Jeudi dernier, Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'ONU, ajoutait la coalition menée par l'Arabie Saoudite au Yémen à la liste noire de pays et organisations qui tuent des enfants dans les conflits. Cette décision faisait suite à un rapport annuel détaillant le sort des enfants victimes de conflits armés en 2015 dans pas moins de quatorze pays.
Coup de théâtre lundi, l'ONU va revoir "conjointement" sa copie avec Riyad, qui dans l'attente de la conclusion de ce rapport revu par les autorités onusiennes et saoudiennes, serait retiré de ladite liste noire.
L'ambassadeur, peu diplomate au-delà du raisonnable, avait d'ailleurs exigé que le rapport "soit rectifié immédiatement", affirmant ensuite que les mentions accusatrices à l'égard de l'Arabie Saoudite étaient retirées de manière "irréversible et sans condition".
De fait, le rapport onusien mis —provisoirement?— sous le boisseau souligne que près de 60% des victimes civiles du conflit, dont près d'un tiers d'enfants, sont causées par la coalition menée par Riyad. Soit 785 enfants tués et 1.168 mineurs blessés au Yémen en 2015. Soit en moyenne six enfants tués ou blessés chaque jour depuis le début du conflit.
L'ambassadeur saoudien s'est contenté de juger ce chiffre "très largement exagéré". Déclarant lundi "Il a pu y avoir des dommages collatéraux de temps à autre (mais) c'est ce qui se passe en temps de guerre".
Retirer l'Arabie Saoudite de cette liste, quelques jours à peine après l'y avoir ajouté: une décision de l'ONU qui a provoqué un certain émoi dans le milieu humanitaire. Olivier Soret, président fondateur d'Humanium, une ONG de parrainage d'enfant engagée à mettre fin aux violations des droits de l'enfant dans le monde, s'indigne:
Une "capitulation" de Ban Ki-Moon pour l'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW), qui s'insurge contre une telle décision de retirer la coalition menée par Riyad de la liste noire, sous la pression de l'Arabie saoudite. Ahmed Benchemsi, Directeur de la communication de l'ONG pour la région Moyen-Orient et Afrique du nord, précise sa position:
Human Right Watch a souligné que l'ONU elle-même avait abondamment documenté les frappes aériennes contre des écoles et des hôpitaux au Yémen. Un rétropédalage qui fait figure de tâche sur le bilan du Secrétaire général de l'ONU.
Mais ce qui pourrait expliquer ce rétropédalage de l'instance internationale, c'est que se tiennent des négociations de paix, au Koweït, des pourparlers sous l'égide de l'ONU, entre le gouvernement yéménite soutenu par la coalition dirigée par Riyad et les rebelles Houthis d'obédience chiite, que le royaume saoudien accuse d'être soutenue par l'Iran. Un conflit qui depuis mars 2015 a déjà fait plus de 6400 victimes, selon les estimations onusiennes.
Victimes qui n'émeuvent donc pas Riyad, qui a menacé de faire échouer les pourparlers de paix si son nom continuait d'apparaître sur la fameuse liste noire des tueurs d'enfants.
L'Arabie saoudite n'en est pourtant pas à son premier crime de guerre ni à sa première violation des conventions internationales au Yémen. En témoigne l'utilisation massive de bombes à sous-munitions, larguées indifféremment sur des cibles militaires et civiles, pour peu qu'elles soient sous contrôle des Houthis. En effet le recours aux armes à sous-munitions est condamné par les conventions internationales, comme le rappelle Olivier Soret:
"La coalition menée par l'Arabie Saoudite a volontairement décidé de violer le droit international humanitaire dans ce cas-là: elle a bombardé des civiles de manière indiscriminée, ce qui n'est pas autorisé, ils ont choisi de détruire des écoles, des hôpitaux, et ils ont aussi précédemment utilisé des bombes à sous-munitions, alors que leurs usage est interdit par le droit international. Ces bombes à sous-munitions qui vont laisser différents fragments explosifs sur le sol, avec lesquels vont souvent jouer les enfants et qui causent d'énormes dégâts: des morts, des blessés. Cela signifie globalement qu'en visant des hôpitaux, des écoles, des lieux publics, ils ont pris pour cible des enfants, des malades, des blessés, du personnel médical, et tout ceci constitue un crime de guerre".
Des armes à sous-munitions vendues aux Saoudiens par des puissances occidentales: États-Unis et Royaume-Uni en tête. En octobre déjà, face aux importantes pertes civiles causées lors des 6 premiers mois du conflit, Amnesty International appelait les États-Unis à cesser leur approvisionnement, eux qui avaient alors déjà vendu pour 8,4 milliards d'armements à la coalition saoudienne.
Les États-Unis ont d'ailleurs fini par obtempérer en suspendant, fin mai, leurs livraisons d'armes à sous-munitions à l'Arabie Saoudite, une décision prise non sans la pression d'élus du Congrès et d'organisations de défenses des droits de l'homme avait révélé le magazine Foreign Policy.
Les Saoudiens qui ne devraient pour autant pas souffrir de pénurie à brève échéance: selon un rapport du Service de Recherche du Congrès américain, le montant des transactions d'armes entre Washington et Riyad s'est élevé, entre 2010 et 2014, à plus de 90 milliards de dollars.
Pour enfoncer le clou et revenir aux enfants victimes de la guerre au Yémen, citons également le rapport de l'UNICEF. En une année de conflit, l'organisation a recensé près de 1560 violations graves à l'encontre d'enfants au Yémen. 900 enfants tués et 1300 blessés. Un rapport qui corrobore la proportion d'un tiers d'enfants parmi les pertes civiles depuis mars 2015.
L'exercice de style va s'apparenter à de la haute voltige puisque le document onusien stipule que les forces progouvernementales recourent aux enfants soldats et qu'ils sont responsables de près de 15% des recrutements d'enfant sur 762 cas recensés par l'ONU, certes loin des 72% attribués aux houthistes, mais nettement plus que les 9% attribués… à Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Une dérive également dénoncée par le directeur d'Humanium:
"Des enfants qui sont recrutés comme enfants soldats, au Yémen, qui participent activement au conflit, c'est l'une des choses les plus horribles qui puisse arriver à un enfant d'être recruté dans un conflit armé, d'être utilisé comme arme de guerre".
La pratique est certes générale dans la région, mais cela n'excuse en rien le pays à la tête du "panel du Conseil des droits de l'homme" de l'ONU de la mettre en œuvre dans ce sanglant conflit.
Quant au rapport de l'ONU sur le sort des enfants victimes de conflits armés, il est déjà la victime collatérale de plusieurs conflits. Outre l'Arabie saoudite qui refuse de se voir citée, le document mentionne par exemple le bombardement de l'hôpital de Kunduz par l'US Air Force, pudiquement renommée "Forces internationales". On pourrait difficilement faire plus poli…
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