Bercy peut-il faire payer Google?

© AFP 2024 Jana AsenbrennerovaA photo of the Google Campus in Mountain View, California, on November 10, 2015.
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On apprenait mercredi 24 février que Google doit 1,6 milliard d’euros à Bercy. L'administration fiscale française a annoncé qu'elle n'avait pas l'intention de négocier avec le géant américain du Web, une position qui tranche avec celle des autres pays européens. Paris a-t-elle les moyens de ses ambitions?

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Paris réclame 1,6 milliard d'arriérés d'impôts à Google
Le couperet est tombé: d'après une source proche du Ministère français des Finances rapportée par l'AFP, Google devra s'acquitter de la somme rondelette d'1 milliard 600 millions d'euros.
Ce montant, qui n'a pas été confirmé par Bercy, « secret fiscal » oblige, ni commenté par l'entreprise de Mountain View, s'affiche déjà bien plus conséquent que le versement de 130 millions de livres — consenti après négociation — au trésor de sa Majesté, ou que les 227 millions d'euros réclamés par l'Agenzia delle Entrate, l'agence italienne des impôts. Un montant loin de la première estimation avancée par l'agence de presse début Février — entre un demi et un milliard d'euros.

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Michel Sapin exclut de négocier un accord fiscal avec Google
Il faut dire que les reproches ne datent pas d'hier, depuis 2011 les autorités françaises s'intéressent de près aux pratiques d'optimisation fiscale qui permettent à l'entreprise américaine de sabrer dans son assiette d'imposition, des pratiques auxquelles se sont ajoutées les suspicions d'évasion fiscale: la filiale française du groupe arrondissant plus que généreusement les revenus déclarés de ses activités, notamment publicitaires.

Cependant ils sont nombreux à s'être dressés pour plaider la clémence ou, devrait-on dire, le pragmatisme quant au montant à réclamer à Google: rien n'oblige le groupe à verser une telle somme, l'optimisation fiscale n'étant pas une pratique illégale en soi. Certains recours existent, comme nous l'explique Maître Thierry Vallat, avocat au bureau de Paris spécialisé en droit pénal des affaires. Le versement au fisc britannique, par exemple, concernait un contentieux sur les exercices fiscaux, de ces 10 dernières années…

« On sait que l'administration fiscale française, par la voix de Michel Sapin, s'était déjà prononcée il y'a quelques jours, disant qu'il n'y aurait aucune négociation ni aucune transaction, On sait très bien comment ça se passe néanmoins dans ce type de redressement: il y aura fatalement — in fine — des négociations de manière à ne pas alourdir la note avec notamment des majorations et des pénalités et je pense que l'on devrait avoir un montant bien inférieur que celui-là après négociations, mais cela va encore demander de nombreux mois, puisqu'on en est aux prémices de la procédure, je crois qu'il y a eu une notification de mise en redressement qui date de fin 2014, les procédures sont relativement longues et devraient être négociées jusqu'en haut lieu, puisque je crois que le PDG était en France pour voir Emmanuel Macron, donc j'imagine qu'ils ont évoqué la question ».

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Le ministre, la multinationale et le sandwich hollandais
Le PDG de Google, Sundar Pichai a, en effet, rencontré Mercredi le Ministre français de l'Economie, Emmanuel Macron, une visite parisienne que le PDG du groupe a mise à profit pour rendre visite aux étudiants de Sciences-Po Paris, auxquels il a donné une conférence, et où la question de la fiscalité du groupe s'était invitée. Le dirigeant de Google s'est ensuite envolé pour Bruxelles, où il devait s'entretenir avec Margrethe Vestager, la Commissaire Européenne à la Concurrence. Si la Commission Européenne se penche également sur les pratiques d'optimisation fiscales des grands groupes américains de l'high-tech, elle a entrepris une enquête sur les activités de Google, qu'elle soupçonne d'abus de positions dominantes.

