Cette tendance se constate en premier lieu par la progression du vote Front National (FN) et de la droite souverainiste. Le FN et Debout la France confondus, ce sont 6 845 000 électeurs français, soit 31,54% des suffrages exprimés, qui se sont portés sur des candidats exprimant leur défiance vis-à-vis du modèle d'Europe libérale-libertaire proposé, et leur attachement à une certaine conception de l'Etat, de la souveraineté et de l'identité française.
Elle se manifeste ensuite par les succès médiatiques et de librairie de Philippe de Villiers, d'Eric Zemmour et des intellectuels dits « de droite ».
Elle est enfin démontrée par la crispation qui vient de se manifester en Corse. Là, alors que les attentats contre les commissariats de police dans l'île ne se comptent plus depuis trente ans, une foule s'est spontanément portée au secours de policiers et de sapeurs-pompiers tombés dans un traquenard tendu par les « jeunes issus de la diversité » d'un quartier « sensible ». Emportée par la colère, elle a alors dévasté un lieu de culte musulman, estimant que les délinquants, compte tenu de leurs origines, relevaient de cette obédience religieuse. Certes l'amalgame entre des fauteurs de troubles, fussent-ils issus de l'immigration nord-africaine ou subsaharienne, et cette religion, a peut-être été hâtivement fait par la population locale. Il n'en demeure pas moins que celle-ci a reçu le soutien des autorités locales, récemment élues, et que les manifestations visant les zones de non-droit où agissent les voyous visés ont été « accompagnées » par les forces de l'ordre, visiblement bien plus soucieuses d'escorter les Corses en colère que de les réprimer. Le Préfet de région, reprenant la main sur les injonctions de Paris, a décidé d'interdire toute manifestation dans l'île jusqu'au 4 janvier 2016. Mais si l'on s'en réfère aux commentaires élogieux envers les Corses fleurissant sur les réseaux sociaux français, dont nos compatriotes insulaires sont fréquemment la cible compte tenu de la volonté de certains d'entre eux de se séparer de la France, il est évident que leur action a clairement suscité plus de sympathie que de réprobation. Et que, dans les esprits, le lien logique immigration-insécurité est solidement établi.
La récente polémique sur la déchéance de l'identité française, dont devraient être passibles à l'avenir les citoyens français binationaux ayant agi contre les intérêts de la Nation, est également symptomatique du rôle central que joue la question identitaire dans la société française. Evidemment tous les droits de l'hommiste et jacobins intransigeants de gauche et de droite se sont aussitôt mobilisés afin de dénoncer une telle réforme législative, qui jetterait selon eux la suspicion sur certains citoyens français. Mais cette énième indignation face aux éventuelles discriminations dont pourraient être victimes des catégories de population déjà en butte, pour reprendre les propos de Manuel Valls, à un « apartheid territorial, social, ethnique », a laissé le gouvernement socialiste de marbre. Ce dernier a décidé de maintenir son projet de réforme constitutionnelle instituant, de fait, deux catégories de citoyens français, distinguant ceux qui sont récemment issus de l'immigration et les autres.
Bien entendu il ne faut pas voir dans le maintien de cette mesure une contamination de François Hollande et de Manuel Valls par la « Lepénisation » des esprits. En vue des présidentielles de 2017 ceux-ci estiment qu'ils ont tout intérêt à se conformer au rôle de premier flic de France pour Valls, de chef de guerre pour Hollande. Alors que l'extrême-gauche a été laminée aux dernières régionales (10% des voix au total pour EELV, le Front de Gauche et LO), et que nombre de socialistes estiment que les présidentielles se gagneront au centre, mieux vaut tenter de séduire ce dernier en affectant la posture d'hommes d'Etats. Les militants de l'aile gauche du parti socialiste, Frondeurs, Gauche forte… qui trouvent dans cette réforme constitutionnelle une occasion supplémentaire d'endosser leur rôle favori, celui de « résistants » à la petite semaine, se chargeront, une fois le texte voté avec les voix de la majorité d'entre eux, de recoller les morceaux avec l'extrême-gauche dans la dernière ligne droite pour « aller ensemble à la bataille ». Un gouvernement « bad cop », un parti « good cop », la stratégie est claire pour ratisser large.
Au demeurant même si le PS excipe de la montée du FN, et de la nécessité de ne pas lui abandonner les notions de patrie ou de sécurité, pour justifier des mesures d'ordre qui ne sont pas —théoriquement- dans l'ADN de la gauche, bien des socialistes estiment que la question identitaire est, précisément, celle qui permettra à leur formation politique de demeurer durablement à l'Elysée. Mais ces derniers ont leur propre vision de la problématique. Fidèles à la ligne Terra Nova, qui parie sur le vote communautaire pour faire gagner la gauche comme en 2012, lorsque 86% des électeurs de la communauté musulmane de France ont accordé leur suffrage au candidat Hollande, ces subtils usagers de la Taqiya musulmane ou « républicaine » tendance Médiapart, parient sur la montée du FN pour mobiliser l'électorat issu de l'immigration et gagner. « L'émergence du Front National à des scores élevés provoquera nécessairement la radicalisation d'une partie de la droite qui, tôt ou tard, fera alliance avec lui. Nous allons, comme aux Etats-Unis avec les Républicains, vers une droite dure, mais qui, faute de pouvoir séduire au centre, sera condamnée à ne jamais dépasser les 45% aux Présidentielles, donc sera dans l'incapacité d'accéder au pouvoir », déclarait récemment en privé un des tenants de cette ligne. La progression du Front National est donc ce qui peut arriver de mieux à la gauche, estiment cyniquement ces nostalgiques de François Mitterrand.
Celui-ci, pourtant, aussi stratège que tacticien, voyait suffisamment loin pour savoir que les victoires à court terme pouvaient provoquer des désastres dans le temps long. S'il a remis Jean-Marie Le Pen en selle, ce n'était pas dans le même cadre économique, sociétal, qu'aujourd'hui. La France, alors, croyait encore à l'Europe, qui cultivait un projet séduisant sur le papier. Chacun pensait, moins de quarante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, que « le nationalisme c'était la guerre ». Ces tabous, plus de trente ans après, sont tombés. L'identité est redevenue un enjeu central, d'autant plus explosif que chacun s'exprime désormais de manière décomplexée. Dans ces conditions tenter de renouveler la manœuvre de François Mitterrand revient à jouer avec le feu.
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