La Libye revient sur le devant de la scène médiatique française avec l'annonce de l'arrestation par les services de renseignements tunisiens de deux ressortissants français à la frontière libyenne, alors que les deux hommes tentaient d'y rejoindre les camps d'entrainement de Daech. La Libye, pays de transit sur la route du djihad, une première dans une procédure judiciaire française, relève le Figaro, alors que tous les regards se tournent vers la Syrie et ses voisins directs.
Des chefs d'Etat européens tirent le signal d'alarme depuis plusieurs mois, tels que Matteo Renzi, pour qui le problème doit être "réglé d'urgence". Le président du conseil italien plaide pour l'instauration en Libye d'un gouvernement d'union nationale. Une solution à laquelle le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, exhorte régulièrement les différents protagonistes de la scène politique libyenne.
Il faut dire que la Libye est un pays qui quatre ans après l'intervention franco-britannique, reste divisé, et plongé dans la guerre civile; comme nous le décrit Kader Abderrahim, chercheur à l'IRIS, spécialiste du Maghreb et de l'islamisme.
"Après une longue période de confusion il y'a eu une dislocation des instances qui étaient en place. Et depuis un an, un an et demi maintenant, on observe la situation suivante: deux gouvernements, l'un basé à Tripoli, organisé autour d'une coalition de milices et d'organisations djihadistes, et un autre gouvernement basé à Tobrouk, élu, qui avait été chassé de Tripoli par l'organisation Aube de la Libye et qui est reconnu par la communauté internationale. Et donc ces deux gouvernements ont chacun leur parlement. Ce qui fait qu'il est très difficile d'avoir un interlocuteur valable pour discuter ou pour négocier".
Un chaos politique auquel s'ajoute un chaos sécuritaire; car Daech a profité de cette situation de faiblesse des institutions du pays pour s'y implanter.
"Dans l'Est de la Libye, depuis l'été 2014, l'organisation Etat-Islamique a réussi à s'implanter et contrôle à peu près 20 à 22% du territoire libyen, ce qui est considérable, elle s'est maintenant implantée et est en train de renforcer ses positions sur le plan militaire".
Et de la même manière que les victimes, les bourreaux viennent de toute la région… Pour Kader Abderrahim, si la majorité des combattants viennent de Libye, une partie des forces de Daech n'en demeure pas moins constituée d'hommes de toute la région:
"Les combattants de Daech en Libye sont essentiellement et majoritairement composés de personnes qui viennent de Libye, notamment le GICL — Le Groupe Islamique Combattant Libyen — qu'avait été, pour certains de ses dirigeants, réprimés ou tués du temps de Kadhafi et qui aujourd'hui prospèrent. Et puis il y a beaucoup de tunisiens qui viennent du pays voisin. Et puis on trouve un peu de tout; il y a des soudanais, il y a des yéménites, probablement aussi des algériens. Donc cette situation de chaos et d'instabilité est propice à la confusion et ça alimente évidemment aujourd'hui Daech et son armée".
Des pays environnant qui ne manquent pas d'être déstabilisés par cette situation: Car au-delà des ambitions de Daech en Libye, d'autres groupes terroristes lui prêtent allégeance, comme par exemple Boko Haram, qui opère à présent sur tout le pourtour du lac Tchad; au Nigeria, au Niger, au Tchad et au Cameroun.
"On estime qu'il y'a entre 600.000 et 800.000 réfugiés qui attendent en Libye ou sur les côtés libyennes de pouvoir embarquer […] pour se rendre en Europe. Parmi ceux-là, il y'a évidemment des militants et des soldats de Daech. Donc le danger est là, il est tout près de nous, tout près de nos côtes: les italiens le savent, les grecs le savent, la France le sait dans une moindre mesure, donc on attendrait de nos dirigeants politiques effectivement une réaction un petit peu plus énergique que l'attentisme dans lequel ils sont plongés".
Dans une interview accordée au Monde Afrique, le professeur Philippe Hugon, directeur de recherches à l'IRIS, partage son inquiétude quant à ce phénomène d'implantation de l'organisation islamiste, estimant que la Libye pourrait s'avérer être une base de replis pour Daech si l'organisation terroriste était défaite par les forces internationales en Syrie.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.