Pour Bertrand Chokrane, Consultant en Stratégie économique et financière, si la méthode des autorités françaises et européennes est bonne, témoignant d'un réveil quant aux pratiques des géants américains du web, cette prise de conscience s'est produite, selon lui, trop tardivement:

« La somme en soit n'est pas démesurée, mais j'ai envie de dire que c'est trop tard, il fallait y penser avant: aujourd'hui Google est un acteur global qui contrôle pratiquement 90% du marché des moteurs de recherches […] c'est très difficile de lutter contre ces sociétés-là, d'autant plus en Europe, où il n'y a pas de fiscalité harmonisée. Des sociétés globales, qui peuvent fermer du jour au lendemain; si elles décident qu'il n'y aura plus de Google en France et c'est aux internautes français que cela posera le plus de problèmes, il fallait prévoir, réfléchir, à ce qu'un Google pouvait devenir en s'installant. Il y a la question de l'abus de position dominante, qui rejoint celle que l'on reprochait à Microsoft, quand il n'y a plus de concurrent, il n'y a plus de concurrent… on a laissé faire ».

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Google perd une manche face à la justice russe

Si aujourd'hui les dirigeants de ces grands groupes internationaux rencontrent ministres et commissaires européens, des rencontres au cours desquelles ils peuvent aborder la question de leurs dus fiscaux, ce n'est pas simplement du simple fait de leur taille, mais également en raison de la nature du secteur où ils évoluent, comme nous l'explique Paul Zurkinden, Secrétaire National du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) chargé de la mondialisation et du TAFTA et vice-président de l'association Critique de la Raison Européenne:

« Nous sommes face à des entreprises du numérique particulièrement puissantes, qui tentent de fait de leur pouvoir économique d'imposer des rabais de fiscalité. Pourquoi ces entreprises-là peuvent se permettre de demander ce genre de choses? C'est notamment parce que l'économie du numérique présente différentes spécificités face aux autres entreprises, notamment multinationales: la non-localisation des activités qu'elles entreprennent, le rôle centrale des plateformes, l'importance des effets de réseaux et l'exploitation des données, les distinguent assez largement de l'économie traditionnelle. C'est du fait de ces spécificités, essentiellement la non localisation des activités, qui font que les grandes entreprises du numériques parviennent à faire de l'optimisation fiscale, qui conduit à une distorsion de concurrence avec les autres acteurs qui pénalise notamment les entreprises européennes du numérique qui ne parviennent donc pas à se développer à la même vitesse ».

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Pour notre expert, ces pratiques anti-concurrentielles, provenant d'acteurs globaux, constituent une double peine pour leurs concurrents européens, à l'envergure plus modeste, telles que les PME et les Start-up, qui n'ont pas les moyens aussi bien techniques que financiers pour recourir à ces pratiques, à ces services d'optimisation fiscale.

Même constat pour Bertrand Chokrane, auquel vient s'ajouter comme facteur aggravant la configuration actuelle de l'Europe, qui par ses divisions, n'est pas en mesure de faire face aux pratiques d'acteurs globaux…

« L'ère du numérique finalement suit l'ère de la Finance, c'est exactement comme lorsqu'on parle des banques et des instituts financiers, comme Goldman Sachs, J.P. Morgan, Citigroup: ce sont des banques globales, qui ne font de cadeau ni aux USA ni aux autres états, ce sont des sociétés qui sont devenues aussi puissantes que des états, voire plus puissantes, et pour le coup on n'a absolument pas les moyens de contrecarrer ces sociétés, sauf en les interdisant: comme la Chine l'a fait, comme la Russie pourrait le faire, parce qu'elles sont en elles-mêmes des plaques continentales, auto-suffisantes. L'Europe n'est pas une plaque continentale, vous voyez les anglais sont prêts à en sortir, il y a des désaccords en permanence, pas de fiscalité commune… Donc vous facilitez le travail de Google car vous n'avez pas d'interlocuteur commun: à chaque fois qu'un pays tente de taxer Google, il entame des contre procédures, ça se finit par des amendes bien inférieures à l'image de l'amende italienne ou anglaise ».

