Les Orphelins de Duplessis

© Photo Comité des Orphelins victime d'abus (CODVA) Les Orphelins de Duplessis
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Des années 1930 à 1960, dans un Québec marqué par le conservatisme et la tradition, des milliers d’orphelins sains d’esprit sont diagnostiqués arriéré mental.

L’église accepte de s’en occuper pour des raisons strictement financières, tandis que les médecins mènent des expériences sur eux, avec l’accord du gouvernement du premier ministre Maurice Duplessis. 

Cette période sombre de l'histoire du Québec porte un nom, La Grande Noirceur, et coïncide avec les deux mandats du premier ministre conservateur Maurice Duplessis. Sous son règne, le sort des enfants nés hors-mariage devient épouvantable.

Les mères célibataires sont contraintes d'abandonner leur enfant à la crèche immédiatement après leur naissance. Les crèches sont alors placées sous l'autorité de l'église, qui offre à ces enfants, vu comme le fruit du péché, des conditions de vie plus que rudimentaires. Pauline Gill, enseignante et auteure du livre « Les enfants de Duplessis: L'histoire vraie d'Alice Quinton »:

C'est pour cela qu'il y a eu chez nous des hôpitaux spécialisés pour recevoir les jeunes filles enceintes et les cacher, tout le temps de la grossesse. Et quelques mois après, les garder pour qu'elles puissent rendre des services à la communauté qui les avait reçus, en dédommagement de la pension qu'elles n'avaient pas payé.

Quand la maman venait pour le prendre, et ça j'ai eu des preuves à l'appui, on répondait que l'enfant était décédé ou bien qu'il avait déjà été adopté. Et la raison pour laquelle on faisait ce mensonge, c'est qu'on jugeait la maman indigne d'élever son enfant, indigne de reprendre son enfant.

Enlevés à leurs mères, le sort réservé à ces enfants se détériore, jusqu'à atteindre l'impensable. Très vite, les orphelins se retrouvent au cœur d'une sordide affaire de subvention. Le premier ministre québécois Maurice Duplessis est très proche du Cardinal Léger, représentant de l'église catholique qui étend ses pouvoirs sur la santé, l'éducation, les services sociaux. Ensemble, ils mettent en place un vaste système dont le but est de garantir de confortables subventions à l'église et d'offrir par la même occasion des cobayes aux médecins, eux aussi proches de Duplessis.

Lucien Landry est un des rescapés de ce système. Il a été diagnostiqué arriéré mental à tort et a été enfermé de 1954 à 1961. Aujourd'hui, il préside le Comité des Enfants de Duplessis. Il nous raconte son histoire et celles de ces orphelins soudainement institutionnalisés:

Les communautés religieuses ont fait une demande auprès du gouvernement du Québec, dans la cadre du financement des opérations des orphelinats et institutions religieuses parce que les sœurs avaient besoin d'argent. Et le gouvernement Duplessis des années 60 a fait part aux communautés religieuses, qu'il accepterait d'aider de financer les orphelinats des religieuses, à la condition qu'ils changent de vocation. Les communautés religieuses avaient comme premier but d'éduquer et élever des enfants. Mais par contre, la priorité du gouvernement de Duplessis, c'était de répondre au besoin grandissant de la santé et non de l'éducation.

Les communautés religieuses, sous pression du Cardinal Léger, se plient à ces nouvelles conditions. Si le gouvernement du Québec propose de transformer les orphelinats en hôpitaux psychiatriques, c'est parce qu'il trouve aussi son compte dans ces importantes subventions que verse le gouvernement du Canada. Alors qu'un orphelin fait percevoir à l'église 0.70$, un arriéré mental lui fait toucher 2$. L'église fait le choix de l'argent, mais encore faut-il que ces orphelinats fraichement re-classifiées en hôpitaux psychiatriques soient peuplés de fous. C'est là qu'on va décider de falsifier le dossier de ces enfants:

Certaines écoles, qui méritaient vraiment le nom d'orphelinats, où on apprenait aux enfants les rudimentaires de l'éducation, de l'instruction, ont été convertis en hôpital psychiatrique. Et des recherches ont prouvé que les institutions religieuses, qui ont accepté de convertir leur couvent, leurs orphelinats en hôpital psychiatrique ont touché des revenus de 70 000 000 de surplus.J'ai vu nombre de ces dossiers, les enfants n'étaient même pas examinés par des médecins. C'était des religieuses qui remplissaient les évaluations médicales. Parfois on voyait la même écriture sur 30 dossiers, où ces enfants étaient tous identifiés malades mentaux graves.

