"Enfants de nazis" paru aux Editions Grasset, est son premier livre et elle nous raconte le point de départ de cet ouvrage: "Ça m'est venu au détour d'un documentaire que j'ai vu et qui concernait Mathias Göring, le petit neveu de Göring, lequel s'est converti au judaïsme. Ça m'a interpellée et je me suis posée la question: qu'est-il advenu des enfants? Il y a une distance substantielle entre le petit-neveu qui n'a jamais vu son oncle, qui est né bien après sa mort, et leurs propres enfants qui ont vécu dans leur intimité au quotidien, la première génération.
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— eugene germain (@chaika314) 15 марта 2016 г.
Cette différence substantielle génère chez eux une attitude bien différente. Les membres éloignés de la famille ont plus de facilité à endosser leur responsabilité que leurs propres enfants qui l'ont vécu plus durement: pendant la guerre, leurs parents étaient les héros et après la guerre ils sont devenus les bourreaux. Non seulement ils ont découvert les atrocités des nazis après la guerre, mais ils ont découvert également le fait que leurs propres parents y avaient participé ».
L'auteur a volontairement choisi huit portraits liés à des figures emblématiques du IIIe Reich, pour se concentrer sur eux et essayer d'appréhender les différents chemins de vie qu'ils ont pris et comment ils ont survécu après la guerre en s'appelant Himmler, Göring, Hess, Frank, Bormann, Höss, Speer et Mengele, quelles différentes voies ils ont emprunté pour vivre avec cela en assumant leurs noms. Ils ont tous conservé leurs noms, à l'exception de Mengele, qui a changé le sien sur le tard.
"La relation qu'ils avaient avec leurs parents, — nous précise l'essayiste, — indépendamment du fait qu'ils étaient proches ou éloignés, qu'ils avaient des parents affectueux ou distants, était différente et ils n'ont pas eu la même réaction après la guerre par rapport à eux. Certains, dont les parents étaient affectueux et dévoués à leur égard, sont restés dans l'adoration. C'est le cas de la fille d'Himmler ou de celle de Göring. D'autres, au contraire, comme le fils de Hans Frank, le +boucher de Pologne+, est passé dans la détestation de son père et a écrit trois livres sur lui, des livres de haine où son père est présenté comme un monstre; il dit qu'il l'a toujours su, même durant son enfance. Il a passé sa vie à parler de son père, il est devenu son plus grand biographe, alors qu'il le hait au plus haut point ».
Ce livre est un panel d'attitudes diverses par rapport aux parents, qui va de l'adoration à la détestation en passant par des voies médianes. Mais il n'y a aucune neutralité. Les enfants ne peuvent pas se soustraire au nom de leur père, cela les suit toute leur vie, comme une chape, comme un fardeau.
À force de se pencher sur les destins humains, on risque de commencer à aimer ses héros. Ne devient-on pas alors l'"avocat du diable"?
"Absolument pas! — s'insurge Tania Crasnianski, — J'ai une formation d'avocat pénaliste, ça m'a permis de prendre du recul par rapport à ça. J'ai toujours été très intéressée par les gens qui sont mis à l'écart de la société. Je pense que cela me permet de ne pas juger, de rester dans le factuel historique, sans pour autant prendre leur parti, ni adhérer à quelque thèse que ce soit, sans justifier quoi que ce soit. Ce sont des théories dépassées. Aujourd'hui, analyser cette période de l'histoire, ce n'est pas la justifier ou y adhérer."
Une certaine partie des leaders et fonctionnaires nazis se sont réfugiés un peu partout dans le monde. Certains ont joué un rôle dans la renaissance de cellules néo-nazies en Europe. Pour certains, ils ont contribué à maintenir une mouvance sous-jacente, qui malheureusement existe encore. Les enfants dont parle l'auteur dans son livre ont tous vécu en Allemagne. Aucun n'est parti à l'étranger, ils sont restés dans leur pays.
Tania Crasnianski à des origines multiples: allemande, française et russe. Elle sait à quel point on identifie l'Allemagne au nazisme. Ce qui l'intéresse, c'est le poids du passé sur nos vies.
« Ces défilés sont annuels. Ce qui est malheureux c'est qu'il semble que le nombre de personnes qui y participent soit en augmentation, — déplore Tania Crasnianski, — S'ils existaient avec un nombre extrêmement restreint, anecdotique, cela aurait pu être acceptable. Mais on a le sentiment à l'heure actuelle, avec ce qui se passe en Europe, que l'on assiste à un succès grandissant de ces défilés, avec un plus grand nombre de participants.
En ce sens, c'est un malheureux retour à l'histoire. Revenir vénérer cet épisode de l'histoire 75 ans après, c'est extrêmement triste ».
« Aujourd'hui, lorsqu'on assiste à ces mouvements, on voit que ceux qui y participent n'ont aucune idée de l'histoire, — croit Tania Crasnianski, — Qu'ils adhèrent d'une façon simpliste à des mouvements dont ils ne comprennent ni les tenants ni les aboutissants."
Une question logique se pose: cette attitude "simpliste" vient-elle de l'enseignement de l'histoire à l'école et de la qualité d'enseignement de l'histoire? "Je ne peux pas juger, parce que chaque pays a son enseignement. J'estime qu'il est important que les enfants d'aujourd'hui continuent à étudier cette période de l'histoire pour qu'elle ne se reproduise jamais.
En répondant a la question de savoir sur quel thème elle comptait désormais travailler, Tania Crasnianski soulève un pan du mystère: "Ce sera sur les hommes d'influence, les relations entre les éminents hommes politiques du XXe siècle et leurs médecins. Je retombe évidemment sur Hitler et son médecin Morel. Et là, de nouveau, je suis devant la problématique des sources françaises que j'ai consultées pour mon précédent livre."
Tania Crasnianski ne porte pas de jugement sur les vies de petites et de grandes personnes face à la grandeur de l'Histoire qui dépasse le simple destin. Elle ne fait pas non plus de plaidoirie pour ces criminels volontaires ou involontaires, obstinés ou repentis, elle brasse une série de portraits, une mosaïque de destins… qui dessinent une fresque de la grande Histoire.
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