Le chantage des saoudiens contre la loi US réprimant les soutiens au terrorisme

© AFP 2024 Ahmed FarwanSaudi Minister of Foreign Affairs Adel al-Jubeir gestures as he speaks during a press conference held at Saudi Foreign Ministry press hall, on January 3, 2016 in Riyadh.
Saudi Minister of Foreign Affairs Adel al-Jubeir gestures as he speaks during a press conference held at Saudi Foreign Ministry press hall, on January 3, 2016 in Riyadh. - Sputnik Afrique
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L'Arabie Saoudite menace de liquider 750 milliards d'euros d'avoirs américains pour peser contre le vote d'un loi au Congrès. Celle-ci permettrait aux citoyens américains de poursuivre tout État convaincu de liens avec le terrorisme, notamment dans le cas des attentats du 11 septembre.

Une menace qui résonne comme un aveu de culpabilité et qui révèle les liens complexes entre le royaume et son puissant allié. Décryptage.

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L'affaire fait la une des medias: l'Arabie Saoudite menace de vendre ses avoirs américains (près de 750 milliards de dollars, soit 660 milliards d'euros), si une proposition de loi faite par un comité bipartisan passe au Congrès. C'est ce qu'a fait valoir le chef de la diplomatie saoudienne Adel al-Jubeir lors d'une visite outre-Atlantique. Cette proposition (ou "bill") permettrait aux États-Unis et à ses citoyens de poursuivre en justice tout État, dont les liens avec des attentats terroristes seraient prouvés. Elle est soutenue au Congrès par Chuck Schumer (Démocrate) et John Cornyn (Républicain), qui l'avaient élaborée au sein du comité judiciaire, sous le titre de "Justice Against Sponsors of Terrorism Act" (Justice à l'encontre des soutiens du terrorisme).

​Une telle loi est-elle applicable à l'échelle internationale? Maître Elyas Azmi nous explique en quoi une loi nationale peut difficilement s'appliquer à l'échelle internationale.

"La loi est applicable à partir du moment où il y a des moyens de coercition à l'encontre de celui qui ne l'applique pas. (…) A l'échelle internationale, il y a des principes que l'on ne trouve pas à l'échelle nationale. Au sens du droit international, et du droit entre les États, tout dépend des accords qu'ils entretiennent: existe-t-il des dispositions de la sort? A l'heure actuelle, rien ne permet à un État d'appliquer la loi sur un autre."

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Inversement, cette loi pourrait servir de base juridique et morale afin de faire valoir certaines décisions politiques prises à l'encontre de pays tiers.

"Autrement que par le biais du droit, il peut y avoir des pressions d'ordre économique, qui pourraient se transformer en sanctions juridiques: suspension d'accords déjà existants, ou ceux avec des États tiers. Appliquer une loi est impossible à moins que l'ONU intervienne et vote une résolution, mais j'y crois peu."

Cette "bill" fait écho à une décision judiciaire d'une cour du district de New York à l'encontre de l'Iran; le verdict avait été une somme de 10 milliards USD (8, 7 milliards d'euros) que devrait verser Téhéran aux associations des familles des victimes des attentats du 11 septembre et aux compagnies d'assurances. Cette décision ne peut être appliquée compte tenu du fait que l'Iran est un pays souverain et que les réclamations sont d'ordre civil. Si la proposition de loi devait être acceptée, la décision de la cour de New York pourrait être appliquée à l'Iran. Le coupable idéal a été trouvé.

11 septembre 2011 - Sputnik Afrique
Attentats du 11 septembre: l’Arabie saoudite lance un ultimatum à Washington
Mais si l'Iran semble être dans le collimateur, comment expliquer la menace de veto brandie par l'administration Obama (notamment du Pentagone et de la diplomatie américaine) à l'encontre du congrès? Le locataire de la Maison-Blanche ne prend-il pas le risque de diviser son propre camp, à moins d'un an de l'élection présidentielle? Une telle loi serait-elle envisageable en France?

Messieurs Djordje Kuzmanovic, Secrétaire national du Parti de Gauche en charge des questions internationales et de défense, et Emmanuel Dupuy, professeur de géopolitique et directeur de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe, nous répondent.

