Jusqu'à récemment, ce sujet était tabou, mais Associated Press a réussi à parler avec l'ancien procureur de la ville d’Ulsan, Kim Yong Won, qui avait lancé un procès contre le propriétaire du plus grand camp de concentration pour sans-abri, ainsi qu'avec d'anciens prisonniers et divers fonctionnaires coréens. Sur la base de leurs récits, ainsi que des documents exclusifs, l'agence a publié un article révélant l'ampleur de l'opération effrayante.
S. Korea covered up mass abuse, killings of 'vagrants' https://t.co/Orv1Izkmo1 via @ap > @Seoul1988 @2018PyeongChang @Olympics @HRW
— LA 2024 News (@LA2024News) 24 avril 2016
En 1975, le président sud-coréen Park Chung-hee (père de la présidente actuelle Park Geun-hye) avait émis une directive selon laquelle il fallait libérer les rues de Séoul des sans-abri. Cette consigne a marqué le début de la mise en place de 36 camps où, en 1986, plus de 16.000 Coréens étaient détenus.
Des ivrognes, des vendeurs ambulants, des personnes handicapées, des enfants perdus où tout simplement sans surveillance d'un adulte, ont été arrêtés par la police sans explication et ont été amenés dans des institutions spéciales. Les policiers ont également été motivés financièrement, ils pouvaient obtenir une augmentation s’ils attrapaient beaucoup de sans-abri.
La plus grande et la plus horrible de ces "institutions" était Brothers Home (Maison des Frères), dans la ville de Busan, où plus de 4.000 prisonniers étaient détenus. Ce chiffre est expliqué, par ailleurs, par le fait que la Maison des Frères recevait des subventions de l’état, dont le niveau était déterminé par le nombre de prisonniers.
Dans cette Maison, qui était un vrai camp de concentration, les prisonniers étaient employés comme de la main d’œuvre gratuite pour fabriquer des produits destinés à être exportés vers l'Europe, le Japon et probablement d'autres pays.
Après quelques temps, la Maison des Frères s’est transformée de refuge à une machine de production énorme, comprenant plus de 20 usines, dont 11 étaient rentables, fabriquant des vêtements et des chaussures, des articles en bois et en métal. Si des marchandises étaient défectueuses ou été restituées par le client, les gardiens pouvaient violemment battre les détenus.
Le patron de la Maison, Park In-keun, a reçu deux médailles pour ses réalisations dans le domaine de la sécurité sociale et il a même inspiré un téléfilm qui a été diffusé en Corée du Sud en 1985.
Les conditions de détention étaient inhumaines: les prisonniers étaient battus tous les jours, certains mourraient immédiatement, d’autres sont morts plus tard en raison de graves blessures, les enfants étaient constamment violés, les gens étaient malades, ils recevaient des traitements de l'hôpital seulement alors qu’ils étaient presque morts.
Les statistiques officielles montrent que pour la période 1975-1986, 513 personnes ont été tuées dans la Maison des Frères, en réalité, le nombre de morts est plus élevé. Ils étaient enterrés au hasard partout. Après que ce camp de concentration a été fermé en 1988, des ouvriers du bâtiment ont trouvé plusieurs centaines de restes humains dans les locaux. Les anciens prisonniers se souviennent que les travailleurs du camp trainaient les corps dans la forêt voisine.
Après avoir visité la Maison des Frères en 1987, le procureur Kim Yong Wang avait lancé une enquête et avait demandé au tribunal 15 ans d'emprisonnement pour Park In-keun. En 1989, ce dernier n’a été condamné qu’à 2,5 ans de détention pour détournement de fonds et d’autres infractions moins graves, les atrocités qui se passaient dans les murs de la Maison n’ont pas été mentionnées. Devant le tribunal, il a nié sa culpabilité en déclarant qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres "du sommet".
Au cours de l'enquête, M. Wang s'est heurté constamment à une forte opposition de la part de hauts fonctionnaires qui craignaient un scandale à la veille des Jeux olympiques. Certains travaillent toujours pour le parti au pouvoir.
Contrairement aux demandes de M. Wang et d’ex-prisonniers, le gouvernement sud-coréen actuel a refusé de réexaminer le cas de la Maison des Frères et indique que les victimes devaient déposer leurs plaintes devant la commission d'enquête temporaire qui opérait dans les années 2000. Aucun des employés de la Maison des Frères n’a été puni pour les violences commises, seulement deux gardes ont été condamnés à 18 et huit mois de prison.