois commune pour tous les Kurdes, Perses et d'autres Indo-européens. Bien évidemment, ils sont considérés comme des infidèles par les islamistes. Les Yézidis et les Kurdes musulmans ont des relations complexes: ils se considèrent mutuellement comme des ethnies différentes, bien qu'ils parlent la même langue.
Des proches d'Assima Dahar de Sinjar ont également été faits prisonniers. Sa famille vivait dans un village à proximité de Sinjar — centre de la région éponyme.
"Des extrémistes ont tué mon oncle. Ma cousine et mon frère ont été capturés. J'ignore tout de leur sort, je crois que mon frère est forcé d'accomplir des travaux difficiles chez les extrémistes", explique Dahar. Elle reçoit parfois des SMS de numéros inconnus, apparemment de proches prisonniers — en prenant un téléphone à des connaissances ou même à un extrémiste ils écrivent qu'ils sont en vie.
"Le plus terrible est qu'en un instant tous nos voisins sunnites se sont transformés en terroristes et en adeptes de Daech. Nous avons vécu côte à côte pendant des siècles, on se faisait confiance et on s'entraidait. Puis ils sont venus prendre nos biens et nos vies. Ils disaient: désormais nous avons le pouvoir et vous êtes des infidèles. Nous devons adhérer au califat et faire ce qu'ils disent, sinon ils nous tuerons aussi. Ils ont capturé mes proches. Et ce sont des gens que nous connaissions", dit Assima Dahar en pleurant.
Assima, comme beaucoup d'autres Yézidis, a réussi à fuir Sinjar. Puis elle a rejoint la résistance yézidie mobilisée pour la défense — aujourd'hui les Yézidis pensent avoir commis une grave erreur en ne l'ayant pas fait plus tôt.
Cette femme modeste parle d'elle très doucement: "J'espère revoir mes proches en vie. Et aujourd'hui je dois les venger et venger tous les Yézidis. Nous devons prendre les armes et nous défendre, nous battre pour nos familles et pour le Kurdistan pour que cela ne se reproduise plus jamais".
Une arabesque orientale est dessinée sur sa main gauche. C'est un tatouage de Chengal — l'appellation kurde de Sinjar, en mémoire de la petite patrie. A côté — un bracelet rouge avec le nom Daïran. C'est une autre cousine de la jeune femme tuée il y a quelques années par Al-Qaïda.
La guerre, un "remède" contre la jeunesse
Les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d'Abdullah Öcalan ont la réputation d'être les plus braves et audacieux du Moyen-Orient. Le PKK se bat aujourd'hui sur deux fronts. Contre des adversaires aussi importants que Daech et l'armée turque.
Des rumeurs et des légendes circulent à leur sujet, et il est souvent difficile de séparer le vrai du faux. Par exemple, il existe une légende sur un groupe du PKK qui a stoppé en août 2014 l'offensive de Daech contre la fameuse ville yézidie de Sinjar. Les peshmergas kurdes (c'est-à-dire la résistance officielle du Kurdistan irakien) ont fui Sinjar. Mais à un moment donné est apparu un groupe de partisans d'Öcalan (12 hommes, d'après la légende). Ils ont pris les armes aux peshmergas qui reculaient et sont partis affronter les islamistes… Les monts Sinjar, sacrés pour les Yézidis, devenus un refuge pour des dizaines de milliers de réfugiés, n'ont pas été pris.
La vie dans le PKK est si difficile qu'on pourrait penser qu'on y crée spécialement des barrières pour refouler tous les faibles. Les résistants du PKK n'ont pas d'affaires personnelles, hormis leur arme et leurs sous-vêtements. Le PKK interdit l'alcool et les relations amoureuses — les combattants doivent canaliser toute leur énergie sur la guerre et la formation politique.
Pratiquement la moitié des combattants du PKK sont des femmes. En imposant de telles restrictions monastiques, les fondateurs du PKK ont libéré leurs adeptes de la débauche et de la dégradation morale inévitable pour un collectif mixte.
"Toute ma famille fait partie du PKK. Depuis plusieurs générations. C'est pourquoi moi aussi j'ai décidé de rejoindre le parti, personne ne m'a forcée", affirme Diren. "Notre patrie, le Kurdistan, est occupée par la Turquie. Nous devons nous battre pour son indépendance", explique-t-elle. La jeune femme fait partie du PKK depuis trois ans — elle diffusait d'abord des brochures et des livres, puis elle est partie dans un camp d'entraînement.
Diren adopte une attitude philosophique par rapport au fait de devoir combattre contre Daech et non la Turquie, même si en Turquie les Kurdes connaissent une situation particulièrement difficile. Plus exactement une attitude de soldat. "Peu importe où je me bats, en Turquie ou en Irak. Je combats là où le parti m'envoie. Il sait mieux où on a besoin de nous aujourd'hui. Aussi bien ici qu'en Turquie nous nous battons pour l'avenir du Kurdistan et son indépendance, pour la liberté de notre peuple", affirme Diren.
"Moi, j'ai décidé de rejoindre le PKK après les événements à Kobané. A l'époque, tous les Kurdes ont compris le grand danger de Daech et que personne ne nous aiderait dans la guerre contre ce groupe", se souvient son amie Evi. Cette ville kurde au nord de la Syrie étaient assiégée depuis plusieurs mois par Daech, et à l'époque les Kurdes accusaient les autorités turques de ne pas laisser les volontaires kurdes entrer à Kobané depuis le territoire turc. "Nous sommes contre les terroristes de Daech parce que leur principal objectif consiste à asservir les femmes. Et le PKK prône l'égalité hommes-femmes", explique-t-elle.
"Ma famille me soutient. Nous, les Kurdes, pensons qu'un membre de la famille doit forcément se battre. Quand un membre de la famille meurt, on estime que son sang doit être vengé, et que l'arme ne doit pas reposer au sol — quelqu'un doit la relever", dit-elle.
La jeune femme ne craint pas pour sa vie. "Nous, le PKK, avons un objectif. C'est pourquoi nous n'avons pas peur. Si nous mourons, nos frères et sœurs prendront nos armes et la lutte continuera", dit-elle.