Djordje Kuzmanovic: "Ce type de loi serait envisageable en France; les USA ont refusé de signer la plupart des traités internationaux permettant de poursuivre leurs soldats pour crime de guerre. (…) Bernie Sanders et Hillary Clinton se sont dits pour cette loi; M. Obama, qui est aux affaires, sait ce que cette loi impliquerait pour les relations géopolitiques américano-saoudiennes, si jamais elle était mise en place."

Emmanuel Dupuy: "C'est une proposition de loi qui a été votée au Congrès par une majorité assez hétéroclite. Obama a brandi la menace d'opposer un veto, non pas par rapport au contenu de la loi, mais sur le fait que des citoyens américains puissent s'en prendre à des États, perturbant ainsi le jeu international. Ce n'est donc pas seulement la cible saoudienne qui est en cause."

Par ailleurs, l'attitude du royaume saoudien ressemble à un aveu de culpabilité: pourquoi l voudrait-il retirer ses avoirs s'il n'a aucun lien avec les attentats du 11 Septembre? à quel jeu joue Riyad?

Djordje Kuzmanovic: "C'est une grave erreur de leur part, et un aveu de culpabilité. Le débat aux USA porte largement sur l'Arabie Saoudite, et celle-ci le sait bien. En particulier le prince Bandar, le grand homme de l'ombre des affaires étrangères et de sécurité du royaume, grand ami de la famille Bush et ambassadeur saoudien aux USA jusqu'en 2005. Cette loi a peu de chance d'aboutir, car les deux pays ont une relation fusionnelle."

Emmanuel Dupuy: "Les Saoudiens ont menacé de retirer 750 milliards USD [660 milliards d'euros, ndlr] de bons du trésor, et pourrait revenir aussi sur l'accord récent sur le gel de la production pétrolière, permettant de juguler la chute vertigineuse du prix du brut, en tout cas pour stabiliser les prix à 35-40 USD. Il ne faut pas oublier qu'il y a 2 ans était sorti un rapport dans lequel 28 pages avaient été censurées sur la potentielle responsabilité des saoudiens dans les attaques du 11 Septembre."

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Les États-Unis ont entretenu des rapports privilégiés avec les monarchies pétrolières depuis des décennies. Protection militaire et soutien politico-diplomatique en échange d'un accès préférentiel et de contrats avantageux dans le domaine des sources fossiles d'énergies. Une sorte de protectorat masqué par des accords commerciaux.

Mais les rapports entre les deux pays sont désormais marqués par une méfiance mutuelle, voire des tensions, surtout que des membres de la famille royale saoudienne ont été pointés du doigt par le terroriste français Zacarias Moussaoui comme soutiens d'Al Qeda depuis les années 80.

La situation de dominé/dominant ne s'est-elle pas retournée contre les États-Unis? Le pays protecteur ne se retrouve-t-il pas en position de dépendance à l'égard de son protégé?

Emmanuel Dupuy: "Je ne crois pas qu'ils soient en si grande dépendance que cela: la production pétrolière est de plus en plus diversifiée; la baisse du prix du pétrole permet de montrer à quel point la coopération est devenue essentielle; cela remet en cause la suprématie de la production saoudienne; quelques 4 millions de barils, que pourrait produire l'Iran, permettraient aux USA de s'émanciper de ce qui a été une longue amitié scellée par le pacte de Quincy en 1946."

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Djordje Kuzmanovic: "C'est une dépendance qui va dans les deux sens. Les Saoudiens font effet de levier sur la politique pétrolière américaine et le cours du pétrole est dû à la politique saoudienne. Cette politique nuit aux finances du royaume saoudien, car le pays est largement en déficit. D'autre part, les USA sont dérangés par les groupes terroristes financés ou inspirés par le wahhabisme saoudien, mais s'en sont toujours servi pour déstabiliser des régions, de l‘Afghanistan à la Syrie."

La décision de M. Obama n'a donc rien d'étonnant, et met en cause l'indépendance de sa politique. Cette loi a peu de chances d'être acceptée pour l'heure. Obama sera présent demain au sommet de coopération des pays du Golfe, et préférerait ne pas voir ses citoyens s'interposer dans les enjeux géopolitiques que les États-Unis ne maîtrisent plus.

C'est ce qu'on appelle avoir un effet de levier.

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