Une femme passionnante, au regard d'une force et d'une douceur remarquables. Dans cette deuxième partie de l'interview Nasrin Abdallah raconte à Sputnik le quotidien du bataillon, se souvient du plus beau jour et de plus terrible, et explique que Daech ce n'est pas la pire chose dans ce monde d'hommes.
Sputnik: Les négociations à Genève ont été reportées. Est-ce que les kurdes seront présents?
Sputnik: Est-ce que les frappes de la coalition internationale vous ont aidé à combattre Daech?
NA : Bien-sûr quand en 2015 les bombardements aériens de la coalition ont commencé, bien —sûr ça nous a apporté de l'aide, ça nous a permis de combattre encore plus efficacement Daech, mais, nous le disons, et tous ceux qui font partie de la coalition le disent aussi, le combat contre Daech — c'est le combat au sol. Car Daech se cache au sein de la population civile et se sert d'un bouclier humain. Donc c'est une force qu'il faut combattre au sol. Nous avons une force nécessaire pour les combattre au sol, il n'y a même pas besoin que les autres viennent. Il faut simplement que nous ayons tous les armes appropriées. Et d'autre part je tiens encore à souligner que tant qu'une solution ne sera pas trouvée ou que le système démocratique des kurdes ne sera pas accepté — la paix ne sera jamais instaurée en Syrie et au Moyen Orient. Ce sont deux points qui sont parallèles. Sans la résolution de la question kurde la paix ne viendra pas ni en Syrie ni au Moyen Orient. Car ceux qui soutiennent Daech, et qui ne veulent pas que Daech soit éliminé, ce sont les forces qui ne veulent pas que la question kurde soit résolue. C'est aussi sous la pression de ces mêmes pays qu'aujourd'hui nous ne faisons pas partie de la troisième conférence à Genève.
NA: Non ce n'est pas tout à fait ça. Ils nous disent tous que nous sommes la meilleure force qui combat sur place, que nous avons fait reculer Daech, ils fonts des éloges sans cesse, mais dès qu'il s'agit de nous donner des armes, ils nous disent vous n'êtes pas une force légitime. Et comme je l'ai déjà dit, il nous faut de l'aide, des armements, et comme je l'ai dit nous n'avons pas besoin des hommes en plus au sol, nous sommes suffisamment nombreux pour combattre au sol, ce dont nous avons besoins ce sont des armes. Et nous nous battons et nous nous défendons non pas seulement pour l'avenir des kurdes mais l'avenir de tous les peuples de toutes les confessions, de tous ceux qui habitent au Moyen Orient, et aussi l'avenir de ceux qui aujourd'hui nous regardent combattre. L'avenir de l'humanité.
Sputnik : Pouvez-vous décrire le quotidien de vos combattantes?
NA : Bien-sûr quand il y a des affrontements ça nécessite de passer 24h sur 24h sur le front, au combat. Mais quand il n'y a pas de combats à mener, au sein du bataillon il existe une division des taches. Il y a par exemple des horaires pour recevoir des formations, ou pour regarder la télévision, les informations, il y a des horaires pour que la personne puisse répondre à ces besoins personnels, pour qu'elles fassent des recherches sur la stratégie de la guerre, sur le problème populaire, sur la culture etc. Donc c'est très structuré. Il y a des régiments qui ont un horaire fixe de formation, tandis que les autres vont s'occuper de la surveillance ou aller faire des courses. Mais il y a aussi une formation académique. Nous avons aussi un système académique. Ce sont des cours pour se former idéologiquement, mais aussi pour se spécialiser dans un domaine, ça peut être dans le domaine de la stratégie de guerre, ça peut être dans le domaine des recherches médicales. Nous ne passons pas nos vies qu'à combattre. La pour installer un système pour vivre dans l'égalité au sein de la population il faut être des femmes qui décident. Donc il faut qu'on soit idéologiquement aptes et formés, que nous soyons des experts. Et il faut du temps pour une formation, pour une ça va prendre trois mois, une autre 6 mois, encore une autre un an. Mais tout cela est pour que le système démocratique que nous avons instauré puisse perdurer et devenir permanant
NA : Parmi nous dans l'armée des femmes, il n'y a pas de mamans, car c'est biologiquement le contraire de ce qu'on fait tous les jours. Nous ne pouvons pas avoir une famille d'un côté et de l'autre mener une lutte armée. Il y a des femmes mariées, mais pas des mamans. Elles ont complètement choisi la guerre. Sinon ça ne pourrait pas avancer.
Sputnik : Depuis le moment que le bataillon existe, quel est votre plus beau souvenir?
NA : La première chose que je n'oublierai jamais, c'est le jour quand on a formé le premier groupe des femmes combattantes et qu'il fallait qu'on aille directement sur le terrain pour combattre. Et surtout je ne pourrai jamais oublier le jour de la création de notre bataillon.
NA : A Kobané c'était très dur, très intense, nous avons perdu plus de 1000 de nos camarades et bien-sûr c'est une souffrance indescriptible, mais le jour quand nous avons pu reprendre Kobané et nous avons dressé le drapeau de YPG et de YPJ, ce n'est pas que la souffrance est patrie mais on s'est dit: « ce n'a pas été en vain ». Ça nous a un petit peu consolé? Car évidement il est impossible d'oublier ceux et celles qui sont tombés chacun a son tour. C'est chaque fois une histoire, une vie, une famille, un destin enfin…
Sputnik : Qu'est que vous voudriez dire à nos auditrices et nos lectrices?
NA : Je voudrais dire aux femmes, qu'il faut qu'elles sachent nous ne défendons pas que nous, ou du moins c'est ce que nous croyons, nous défendons aussi leur avenir. Il y a une force YPJ et nous avons comme mission défendre l'avenir de l'humanité, l'avenir des femmes. C'est notre responsabilité. Et si aujourd'hui le bataillon des femmes est vu comme et respecté par le monde entier, nous trouvons cela très important, c'est un juste retour de respect des femmes, de la valeur des femmes. Il faut que la femme vois sa responsabilité pour changer le système, car jusqu'à maintenant le système a été instauré avec les mains des hommes, avec l'armée des hommes, et aujourd'hui vous voyez cette participation active des femmes au niveau militaire, au niveau idéologique. Il faut que les femmes puissent donner leurs couleur, leurs sens, leur sensibilité à ce système, c'est ce que nous faisons, et toutes les femmes doivent concevoir la vie comme ça, si elles ne rentrent pas dans cette choses activement, elles ne peuvent pas laisser leur empreinte.
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