Le village de Shaddadi, repris par les forces gouvernementales syriennes, était encore il y a peu aux mains de l'organisation terroriste. Les membres de DAECH ont abandonné derrière eux une importante quantité de documents et de supports informatiques.
Le sceau de Daech a été apposé sur chacun de ces documents.
La plupart des résidents du village travaillaient pour l'industrie pétrolière de Daech, à défaut d'autres activités rémunératrices, et vendaient le pétrole raffiné (donc séparé du gaz et du pétrole brut) à des intermédiaires de Raqqa, d'Alep et de Turquie. Le marché juteux permettait aussi d'acheminer des vivres et des armes à l'organisation terroriste.
Des membres des forces de défense kurdes (YPG) ont par ailleurs mis la main sur de nombreux passeports turcs, ouzbeks, kazakhs et russes. La plupart des passeports pris aux combattants de Daech portent des tampons des douanes turques. Preuve s'il en est de la porosité de la frontière syro-turque.
Hormis les membres de Daech qui ont pu être capturés, la plupart des terroristes ont abandonné leurs armes et leurs vêtements, se sont rasés et se sont enfuis habillés en civil, se mêlant à la population.
"En ce qui me concerne ce n'est pas une surprise, parce qu'il y avait déjà eu beaucoup d‘images vidéo, notamment montrant soit des transferts de terroristes, soit des transferts de camions-citerne entre les zones tenues par Daech et la Turquie. Ces documents semblent confirmer la véracité des images et montrent que M. Erdogan est un pompier pyromane: il accuse la Belgique de ne pas avoir retenu des terroristes, mais lui-même les aide, et sans doute continue à les aider aujourd'hui pour faire la guerre aux Kurdes syriens."
Une opinion que partage Djordje Kuzmanovic, Secrétaire national du Parti de Gauche en charge des questions internationales et de défense:
"J'ai eu cette information à Diyarbakır, où j'étais avec une délégation française dans le cadre du nouvel an kurde, auquel nous avons été invités par le HDP (Parti Démocrate) et on nous a informé que le YPG en Syrie était tombé sur des documents très concrets et qui une nouvelle fois prouvent ce que nous supposons tous depuis longtemps: la Turquie d'Erdogan a maintenant un lien plus que douteux avec Daech, et qu'elle favorise son financement. Ça ne nous étonne pas, mais à cela il doit y avoir une conséquence politique: en France, ceux qui sont à la tête de l'État doivent remettre en cause les alliances qui sont les nôtres, puisque Daech frappe Paris, Bruxelles; des attaques contre nous; les alliés de nos ennemis devraient être nos ennemis."
Les Kurdes sont les ennemis à la fois de l'État islamique et d'Ankara. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Mais jusqu'à quel point? Il ne faut pas oublier les attentats commis par cette organisation sur le sol turc (pour rappel l'attentat à Istanbul du 12 Janvier). Or, ce trafic prend des allures de marché à grande échelle. Quelles sociétés turques seraient intéressées de commercer avec une organisation terroriste qui a commis des attentats en Turquie?
Gérard Bapt: "Les attentats sont récents, mais c'est sans doute depuis des mois et des mois que ce commerce s'est développé; on dit que certains proches d'Erdogan seraient actifs dans un certain nombre de sociétés de négoces pétroliers."
Djordje Kuzmanovic: "C'est très compliqué. C'est plutôt le problème d'Erdogan, qui lui-même s'est enfermé dans une situation dont il n'arrive pas à priori à sortir. Les succès économiques n'étaient pas au rendez-vous; son désir de transformer la constitution n'a pas abouti; le HDP a fait plus de 10% lors des deux élections précédentes, bloquant son désir de transformation constitutionnelle. Résultat: après les attentats de Suruç commis par Daech, Erdogan a relancé une offensive contre les Kurdes, que ce soit sur le territoire turc, mais aussi en Syrie (en bombardant les positions de l'YPG). C'est donc une fuite en avant pour Erdogan, dans laquelle il s'est enfermé, malgré les attentats menés par Daech en Turquie."
Gérard Bapt: "La communauté internationale ne devrait pas céder, en ce qui concerne notamment l'Union Européenne, au chantage d'Erdogan, qui profite de la crise des migrants qu'il a lui-même aidé à se déclencher en favorisant le départ de réfugiés dans les pires conditions vers la Grèce. Les migrants sont une arme pour Erdogan, dans le but d'obtenir de l'argent et des visas libres pour les ressortissants turcs vers l'Union Européenne et il ne cesse de faire des provocations pour engager des négociations d'entrée dans l'Union Européenne, alors qu'à l'évidence l'évolution de son régime est totalement contraire, contradictoire avec les valeurs européennes."
Si des factures en tant que telles semblent anodines, c'est l'ensemble du commerce entre un état comme la Turquie et une organisation terroriste qui apparaît au grand jour. Ces preuves s'ajoutent aux images de camions passant la frontière depuis la Syrie et l'Irak, et aux soupçons concernant le fils du président turc, Bilal Erdogan.
L'économie est le nerf de la guerre. La Turquie l'a bien montré, au détriment de son propre peuple, sacrifié par des attentats et une répression policière chaque jour grandissante.
Un commerce de la honte et une trahison à l'égard de son propre pays. Le moustachu de l'AKP tiendrait-il tant à avoir sa place d'honneur à la Cour de La Haye?
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