45% des combattants kurdes sont des femmes qui se battent fermement du côté des hommes depuis 2011, et dont le nombre ne fait qu'augmenter. Pendant sa courte visite à Paris j'ai pu rencontrer Nasrin Abdallah, la commandante en chef des unités de protection des femmes. Une femme passionnante, au regard d'une force et d'une douceur remarquables. Elle raconte à Sputnik comment la lutte contre Daech se déroule quotidiennement, mais surtout la lutte à mener pour la place de la femme dans ce monde. Sa lutte.
La première partie de l'interview exclusive de Nasrin Abdallah, accordée à Sputnik:
Nasrin Abdallah: J'ai été journaliste indépendante, au sein de la population, mais j'avais une formation pour cette profession.
Sputnik: Pourquoi avez-vous décidé de joindre le YPG?
NA: C'est un peu une tradition chez les kurdes. Il y a eu 28 révoltes par le passé. Et chaque fois les femmes ont pris leurs places, et chaque fois c'était soit pour combattre l'ennemie, soit tout simplement pour se défendre. Et quand il y avait besoin de nous, à la limite il ne fallait pas se préparer puisque on était déjà prêtes à se défendre et à défendre notre peuple. Et c'est comme ça que j'ai rejoint les forces de défense populaire.
Sputnik: Plus de 45% de l'Unité de protection du peuple sont des femmes, et il parait que le chiffre va augmenter. Pourquoi?
Notre problème ce n'est pas seulement la lutte contre Daech, nous avons formé notre bataillon de défense avant les attaques de Daech, car nous vivons dans une société féodale où il y a tous les jours des attaques contre les droits des femmes, des répressions, des viols… donc nous avions besoin d'être organisées, de nous former, justement pour lutter contre cette mentalité féodale. D'abord c'était une formation de défense et après l'arrivée de Daech, nous avons pris notre place dans la lutte. Mais ce n'était pas seulement pour lutter contre Daech, nous vivons dans une société où nos droits ne sont pas acquis et notre lutte passe par ici également.
Sputnik: Pouvez-vous nous raconter comment le bataillon a été formé?
NA: Quand la révolution a commencé en 2011 dans l'armée de défense il y avait déjà des femmes, pas un nombre aussi important que maintenant, mais ces femmes prenaient déjà leurs places dans cette lutte. Au sein de groupes assez restreins, les femmes avaient leurs forces, et elles ont activement luttaient dans cette armée mixte jusqu'en 2013. Le 4 avril 2013 il y a eu la conférence des forces féminines et à ce moment-là la formation du bataillon a été proclamée. On peut dire que le YPJ, force de défense des femmes, est une force pratiquement autonome au sein du YPG qui est la force de défense populaire. Bien-sûr il y a des liens organisationnels avec le YPG, mais le YPJ a sa propre direction et un système d'autogestion, on prend nos propres décisions, on fait nos plans d'attaques mais il y a également des choses qui sont faites ensemble avec le YPG.
Sputnik: Comment choisissez-vous vos combattantes? N'importe quelle femme qui veut faire partie du bataillon peut le faire?
NA: La personne qui veut rejoindre les forces de YPJ trouve toujours les moyens. Il y a beaucoup de personnes qui viennent de l'Occident, mais aussi des femmes d'autres coins du Moyen Orient, d'autres ethnicités que kurdes. Et même les femmes qui sont tombés martyres dans la lutte, sont de toute origine, par exemple Ivana, qui était allemande. Il y a pas mal d'étrangères qui luttent à nos côté.
Sputnik: Est-ce que c'est vrai que les combattants de Daech ont peur d'être tués par une femme?
Je pense qu'elles cherchent une aventure…mais il faut aussi se dire que dans le système actuel, elles ont des biens, elles se considèrent libres etc mais s'il n'y a pas d'aspect morale et idéologique comme chez Daech, tout cela ne rassasie pas, ils ont toujours faim. Donc je pense qu'elles rejoignent Daech pour l'aventure tout simplement ou se prouver quelque choses. Aussi une fois qu'elles rejoignent Daech, c'est un point de non-retour, car il y a la peur. Imaginez une femme qui est obligée d'assouvir le besoin de dix hommes en une nuit? Même un animal ne pourrait pas faire ça, même juste le corps ne le supporterait pas. Aucune femme ne peut être présentée comme une machine à chaire. Mais ces femmes sont là et même si elles veulent repartir elles ne peuvent pas. Car le prix du départ est la mort.
Sputnik: Comment peut-on prévenir les femmes de ce danger?
NA: C'est important de dire aux femmes qui rejoignent Daech; qu'elles perdent leur identité de femme avant tout. Elles deviennent les meurtriers des femmes elles-mêmes. Il ne faut pas oublier que Daech a tué des milliers de femmes. Daech veut instaurer un système d'esclavage sexuel des femmes. Comment une femme peut tolérer cette idée? Etre avec Daech, avec les meurtriers des femmes, c'est se suicider en tant que femme.
Sputnik: D'après vous, de quoi les combattants de Daech ont-ils peur?
NA: Il faut bien souligner: Daech c'est une armée de morts, de morts-vivants. Parce qu'ils n'ont pas de projets pour la vie, pour donner un peu de sens, un peu de couleur, un peu de gaité. Tout ce qu'ils projettent c'est de mourir et d'aller au paradis. Une armée de morts.
Sputnik: comment éliminer ceux qui ont pour but la mort et en les tuant c'était comme si vous leur aviez donné ce qu'ils voulaient le plus?
NA: Ceux qui se font tuer ce sont des pions, les gens qui se font manipuler. Et il y a ceux qui les poussent sur le terrain. Et ce sont ces personnes-là qu'il faut atteindre et toucher. Il y a des forces derrière Daech. Si on veut éliminer Daech il faut s'orienter vers les dirigeants.