Le mépris pour ces enfants se double d'une vénalité sans borne. Les enfants devenus « arriérés » sont envoyés dans des orphelinats catholiques reclassifiés ou envoyé vers des asiles déjà existants. Sinistre aubaine pour le Collège des médecins, qui trouve alors dans ces institutions les jeunes cobayes nécessaires pour mener à bien leurs expériences médicales.

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Lucien Landry a été placé au Mont-Providence, devenu par la suite Hôpital Rivière-des-Prairies. C'est une des institutions les plus connues, dirigé par la communauté des Sœurs de la Charité de la Providence à Montréal. Il a ensuite été transféré dans un autre lieu, l'hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, où la sécurité est renforcée, et pour cause: en vieillissant, les enfants se rebiffent face à l'enfermement et aux mauvais traitements qu'ils subissent quotidiennement:

Quand j'ai été transféré dans cet hôpital-là, en sécurité maximum, on subissait des traitements, ce qu'on appelle de la recherche au point de vue pharmaceutique. On subissait des traitements de douches froides, de médications, puis par la suite, on faisait des expériences, sur les orphelins, sur les enfants, parce qu'ils n'avaient pas de famille. 03''36 + Il y avait des tests dans le but de faire de la recherche. Mais il n'y avait pas de test pour faire une évaluation de ces enfants-là. Parce que c'était organisé d'une façon systémique de la part des médecins et ce avec l'entente du Ministère de la Santé du Québec sous le règne de Duplessis. « En plus de ça on a vendu des enfants orphelins aux américains ».

Pire encore, dans les années 1940, l'Assemblée législative du Québec adopte une loi qui permet à l'Église de vendre la dépouille non revendiquée d'un orphelin à une école médicale. Ce commerce de cadavres d'orphelins perdure jusque dans les années 1960. Un charnier aurait été découvert dans les années 2000 à proximité de l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu.

Hélas! Oui il y a eu des expériences médicales, de fait, sur ces enfants-là, d'ailleurs ils n'avaient pas de défenseurs, qui pouvait répondre d'eux? Alors oui, il y a eu des expériences, la lobotomie a été pratiquée de nombreuses fois. Et des narcotiques aussi ont été expérimenté sur ces enfants-là, certains en sont décédés. Mais ça c'est une autre histoire très difficile à aborder. J'ai eu des témoignages d'enfants de Duplessis qui ont vu des choses relatives à ces enterrements, à ces enterrements incognito.

Soumis à des séances d'électrochoc, à de puissantes médications, à l'isolement et aux camisoles de forces, ces enfants privés d'éducation sont battus et parfois agressés sexuellement par les religieux ou par les administrateurs. Maitre Alain Arsenault a souvent représenté les victimes d'abus sexuels:

Jamais l'église n'a présenté des excuses de quoique ce soit. Ils ont une peur bleue du mot excuse. Ils vont dire «oh, c'est des choses qui n'auraient pas dû se faire ». Et ils ont refusé, je me souviens c'était le Cardinal Turcott, il a clairement refusé en disant « On a tellement fait de bien au Québec que on ne voit pas pourquoi on devrait s'excuser pour les orphelins de Duplessis. Tous les dossiers mettent en cause des choses semblables, des agressions sexuelles, dans les pensionnats indiens, dans les pensionnats dirigés par certaine communauté religieuse. Le mot excuse n'est jamais prononcé. Ils refusent toute entrevue avec les journalistes, ils espèrent qu'avec le temps les gens vont oublier ça. Et ce n'est pas la réalité, ça continue.

