Le bouclier de la discorde

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La France et les États-Unis s’opposent sur la mise en service du bouclier antimissile balistiques construit en Roumanie. Paris pense que le système n’est pas prêt, Washington veut le déployer avant le sommet de l’Otan à Varsovie en juillet pour impressionner la Russie.

La défense antimissile sème la discorde au sein de l'Otan. Le système en cours de déploiement dans toute l'Europe de l'Est risque d'être au cœur des discussions entre les 28 pays membres de l'alliance jeudi 19 et vendredi 20 mai à Bruxelles. Un premier site du complexe défensif a été ouvert il y a une semaine à Deveselu, en Roumanie, et un second chantier vient de débuter à Redzikowo, en Pologne.

La Russie a pour sa part dénoncé une violation par les USA (principale force militaire de l'Otan) du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, dont le but était d'éliminer certains missiles, que l'on retrouve dans le système antimissile balistiques en cours de déploiement.

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Toujours est-il que le site de Deveselu (de type C2, donc relevant de l'électronique et non de la force coercitive) est loin d'être opérationnel, bien qu'il doive l'être avant le sommet de l'Otan à Varsovie en juillet, du moins selon le haut commandement américain. L'idéal serait selon Washington de montrer, avant le sommet, l'alliance en état de force face à la Russie et cimentée par ce bouclier antimissiles.

De leur côté, les généraux français ne sont pas convaincus par les capacités opérationnelles initiales du bouclier; par ailleurs, il est toujours sous contrôle américain, et non pas encore sous celui de l'Otan et Paris craint que la mise sous commandement de l'alliance ne soit que de pure forme, Washington conservant la mainmise sur le bouclier antimissiles. Face aux critiques émanant de Bob Bell, haut responsable de la défense de la mission des États-Unis auprès de l'Otan, Paris dément vouloir jouer le jeu de l'opposition russe au bouclier et base son hésitation sur les résultats d'exercices du mois d'avril impliquant ce système.

Ce fameux bouclier antimissile vaut-il tant de bruit? MM. Dominique Trinquand, Général de brigade et consultant, et Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'IRIS, nous répondent.

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Jean-Vincent Brisset: "J'ai un doute très fort sur les capacités de ce système parce que les capacités d'interceptions ne sont pas suffisantes pour contrer une attaque russe et peu pertinentes contre une attaque terroriste. On a l'impression que c'est quelque chose qui relève du lobby industriel qui réussit à se faire payer des choses très chères avec l'aide de quelques militaires et de beaucoup de politiques.

La justification c'est effectivement contre une attaque terroriste à base de missiles, une attaque par un pays qui n'a pas les moyens d'envoyer beaucoup de missiles à la fois; c'est ce que ce système est capable de faire, et pas grand-chose d'autre."

S'agit-il de vraiment du bouclier de la discorde et l'Otan montre-t-elle finalement qu'elle est une vraie alliance?

Jean-Vincent Brisset: "Dire que le bouclier sème la discorde entre les membres de l'Otan, c'est aller beaucoup plus loin que ce qui est dans la réalité. Il y a des discussions, des frictions, comme il y en a toujours eu au sein de l'Otan; la France est particulièrement en pointe depuis toujours sur ce sujet; on ne va pas au clash, loin de là; par ailleurs, la Russie est désignée comme une menace par certains pays de l'Otan pour un certain nombre de choses, mais à ma connaissance pas par l'Otan sur les capacités de missiles."

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Dominique Trinquand: "C'est toujours l'ambiguïté qu'il y a dans l'alliance atlantique, entre la position des pays européens et celle des Américains (qui est la grande puissance et qui a des moyens absolument démesurés) et l'inquiétude de la France sur ce sujet est bien légitime: si l'Otan n'est pas capable de contrôler ce système, ce sont les Américains qui le contrôleront. Or, il faut rappeler que l'Otan est une alliance à 28, et que chacun a sa voix dedans, même s'il n'a pas le même poids, et que ce n'est pas aux Américains de décider unilatéralement de la mise en place du système."

Au même moment, le représentant de la Russie auprès de l'Otan Alexandre Grouchko a déclaré que la Russie était ouverte à un dialogue constructif avec l'Otan. Des propos repris par Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Otan, pour qui le dialogue fait partie des pratiques de l'alliance. Peut-on encore parler de dialogue?

Dominique Trinquand: "M. Stoltenberg a raison: le dialogue fait partie de la construction, il y a un dialogue interne; le commandement intégré est précédé d'une alliance politique. Aujourd'hui l'alliance reconfigure parce que les opérations en Afghanistan sont terminées et donc la tendance pourrait être de s'orienter vers l'Est, un vieux démon qu'on croyait disparu depuis 1990; il ne faut pas y revenir.

Le bouclier n'est pas dirigé contre la Russie, et il ne faut pas qu'il apparaisse comme étant dirigé contre la Russie. Ce sera un sujet de discussion à Varsovie. Et non pas une décision avant Varsovie.

La position de l'Otan n'est certainement pas que la Russie est sa principale menace. En revanche il y a eu des déclarations qui ont été dans ce sens-là, en particulier du Supreme Allied Commander Europe (SACEUR), juste avant son départ (ndlr: le général Breedlove, entre mai 2013 et mai 2016); je rappelle que le SACEUR est un général américain, et qu'il y a une campagne électorale aux USA."

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Il n'y a pas que le SACEUR à voir la Russie comme l'ennemi à abattre: Ashton Carter, secrétaire d'État à la Défense, l'avait lui-même stipulé voici encore peu.
Toujours est-il que, discorde ou pas, le système de missiles antibalistiques est critiquable: en effet, s'il est conçu pour intercepter des missiles de portée intermédiaire, officiellement venant de pays comme l'Iran ou le Pakistan, pourquoi est-il déployé en Roumanie et en Pologne, des pays fort éloignés des soi-disant menaces?

Si le système de défense est officiellement conçu pour parer à des menaces venant de pays comme l'Iran, comment expliquer un exercice commun regroupant 5 différents pays membres, se déroulant en Bulgarie, et déployant notamment des blindés, et des troupes de type "marines"? Ce type de manœuvre est mis en place pour contrer une projection terrestre voisine, et non pas une projection aérienne continentale. Ajoutons à cela la demande expresse des pays baltes pour disposer de contingents supplémentaires pour "contenir la menace russe".

Le Moyen-Orient et le danger nucléaire iranien semblent bien lointains.

Si ce système ne peut pas être complètement utilisable avant 2023, il aura déjà réussi à semer le doute sur les intentions mutuelles entre les pays de l'alliance et ceux hors de l'alliance, à défaut de mettre d'accord les membres de l'alliance entre eux. Il ne reste que deux mois pour que les Français et les Américains y parviennent.

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