Xavier Moreau bonjour, vous êtes un Français établi à Moscou. Homme d'affaires et écrivain, vous dirigez le site d'analyse géopolitique Stratpol et vous publiez ce mois-ci un livre intitulé "Ukraine: Pourquoi la France s'est trompée" aux éditions du rocher, analyse d`Alexandre Latsa.
Sputnik: Pourquoi avoir écrit ce livre?
Xavier Moreau: J'ai voulu donner une argumentation aux Français qui croient à la nécessaire coopération franco-russe. Cette argumentation repose sur deux axes. D'une part expliquer que la France n'a pas d'intérêts en Ukraine, ni stratégiques, ni économiques. En tant que grande puissance européenne, notre objectif aurait dû être de maintenir la stabilité de la région et donc de contenir les appétits allemand, polonais et américain. D'autre part, la révolution de Maïdan n'est pas le triomphe du bien contre le mal, contrairement à ce qu'ont voulu nous faire croire les médias, les instituts et la diplomatie française.
Sputnik: Vous êtes en effet très dur avec les instituts IFRI et FRS, vous les considérez comme responsables de ce fiasco que vous dénoncez.
Xavier Moreau : Empêtrés dans leur incompétence ou leur grille idéologique, ces instituts n'ont absolu rien compris du conflit, que ce soit dans ses racines historiques ou dans son aspect économique, qui est selon moi le plus important. Thomas Gomart et Camille Grand qui dirigent l'un et l'autre l'IFRI et la FRS ont même récidivé au mois de juillet 2015 devant la commission de la Défense du Parlement français. Ils ont enchaîné des banalités pendant deux heures sur l'Ukraine et la Russie et à aucun moment ils n'ont abordé le problème économique de l'Ukraine.
Xavier Moreau: En effet, le premier de ces projets est le projet que l'on qualifierait de nationaliste en Russie et de fasciste en France. Il considère que la race ukrainienne, surtout celle des Ukrainiens de l'ouest, est la seule pure et que la race russe a été souillée par les diverses invasions. C'est une vision introduite par les Polonais au XIXe siècle lorsqu'ils ont inventé le "projet Ukraine" pour séparer la Malorussie de la Russie. C'est une vision germanique et idéologique de la nation où la langue est le vecteur qui permet de justifier la naissance d'une nation ex-nihilo, comme ce fut le cas pour la Prusse lorsqu'elle fonda l'Allemagne moderne sur les débris de l'Empire des Habsbourg. Comme le nationalisme allemand, ce nationalisme est d'autant plus violent qu'il repose sur une succession de mythes historiques. L'aboutissement du pangermanisme prussien est le nazisme, celui du nationalisme ukrainien est le bandérisme. Les deux idéologies ont les mêmes fondements philosophiques et sont intrinsèquement violentes dans leur expression.
Le second projet est le projet bolchévique de 1922, car ce sont les bolchéviques qui fondent l'Ukraine moderne et qui imposent la langue ukrainienne aux peuples vivant dans les frontières définies par Lénine. A partir des années cinquante, la République Socialiste Soviétique d'Ukraine réussit à faire vivre tous ces peuples ensemble et la propagande soviétique qui a repris le mythe du peuple ukrainien explique que ce dernier est un peuple frère du peuple russe. Aujourd'hui, grâce à cette mythologie, de nombreux Russes ou russophones se sentent encore ukrainiens malgré le gouvernement de Kiev, qu'ils considèrent comme fasciste. C'est peut-être sur ce mythe que l'Ukraine pourra se reconstruire.
Sputnik : Quel avenir attend l'Ukraine?
Xavier Moreau: Dans la mesure où l'occident ne veut ni intervenir militairement, ni financer à perte l'économie ukrainienne, comme la Russie l'a fait pendant 23 ans avant Maïdan, le sort de l'Ukraine est réglé. Cela finira par une fédéralisation ou un confédéralisation de l'Ukraine et par sa neutralisation du point de vue géopolitique. Pour les Ukrainiens de l'ouest la déception sera grande, notamment lorsqu'ils se rendront compte que l'Union européenne n'a jamais sérieusement pensé à les intégrer. Pour l'Ukraine de l'Est, malgré la désindustrialisation liée à ces 18 mois de tensions avec la Russie, le retour à des relations normales avec Moscou se traduira par un redressement économique. Kiev en tant que capitale risque d'être affaiblie. Cela aura des conséquences au niveau européen, car tous les pays verront que l'Union européenne n'a pas les moyens financiers de soutenir les gouvernements qu'elle a elle-même mis en place.
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