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Facebook : la charité VS les impôts
Quant à Paul Zurkinden, celui-ci semble approuver — dans une certaine mesure — l'idée que l'annonce d'une telle amende record à l'encontre d'un groupe américain pourrait s'apparenter à une réponse des autorités françaises à leurs homologues outre-Atlantique, qui ont eu la main lourde dans leurs sanctions prises ces dernières années à l'encontre des intérêts européens et plus particulièrement français, et ce pour des raisons aussi diverses que variées:

« C'est une forme de riposte qu'on essaie de trouver face à l'extra-territorialité du droit américain qui s'applique notamment du fait de la puissance du dollar, mais aussi du fait du dispositif législatif qui a été mis en place depuis de nombreuses années. Dès lors qu'une entreprise, par exemple française veut investir aux Etats-Unis, il y a là des autorisations qui sont demandées etc. donc il y'a un vrai processus protectionniste qui existe aux Etats-Unis et que l'on ne retrouve pas au niveau de l'Union Européenne et donc il faudrait effectivement réfléchir. Les mesures prises par la Commission ne sont pas tellement des mesures de sanctions économiques ou d'extra-territorialité, mais simplement des mesures de bon sens face à une distorsion fiscale — et donc de concurrence — qui me semble évidente ».

Mais pour combien de temps encore, cette marge de manœuvre des autorités françaises pourra-t-elle continuer à exister? Comme nous le rappelle Bertrand Chokrane, ces entreprises que l'on sanctionne aujourd'hui ont atteint une telle taille, qu'elles peuvent se déroger à de nombreuses contraintes nationales, et l'actualité ne manque pas d'illustrations:

«Ce qu'il faut comprendre c'est que ces sociétés ne sont pas américaines, elles sont globales; voyez à quel point Apple est capable de résister au FBI pour ne pas donner les secrets détenus dans un téléphone portable qui pourraient mener à la conclusion d'une enquête. Donc dans leurs propres états, que sont les Etats-Unis, elles sont capables de contrecarrer la loi ».

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D'autant plus que pour Paul Zurkinden, les états qui mettent en œuvre des mesures de rétorsions à l'égard des entreprises globales qui ne respectent pas leurs lois, pourraient se retrouver eux-mêmes devant la Justice, celle des tribunaux d'arbitrage privés, prévus par le Traité de libre-échange Transatlantique — ce traité qui doit veiller à la fluidification des échanges entre les deux rives de l'Atlantique par la mise à terre des barrières réglementaires — ce traité en gestation depuis plusieurs années et à propos duquel le grand publique ne sait pour ainsi dire presque rien:

« Je vois essentiellement deux problématiques au TAFTA, notamment sur l'évolution de la puissance des GAFA en Europe: d'une part cela renforcera la distorsion de concurrence puisque qu'il y aura une distorsion de marché facilitée et dans un second temps cela pourrait également nuire au niveau des tribunaux d'arbitrage étant donné que chaque législation qui prendrait des mesures qui pourraient contrevenir au Traité transatlantique, pourrait être sanctionnée dans des tribunaux d'arbitrage privés par les acteurs de l'économie numérique ».

En d'autres termes, l'administration fiscale française, et donc l'état Français lui-même, pourrait être poursuivi par des compagnies privées, devant un tribunal privé, qui siégerait aux Etats-Unis — où sont les sièges de ces compagnies — pour le simple fait d'avoir mis en péril leurs bénéfices en tentant de recouvrir ce qu'elle estime être ses impayés fiscaux.

L'antenne française de Google, qui emploie 700 personnes en France a déclaré pour l'exercice 2012 un chiffre d'affaire de 193 millions d'euros pour un résultat net de 8,3 millions d'euros et réglait une note d'imposition — au titre de l'Impôt sur les Sociétés — de 6,5 millions d'euros… Parallèlement l'agence VRDCI estimait, après une étude d'un an et en se basant sur le coût moyen des publicités facturées par la plateforme du groupe, à 1,4 milliard d'euros le montant de des recettes publicitaires de Google en France, soient 2,6 millions d'euros générés par jour…

Alors qu'en France un salarié moyen doit travailler jusqu'au 28 Juillet afin de s'exonérer de tous ses dus fiscaux, date dite de la « libéralisation fiscale » — un fait qui laisse songeur quant à la situation également rencontrée par les entreprises nationales — dans le cadre d'entreprises comme Google cette date semble donc quelque peu plus « avancée ».

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