Histoire de l’adoption au Québec : les enfants du marché noir

© Photo Capture d'écran: Youtube Les orphelins de Duplessis
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Au Québec, sous les mandats de Maurice Duplessis, de nombreux enfants confiés à l’adoption ont été à tort diagnostiqués « arriéré mental » et internés en institution psychiatrique. Il existe un autre versant de cette période dite de la « Grande Noirceur» : un trafic d’enfants établi entre Montréal et New-York.

Dans les années 1940 et 1950 au Québec, à l'heure où les crèches saturent et alors que la morale catholique domine encore les mœurs, un trafic de nourrisson va naitre, entre le désespoir de certaines familles et l'appât du gain pour d'autres. Monique Fournier a étudié cette période peu connue de l'histoire de l'adoption au Québec, dans le cadre de la série et du documentaire: « Le Berceau des Anges », une des rares créations audiovisuelles à traiter de ce sujet encore confidentiel:

Tout trafic arrive parce qu'il y a une offre et une demande, qui n'arrive pas à être comblé par le marché légal, si vous voulez. Le clergé catholique était très sévère à l'égard des mères célibataires et il y avait une absence complète d'éducation sexuelle. Quand une jeune fille était enceinte, la honte retombait sur sa famille. Donc souvent sa famille, cela  arrivait à la campagne ou en milieu où l'on avait moins de connaissance aussi, envoyait la jeune fille au loin. Elle devait normalement aller à la ville accoucher dans un hôpital tenu par des religieuses, tout à fait officiel.

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Les Orphelins de Duplessis
Pour ces enfants nés dans l'illégitimité aux yeux de l'Eglise, le destin ne s'annonce pas simple. Les mères n'ont d'autres choix que de les confier secrètement à l'adoption: passé entre les mains des communautés religieuses qui gèrent tout un pan de l'éducation puis de la santé, elles avaient peu de chances de revoir un jour leur enfant. Mais ce n'est pas l'injuste opprobre réservé à ces filles-mères qui allait enrayer ces grossesses hors mariage que l'église ne pouvait concevoir. Des personnes peu scrupuleuses tissent rapidement un lien entre ces enfants qu'il fallait cacher à la société et les familles prêtes à les adopter et à les chérir:

Comment fonctionnait le trafic? Il y avait ces femmes qui géraient des maisons privées, qui étaient donc ces hôpitaux clandestins. Elles avaient ce qu'on appelle des recruteurs, des hommes pour la plupart, qui se rendaient dans les gares d'autobus et de train. Ils avaient développé une psychologie qui leur permettait de reconnaitre la petite fille qui arrive avec sa valise et qui a l'air perdu. Alors il lui propose, plutôt que d'aller chez les sœurs où c'était très dur, où on les traitait vraiment très durement, il leur propose d'aller à un autre endroit où ça leur coutera rien, où on va tout prendre en charge pour elle parce qu'il y a une bonne dame qui a une âme charitable, etc. Donc elles vont là, un médecin vient les accoucher, et on vend le bébé presque tout de suite.

Les nourrissons sont vendus presque immédiatement et les jeunes filles vulnérables se voient parfois proposer de l'argent avant d'entrer dans une clinique. Ce marché noir s'est établi principalement entre les villes de New-York et Montréal. Côté américain, les enfants à adopter étaient nombreux, mais la lenteur et l'incertitude des procédures, les conditions d'adoption selon des critères de religions, de classe sociale et de revenu, constituaient de nombreux obstacles. Côté canadien, une loi restreignait également les possibilités d'adopter, les familles juives étaient particulièrement visées:

Le clergé catholique avait fait voter une loi sur l'adoption en 1924, parce qu'il ne voulait surtout pas que les bébés catholiques se retrouvent dans ces familles juives. En fait, c'est un peu ironique parce qu'au fond, il préférait avoir des bébés catholiques qui vivaient toute leur vie en orphelinat que des bébés devenus juifs. Chez les juifs, il y avait très peu d'enfants adoptés. Peut-être que les filles avaient une meilleure éducation sexuelle, ou alors n'avaient pas de relation sexuelle hors mariage ou la communauté s'occupait de ces enfants-là. Il y avait quelque chose comme 20 couples de parents en attente pour un seul bébé. Alors il y avait un manque dans les familles juives de bébés à adopter. Et il y avait un débordement de bébés catholiques à adopter dans les orphelinats. C'est comme ça que le marché s'est fait.

