Une nouvelle brigade blindée américaine sera déployée en Europe de l'Est; 4500 soldats assureront des rotations de 9 mois tandis que leur matériel lourd restera en permanence en Europe. C'est ce qu'a affirmé le Général Joseph Dunford dans une interview auprès du magazine Foreign Policy.
M. Dunford s'était déjà distingué en déclarant en juillet dernier que la Russie était la plus grande menace à la sécurité américaine.
Si ces déploiements s'inscrivent le cadre de la coopération avec les nouveaux pays membres de l'OTAN, ils semblent relever surtout des peurs héritées de la Guerre froide. Est-ce la seule motivation de cette réaffectation des troupes américaines en Europe?
Messieurs Gilbert Roger (Membre titulaire de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN), Roland Hureaux (Essayiste français, ancien haut fonctionnaire), Alexandre Vautravers (analyste en conflits et résolution des conflits du Geneva Centre for Security Policy) confrontent leurs points de vue sur ces grandes manœuvres.
Gilbert Roger: "Elle (la réaffectation, ndlr) correspond tout à fait aux engagements américains au sein de l'OTAN. Les Français par exemple viennent d'envoyer les Mirages 2000 principalement en Pologne et dans les états baltes, pour la surveillance aérienne; donc c'est conforme à ce que nous appelons la réassurance; à côté il y a le conflit non résolu en Ukraine"
Alexandre Vautravers:"Je ne pense pas qu'il y ait de lien avec la Guerre froide. Je pense qu'il faut relativiser ces chiffres, car ils montrent que le nombre de troupes américaines en Europe est le plus bas depuis 60 ans. Il ne faut pas faire de lien directement avec la mobilisation russe de l'autre côté de la frontière ukrainienne. La présence américaine s'explique en grande partie par une demande sécurité de la part des états d'Europe de l'Est."
Pour autant, l'Europe n'est plus autant qu'avant le centre des préoccupations américaines. Ce redéploiement de troupe a lieu alors que Washington redistribue ses cartes en Asie pour contrer l'influence chinoise:
Gilbert Roger : "Les USA voient de plus en plus du côté de l'Asie: le développement des coopérations avec le Japon, la Corée du Sud, et même le Viêt Nam —, mais en même temps, on sait que l'Europe a toujours eu des relations particulières avec les Américains et on sait aussi que nos frontières à l'Est et au sud doivent être protégées. "
Faut-il voir dans ces gestes forts un poids de plus en plus important de l'état-major américain dans la politique extérieure américaine?
Alexandre Vautravers: "Depuis une vingtaine d'années, les États-Unis ont développé une doctrine de smart power: après avoir confié l'essentiel des décisions aux diplomates, il y a aujourd'hui une volonté de coordonner les efforts diplomatiques avec la présence militaire."
Roland Hureaux: "On ne sait pas vraiment qui commande à Washington, mais il y a tout un complexe qui comprend certes les dirigeants de la défense, mais aussi la CIA, des lobbies industriels et bancaires, de nombreux think tanks (financés soit par les industries d'armement, soit par les banques) qui diffusent des idées et des discours qui vont le même sens, et alimentent quelque chose qu'on peut assimiler à une paranoïa dans les cercles influents de Washington. Ces cercles sont particulièrement inquiets de voir l'ascension de Donald Trump, qui jusqu'ici échappe complètement à cette idéologie."
Le moins que l'on puisse dire est que l'Europe fournit un contexte complaisant à ces démonstrations de force américaines. Elle ne se prive en effet pas de pointer du doigt le supposé danger russe, comme le montre une proposition de résolution de la commission d'affaires étrangères du parlement européen, qui porte sur la propagande russe et l'effet déstabilisant que celle-ci amènerait dans l'Union.
Roland Hureaux : "Le Parlement européen, comme la plupart des dirigeants en Europe, n'ont plus de véritable indépendance, inféodés au pouvoir de Washington. Du temps du communisme, il y avait eu une stratégie très puissante d'influence en Europe occidentale, mais cette stratégie d'influence est aujourd'hui très faible, si on la compare avec celle menée par les États-Unis."
Le principal reproche qui est fait à la Russie serait-il finalement de ne pas être aligné sur les positions de Washington et sa vision unipolaire du monde, Moscou défendant ses intérêts dans une perspective multipolaire des relations internationales?
Roland Hureaux : "Le prochain épisode de ce clash se produira dans les élections présidentielles américaines entre M. Trump et Mme Clinton. Hilary Clinton, qui a approuvé toutes les décisions politiques étrangères depuis 20 ans […] elle a joué un rôle de faucon et a toujours pris le parti de l'idéologie universaliste et d'une intervention armée. Or, il est clair que M. Trump a prononcé récemment un discours de politique étrangère, dans lequel il récuse ces orientations."
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