A peine sa victoire savourée, le 19 octobre, le leader libéral a donné le ton et imprimé son style: ses gardes du corps en retrait, il était descendu dans le métro de sa circonscription montréalaise afin de remercier tout un chacun de l'avoir porté au pouvoir.
Selfies en rafales et mots chaleureux, l'image était parfaite, celle d'un nouveau Premier ministre jovial et accessible, aux antipodes de l'austère conservateur Stephen Harper, battu après une décennie au pouvoir.
"La marque Trudeau, c'est celle de la proximité", résume Thierry Giasson, spécialiste de communication politique à l'université Laval de Québec. "Ses campagnes de selfies, c'est l'incarnation parfaite de cette démarche."
De son investiture à Ottawa, ouverte au public, aux grandes rencontres internationales comme la COP21 ou Davos, en passant par une émission télévisée où dix Canadiens, tour à tour, ont défilé dans l'intimité de son bureau, M. Trudeau ne cesse d'entretenir cette image de rock-star toujours bienveillante. Le sourire omniprésent, il semble néanmoins parfois manquer de compassion dans les moments tragiques.
"Trudeau essaie de mettre ses compétences à profit: il a étudié la dramaturgie, c'est un interprète." Cela lui permet d'être "très bon pour vendre son message à la population, à la différence de Harper", observe Nelson Wiseman, politologue à l'Université de Toronto, rapporte l`AFP.
Passé en trois ans de simple député d'arrière banc à chef du parti libéral et finalement chef de gouvernement, il a toutefois une maigre expérience politique à 44 ans.
Ce qui, selon M. Giasson, explique l'accent mis sur sa famille pendant la campagne et en début de mandat. Une photo glamour dans Vogue, début décembre, où il enlace son épouse Sophie Grégoire drapée dans une robe de haute couture, a marqué l'apogée de cette "Trudeaumania".
"Il y a un attrait pour le personnage, pour l'image du jeune père de famille, avec une jolie conjointe, de beaux enfants, et tout le monde en bonne santé. C'est une image que les Canadiens veulent voir", analyse M. Giasson.
Comme la jeune génération qui l'a plébiscité, il décline son histoire personnelle sur les réseaux sociaux, en publiant par exemple une photo sur Facebook où il est déguisé façon Star Wars à l'occasion d'Halloween.
Totalement en phase avec son époque, il a constitué un gouvernement respectant la parité ainsi que la diversité ethnique du Canada "parce qu'on est en 2015!" avait-il justifié dans une phrase devenue immédiatement virale sur les réseaux sociaux.
"Celui qui a investi le plus dans l'image, c'est celui qui va en bénéficier le plus longtemps possible… Et là Trudeau a mis le paquet", observe-t-il.
Dans l'immédiat, alors que l'économie canadienne tourne au ralenti, les enchaînements de selfies de M. Trudeau nourrissent à plein régime les critiques de l'opposition conservatrice.
L'ex-parti au pouvoir a ainsi accusé M. Trudeau de "parader sans but" à Davos, où il a notamment posé au côté de stars comme Bono ou Kevin Spacey.
"Le Premier ministre devrait peut-être arrêter de se servir de son téléphone pour faire des selfies", l'a exhorté la cheffe des conservateurs, Rona Ambrose, lui conseillant de plutôt l'utiliser pour résoudre les problèmes énergétiques du pays.
"Le risque est de continuer à jouer la mise en scène familiale pour tenter de masquer le manque de gouvernance, souligne M. Giasson. Et là, l'opinion publique risque de se retourner."