On estime à un millier le nombre de bébés vendus au Québec, dans d'autres provinces ou à l'étranger, mais ils pourraient être plus nombreux. La majorité de ces enfants avaient des mères catholiques. Peu d'enfants juifs étant confiés à l'adoption, les chances pour une famille juive d'adopter un nourrisson d'une mère biologique de même confession étaient minces. Il fallait donc à la naissance falsifier les certificats, pour qu'ils adoptent la religion à laquelle les parents appartenaient.

Mais ce trafic-là dont on parle, c'est quelque chose de complétement clandestin. Ce sont des maisons privées, ça va selon les quartiers de Montréal du taudis à une maison de luxe, vraiment. Donc ce sont des résidences privées, où on cache un semblant d'hôpital: il y a des chambres et puis les jeunes femmes vont accoucher là, les médecins vont les accoucher. C'est tout à fait illégal, c'est de la pratique illégale de la médecine, aujourd'hui on les accuserait de ça. Donc c'est absolument clandestin, totalement.

Les certificats sont fait par des rabbins parce qu'il faut prouver que l'enfant est juif, d'où le trafic: transformer des catholiques en juifs pour qu'ils puissent être adoptés.

Mais parfois les rabbins n'étaient pas au courant de cette sombre intrigue. Avec probablement autant de ramifications que d' « hôpitaux », la liste des intermédiaires est longue: médecins, avocats, gardes malade, auxiliaires sociale, religieux…et parfois même des passeurs qui venaient livrer les nouveau-nés jusqu'au domicile des parents adoptifs, faux papiers en main. C'est en 1949 que l'alerte est lancée pour la première fois, par une journaliste d'Ottawa. Mais il faut attendre encore plusieurs années avant qu'une enquête internationale s'ouvre:

Tout d'abord, il faut savoir qu'en 1949, il y a eu des rumeurs de marché noir et les sociétés pour l'enfance officielles ont dit que non, il n'y avait rien de tel qui se passait dans les orphelinats officiels. En 1952, l'assistant procureur du district de New-York a la puce à l'oreille parce qu'une dame vient le consulter pour s'assurer de la légalité de l'adoption d'un avocat Montréalais qui s'appelait Herman Buller, avait organisé pour elle. Comme il y avait eu à peu près 17 demandes en même temps de ce genre-là, avec des noms tous de consonance juive, c'est comme ça qu'une enquête à commencé.

Une enquête menée en étroite collaboration entre la police de Montréal et de New-York aboutit à l'arrestation d'un des principaux instigateurs du trafic, l'avocat Herman Buller. Le scandale moral et juridique que représente cette « contrebande d'enfants », ce « racket de bébés » fait la une des journaux. Mais l'issu du procès semble en complet décalage avec le déchainement de l'opinion publique de l'époque:

Ce qui ressort de ce procès-là, ce qui est assez incroyable, c'est que la loi n'interdit pas la vente de bébés. Ce qui est illégal c'est la fabrication de faux certificats de naissance, et c'est ce dont est accusé Herman Buller. Il écope d'une journée de prison et d'une amende de 2000 $. Aucun autre acteur du trafic n'est inquiété à ce moment-là.

En 1955, le trafic d'enfants ne figurait dans aucun texte de loi: aucun article du code pénal dans ce sens n'a donc pu être invoqué contre les accusés. La Justice, faute de loi, ne parvient pas à mettre un terme à ce trafic. Comme le titrait le journal « La Patrie » au lendemain de l'arrestation du protagoniste, ce business fructueux s'élèverait à 3 000 000 de dollars. Les enfants se négociaient entre 3 000 et 10 000 dollars. Maurice Duplessis, premier ministre du Québec à l'époque était également procureur général au moment du scandale.

Ce qui fait que ça s'est arrêté finalement, c'est que les mœurs ont changé. La pilule contraceptive est arrivée dans les années 60, l'éducation sexuelle est devenue meilleure et les mœurs ont changé dans le sens où la liberté sexuelle étant plus grande, les jeunes femmes qui tombaient enceintes gardaient leurs bébés, tout simplement. C'était plus accepté. Il n'y a plus eu de bébé à adopter. En 1972, il y en avait deux à adopter, au Québec, et les orphelinats ont fermés.

Ce n'est qu'en 1969 que la loi sur l'adoption a été refaite, en tenant compte de ce qui s'était passé. La vente d'êtres humains a bien sûr été interdite, mais aucune enquête n'a jamais été rouverte sur ce trafic. Aujourd'hui sexagénaires, ces « orphelins forcés » témoigneront bientôt sur Sputnik de leur enfance, souvent heureuse, et de leurs recherches rendues presque impossibles par la falsification complète des documents attestant de leur naissance.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

 

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