Ce montant, qui n'a pas été confirmé par Bercy, « secret fiscal » oblige, ni commenté par l'entreprise de Mountain View, s'affiche déjà bien plus conséquent que le versement de 130 millions de livres — consenti après négociation — au trésor de sa Majesté, ou que les 227 millions d'euros réclamés par l'Agenzia delle Entrate, l'agence italienne des impôts. Un montant loin de la première estimation avancée par l'agence de presse début Février — entre un demi et un milliard d'euros.
Cependant ils sont nombreux à s'être dressés pour plaider la clémence ou, devrait-on dire, le pragmatisme quant au montant à réclamer à Google: rien n'oblige le groupe à verser une telle somme, l'optimisation fiscale n'étant pas une pratique illégale en soi. Certains recours existent, comme nous l'explique Maître Thierry Vallat, avocat au bureau de Paris spécialisé en droit pénal des affaires. Le versement au fisc britannique, par exemple, concernait un contentieux sur les exercices fiscaux, de ces 10 dernières années…
Pour Bertrand Chokrane, Consultant en Stratégie économique et financière, si la méthode des autorités françaises et européennes est bonne, témoignant d'un réveil quant aux pratiques des géants américains du web, cette prise de conscience s'est produite, selon lui, trop tardivement:
Si aujourd'hui les dirigeants de ces grands groupes internationaux rencontrent ministres et commissaires européens, des rencontres au cours desquelles ils peuvent aborder la question de leurs dus fiscaux, ce n'est pas simplement du simple fait de leur taille, mais également en raison de la nature du secteur où ils évoluent, comme nous l'explique Paul Zurkinden, Secrétaire National du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) chargé de la mondialisation et du TAFTA et vice-président de l'association Critique de la Raison Européenne:
Même constat pour Bertrand Chokrane, auquel vient s'ajouter comme facteur aggravant la configuration actuelle de l'Europe, qui par ses divisions, n'est pas en mesure de faire face aux pratiques d'acteurs globaux…
« L'ère du numérique finalement suit l'ère de la Finance, c'est exactement comme lorsqu'on parle des banques et des instituts financiers, comme Goldman Sachs, J.P. Morgan, Citigroup: ce sont des banques globales, qui ne font de cadeau ni aux USA ni aux autres états, ce sont des sociétés qui sont devenues aussi puissantes que des états, voire plus puissantes, et pour le coup on n'a absolument pas les moyens de contrecarrer ces sociétés, sauf en les interdisant: comme la Chine l'a fait, comme la Russie pourrait le faire, parce qu'elles sont en elles-mêmes des plaques continentales, auto-suffisantes. L'Europe n'est pas une plaque continentale, vous voyez les anglais sont prêts à en sortir, il y a des désaccords en permanence, pas de fiscalité commune… Donc vous facilitez le travail de Google car vous n'avez pas d'interlocuteur commun: à chaque fois qu'un pays tente de taxer Google, il entame des contre procédures, ça se finit par des amendes bien inférieures à l'image de l'amende italienne ou anglaise ».
« C'est une forme de riposte qu'on essaie de trouver face à l'extra-territorialité du droit américain qui s'applique notamment du fait de la puissance du dollar, mais aussi du fait du dispositif législatif qui a été mis en place depuis de nombreuses années. Dès lors qu'une entreprise, par exemple française veut investir aux Etats-Unis, il y a là des autorisations qui sont demandées etc. donc il y'a un vrai processus protectionniste qui existe aux Etats-Unis et que l'on ne retrouve pas au niveau de l'Union Européenne et donc il faudrait effectivement réfléchir. Les mesures prises par la Commission ne sont pas tellement des mesures de sanctions économiques ou d'extra-territorialité, mais simplement des mesures de bon sens face à une distorsion fiscale — et donc de concurrence — qui me semble évidente ».
Mais pour combien de temps encore, cette marge de manœuvre des autorités françaises pourra-t-elle continuer à exister? Comme nous le rappelle Bertrand Chokrane, ces entreprises que l'on sanctionne aujourd'hui ont atteint une telle taille, qu'elles peuvent se déroger à de nombreuses contraintes nationales, et l'actualité ne manque pas d'illustrations:
«Ce qu'il faut comprendre c'est que ces sociétés ne sont pas américaines, elles sont globales; voyez à quel point Apple est capable de résister au FBI pour ne pas donner les secrets détenus dans un téléphone portable qui pourraient mener à la conclusion d'une enquête. Donc dans leurs propres états, que sont les Etats-Unis, elles sont capables de contrecarrer la loi ».
« Je vois essentiellement deux problématiques au TAFTA, notamment sur l'évolution de la puissance des GAFA en Europe: d'une part cela renforcera la distorsion de concurrence puisque qu'il y aura une distorsion de marché facilitée et dans un second temps cela pourrait également nuire au niveau des tribunaux d'arbitrage étant donné que chaque législation qui prendrait des mesures qui pourraient contrevenir au Traité transatlantique, pourrait être sanctionnée dans des tribunaux d'arbitrage privés par les acteurs de l'économie numérique ».
En d'autres termes, l'administration fiscale française, et donc l'état Français lui-même, pourrait être poursuivi par des compagnies privées, devant un tribunal privé, qui siégerait aux Etats-Unis — où sont les sièges de ces compagnies — pour le simple fait d'avoir mis en péril leurs bénéfices en tentant de recouvrir ce qu'elle estime être ses impayés fiscaux.
L'antenne française de Google, qui emploie 700 personnes en France a déclaré pour l'exercice 2012 un chiffre d'affaire de 193 millions d'euros pour un résultat net de 8,3 millions d'euros et réglait une note d'imposition — au titre de l'Impôt sur les Sociétés — de 6,5 millions d'euros… Parallèlement l'agence VRDCI estimait, après une étude d'un an et en se basant sur le coût moyen des publicités facturées par la plateforme du groupe, à 1,4 milliard d'euros le montant de des recettes publicitaires de Google en France, soient 2,6 millions d'euros générés par jour…
Alors qu'en France un salarié moyen doit travailler jusqu'au 28 Juillet afin de s'exonérer de tous ses dus fiscaux, date dite de la « libéralisation fiscale » — un fait qui laisse songeur quant à la situation également rencontrée par les entreprises nationales — dans le cadre d'entreprises comme Google cette date semble donc quelque peu plus « avancée ».
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