Complètement marginalisés socialement, exploités à l'abri des regards, les enfants représentent une main d'œuvre gratuite utilisée à tous les niveaux de la vie en institution: en tant que personnel soignant pour laver les autres patients, en tant que travailleur agricole, ou encore au service des employés de l'institution. Après des années d'exploitation, Lucien Landry a finalement réussi à s'échapper:

Il y avait certains orphelins de l'âge de 16 — 18 ans, ils travaillaient à cafétéria, à la buanderie. Ils travaillaient à différentes places, au sein de l'institution. Dans mon cas, j'ai travaillé à la cafétéria du personnel. C'est comme ça que j'ai pu réussir à m'évader. Comme on était institutionnalisé dans des hôpitaux psychiatriques, et qu'on cherchait à s'évader, ils nous enlever notre linge et il nous mettait en jackette. On n'avait pas de soulier, on avait des bas. Et on se rasait la tête. Mais quand on travaillait un peu dans l'institution, là on pouvait s'habiller, et là on avait les cheveux longs. Là, on pouvait s'évader ».

Pendant plusieurs décennies, l'opacité la plus totale entoure ces instituions psychiatriques. Les orphelins n'étaient pas relâchés à leur majorité. Lucien Landry s'est évadé à l'âge de 19ans. Dans son dossier, il était condamné: « placement impossible, internement à vie ».

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La plupart de ces enfants n'avaient pas de répondant. Et puis pour être allé en visiter plusieurs, jamais de l'extérieur on ne voyait les enfants parce qu'il y avait des murs de grandes hauteur, complètement opaque. Quand on laissait les enfants jouer dehors, personne de l'extérieur ne pouvait les apercevoir.

Et les galeries qui donnait sur les cours arrières étaient toute couverte de broches pour empêcher premièrement que les enfants tentent de s'enfuir, deuxièmement pour que quelqu'un qui voulait s'immiscer sur le terrain puisse les voir.

C'est seulement dans les années 1990 que les mauvais traitements de la part des religieux, les faux diagnostiques des médecins et l'appui financier du gouvernement éclatent au grand jour.

Ca, ça a commencé aux débuts des années 1990. Où un certain nombre d'orphelins de Duplessis se sont regroupés pour commencer à avoir une vie plus normale puisqu'à ce moment-là, ils étaient encore considérés comme étant des inaptes, sous-tutelles. Ils ont commencé à rechercher un peu plus d'informations sur pourquoi on les a qualifiés d'inaptes. C'est comme ça que ça s'est développé. De gens ont commencé à s'organiser et à présenter des demandes, des revendications, entre autre pour ne plus avoir ce statut de malade mental comme on les appelait à l'époque pour permettre qu'il puisse gérer leurs propres affaires sans problème. Parce qu'à ce moment, ils avaient toujours des problèmes de gestion de leur patrimoine.

Le Comité des Orphelins de Duplessis est créé en 1992. Les anciens pensionnaires s'y retrouvent, échangent leurs vécus, libèrent leur colère et tentent des recours devant la justice. Dans un premier temps, le gouvernement québécois reste sourd. Daniel Jacoby, en tant que Protecteur du citoyen, s'empare du dossier en 1997. Le gouvernement québécois de Lucien Bouchard esquisse des excuses en 1999 et propose une indemnisation dérisoire qui est refusée par les orphelins. Un « Programme national de réconciliation » est mis en place en 2001 et accorde en moyenne 25 000$ de dédommagement, attribué selon de nombreux critères. Un geste certes, mais toujours aucune d'enquête:

Jamais, ce qu'il y a eu seulement, c'est une commission parlementaire à Québec, pour étudier le dossier des orphelins dans son ensemble. Et ils ont mis sur place un programme de réconciliation nationale. Mais les orphelins ne sont pas satisfaits de ce programme-là. Ce n'était pas un programme de dédommagement, mais un programme de lutte à la pauvreté. Ils n'ont jamais reconnu leur tort. Deuxièmement, l'église devait participer à un protocole d'entente. Les communautés religieuses, les médecins ont toujours refusé d'y participer avec le gouvernement dans cette démarche-là.

L'offre est acceptée mais en contrepartie les orphelins s'engagent à ne plus poursuivre l'église. Les communautés religieuses et les autorités médicales n'ont jamais, encore à l'heure actuelle, reconnu les faits. On estime à 300 000 le nombre d'orphelins de Duplessis dans l'ensemble des provinces canadiennes. 6000 ont fait une réclamation dans le cadre du programme d'indemnisation du gouvernement provincial. S'il n'y a jamais eu d'enquête, c'est parce que le gouvernement québécois a bien quelque chose à cacher, estime Maitre Alain Arsenault.

