La Russie et l'Ukraine se ressemblent sur ce point, à cela près que le refus de Kiev de rembourser sa dette ne sera pas tant économique que politique.
"Nous nous préparons à tous les scénarios. Nous ressentons une forte pression de la population, qui s'oppose au remboursement de cette dette", a déclaré la ministre ukrainienne des Finances Natalia Iaresko. On ignore véritablement à quoi s'oppose la population ukrainienne et, en vérité, aucun sondage n'a été organisé. En revanche, selon l'étude menée par l'Ifes (International Foundation for Electoral Systems) en collaboration avec l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), seulement 11% des Ukrainiens considèrent le remboursement de la dette extérieure comme un grand problème pour leur pays. Ils sont bien plus nombreux à être préoccupés par la corruption (53%), l'inflation (56%), la pauvreté et le chômage (42% et 35% respectivement). Le sondage a été organisé en septembre dans 12 régions du pays et les personnes interrogées avaient la possibilité de choisir plusieurs réponses à la fois.
Au lieu de cela, la Commission européenne — en la personne de son représentant permanent à Moscou Vygaudas Usackas — a suggéré au gouvernement russe d'annuler la dette de l'Ukraine "en tant que bon ami". "Je pense personnellement que ce serait un geste de bonne volonté de la part de la Russie que de suivre la voie indiquée par l'UE et les USA via le Fonds monétaire international", a déclaré le diplomate.
"Prêts à tout"
Le fait que cette dette soit une question politique pour l'Ukraine illustre l'attitude de l'establishment politique ukrainien. "Nous devons fixer des conditions claires selon lesquelles les emprunts seront remboursés. Premièrement, le retrait des troupes militaires du Donbass, deuxièmement le retour de la Crimée", pense le président du Comité des économistes d'Ukraine Andreï Novak. "La ministre ukrainienne des Finances Natalia Iaresko s'est dit prête à tous les scénarios concernant la "dette de Ianoukovitch" envers la Russie. Je traduis spécialement pour Moscou, dans la langue russe qu'ils comprennent. Inutile de nous intimider. Nous nous moquons de vos menaces de défaut. Soit vous acceptez les conditions ukrainiennes, soit vous irez recevoir cet argent de la part de Ianoukovitch en personne. Bref, nous sommes prêts à tous les scénarios", tonne le politologue ukrainien Kirill Sazonov.
En effet, un défaut croisé aurait des conséquences bien plus importantes. En refusant d'honorer ses engagements, l'Ukraine pourrait devoir rembourser par anticipation toutes ses obligations. L'Argentine avait connu cette situation en 2001 après avoir dépassé le délai de remboursement de 2 milliards de dollars d'obligations. Immédiatement après; les créanciers avaient soumis toutes les émissions d'obligations argentines avec des délais bien plus tardifs de remboursement. Au final, il avait fallu proclamer le défaut pour une dette de 100 milliards de dollars. Conséquence: la note de crédit de l'Argentine est toujours très basse aujourd'hui.
Actuellement, la dette extérieure de l'Ukraine s'élève à 122% du PIB national. Rien qu'entre janvier et juin 2015, elle a augmenté de 700 millions de dollars pour dépasser les 127 milliards au total. En valeur absolue, sa dette souveraine est comparable à celle de l'URSS au moment de son effondrement d'après les informations de la Banque nationale d'Ukraine. Le défaut pourrait entraîner également un refus des créanciers étrangers de financer les organisations commerciales ukrainiennes — dont la dette extérieure est aujourd'hui de 59 milliards de dollars. Sachant que les institutions administratives ukrainiennes ont déjà une dette expirée de 1,1 milliards de dollars pour leurs obligations.
Une croissance en cabale
En septembre déjà, une partie des détenteurs d'obligations ukrainiennes — pour 18 milliards de dollars — s'était prononcée pour revoir les conditions de restructuration de la dette du pays. En échange d'une annulation de 20% du crédit et d'un report du remboursement des obligations, les créanciers devaient recevoir des paquets de titres VRI (Value Recovery Instrument) spécialement émis, qui serviraient à terme à verser les indemnités — dont le montant dépendra de la croissance économique de l'Ukraine après 2020. L'ordre de répartition du VRI a provoqué des protestations car, selon certains créanciers, il portait atteinte aux intérêts des détenteurs d'obligations ukrainiennes à rembourser en 2015.
"On suppose que tous les détenteurs d'obligations recevront des paquets identiques de nouveaux titres. Nos clients considèrent cette approche comme injuste car pour les obligations à rembourser en 2015; le report pourrait dépasser 8 ans, tandis qu'il ne sera que d'environ 6 mois pour d'autres obligations", indique le communiqué de la compagnie Sheaman & Sterling. Le dépassement de la date de remboursement des obligations russes pourrait servir de nouveau motif juridique pour revoir les accords déjà signés par l'Ukraine avec les créanciers privés.
Pour finir, certains experts supposent que l'Ukraine pourrait contester les euro-obligations achetées par la Russie en les proclamant "corrompues" et forcer Moscou à les annuler. Kiev pourrait aussi proposer à son créancier d'envoyer la facture à l'ancien gouvernement du pays. Mais le fait est que les euro-obligations ne sont pas soumises à la régression. Et on ne peut pas avancer des exigences secondaires en ce sens. En d'autres termes, selon les normes en vigueur, l'Ukraine devra d'abord rembourser la dette et seulement ensuite prouver au tribunal que la transaction était corrompue, et non l'inverse. Or les partenaires occidentaux de Kiev ne pourront pas changer cette règle comme dans le cas du FMI. Cela signifierait un remaniement trop important d'un marché au chiffre d'affaires de milliers de milliards de dollars. Par conséquent, l'Ukraine n'a qu'une seule possibilité de ne pas payer — s'entendre avec Moscou. Et pas autrement.