Ca, ça fait partie de ce que moi j'appelle souvent, du flou artistique. Il y a effectivement, a une certaine époque, le premier ministre, qui a constaté avec beaucoup d'hésitation que des personnes surnommées enfants de Duplessis n'auraient pas dû être traité de cette façon-là, sans aller plus loin. De peur d'établir un précédent. De peur d'établir une reconnaissance de responsabilité pour éviter de plus grave problème. On a acheté la paix, avec une indemnisation somme toute modeste.

Se reconstruire et retrouver les siens. Lucien s'estime chanceux. Notamment grâce à l'association Mouvement Retrouvailles, il a pu rencontrer sa mère biologique. Caroline Fortin, présidente de cet organisme d'aide, de soutien et d'accompagnement, confesse que peu d'orphelins de Duplessis ont entamé les démarches pour retrouver leurs proches:

Il y en a eu quelques-uns, par contre, ce qu'il faut dire de ces enfants-là, comme je vous disais tout à l'heure, ils n'étaient pas aliénés à la base. Par contre, plusieurs par manque de soin, par fortes doses de médicaments, par maltraitance, par manque d'éducation, n'ont pas pu avoir le bagage nécessaire pour pouvoir poursuivre des recherches. On en a eu quelques-uns, mais on en a peu.

Lucien Landry a réussi à s'évader, à s'instruire, à refaire sa vie. Aidé par le Mouvement Retrouvailles et par les Centres Jeunesses, qui possède des archives des années 40, 50, 60, il a réussi à retrouver sa mère à l'âge de 48 ans. Elle est aujourd'hui décédée, mais il a pu s'apercevoir qu'il avait 7 demi-frères et sœurs:

J'étais né soit à Montréal, soit à Québec, et dans ce cadre-là, eux ont découvert que j'étais née à Québec. Donc ils ont contacté mes vrais parents, en leur demandant s'ils étaient prêts à rencontrer leur fils. Ça s'est très bien passé. Mais dans certains cas, soit du côté de l'orphelins, soit du côté de la personne, la mère ou le père, refusait de rencontrer parce qu'il y en a qui sont remariés ou d'autres raisons. Mais ce qui se passe dans mon cas, ça a très bien été, la démarche de rencontre, et par la suite les visites. Je suis resté en contact avec mes demi-sœurs, mes demi-frères. J'étais chanceux, de ce côté-là.

On estime à plus de 5000 le nombre d'orphelins de Duplessis, pour la province du Québec. Les institutions de santé étaient alors sous la responsabilité du gouvernement du Québec et financées par le gouvernement du Canada, administrées par les églises et encadrées par le Collège des médecins: Qui est le vrai responsable de cette tragédie? Beaucoup d'orphelins sont encore aujourd'hui internés en hôpitaux psychiatriques ou séjournent en foyers d'accueil. Suite à l'internement forcé, à la violence psychologie et physique, beaucoup d'orphelins de Duplessis ont sombré dans l'alcool, la drogue, ou le suicide. Mais d'autres s'en sont sorti, sont heureux, gagnent leur vie et ont pu atteindre de hautes fonctions dans la vie publique.

La particularité des orphelins de Duplessis réside dans la falsification de leurs dossiers: c'est un fait unique dans l'histoire des orphelinats au Canada. Au moment d'informatiser les dossiers de santé en 2012, le Comité a demandé à ce que ces dossiers soient détruits: car 60 ans plus tard, certains ont dû encore subir une évaluation psychiatrique avant une opération chirurgicale afin de s'assurer de leur bon consentement. Demande partiellement accordée au Comité, car si le Ministère de la Santé détruits les dossiers, le Ministère de la justice ou du Curateur sont toujours en possession des leurs. Le combat se joue se joue sur tous les fronts: Lucien Lancry et le comité des Orphelins de Duplessis attendent toujours des excuses de l'Eglise, des communautés religieuses, du Collège des Médecins et particulièrement de l'association des psychiatres.

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