Car la mort du petit Aylan Kurdi a servi d'électrochoc en Europe. Alors que depuis trois ans de nombreux experts soulignaient la nécessité de s'allier avec Bachar el-Assad pour combattre les djihadistes, principaux responsables de la tragédie du flux migratoire en direction de l'Union européenne, les journalistes, sous le coup de l'émotion, semblent enfin avoir compris qu'il fallait traiter le mal à la source. Un fait semble désormais acquis: les barbares doivent être détruits.
Dès lors, quelle logique y a-t-il à s'inquiéter d'une possible intervention russe contre le même adversaire? La Russie est impliquée en Syrie depuis le début des évènements. Présente via sa base navale de Tartous sur zone, elle honore par ailleurs les contrats d'armement conclus avant le début des affrontements en Syrie, soutenant Bachar el-Assad. Le fait qu'elle réaffirme son engagement, voire qu'elle le renforce, n'a donc rien de surprenant à l'heure où tout le monde, enfin, semble avoir compris la nécessité de choisir l'adversaire à abattre entre le régime syrien et les terroristes islamistes, qui s'ingénient avec fierté à surpasser toutes les formes d'horreur connues.
On affirme, avec indignation, qu'il y aurait à présent des troupes russes au sol. Mais la Russie ne cache pas qu'elle a envoyé des conseillers militaires pour assister les troupes syriennes. Où est le problème? Combien de conseillers militaires français, britanniques, américains…opèrent-ils actuellement en Irak, formant des troupes destinées à combattre le même adversaire, l'Etat Islamique?
Les conseillers militaires russes, nous dit-on, opèreraient eux en première ligne, au front, prenant part activement aux combats. C'est possible. Quelle importance? Les forces spéciales occidentales n'opèrent-elles pas déjà sur le théâtre d'opérations irakien contre l'EI?
Mais quand bien même l'armée russe se préparerait à se déployer en Syrie, en quoi cela nous dérangerait-t-il? François Hollande a récemment souligné que la sortie de crise au Moyen-Orient requérait le concours de la Russie et de l'Iran. Cela ne se limite pas, bien évidemment, à une présence à la table de négociations…Chacun est bien conscient qu'une coalition militaire large contre l'EI exige une implication des forces iraniennes et russes. Dès lors pourquoi déclarer comme le fait Laurent Fabius « qu'il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre? » 56% des Français, selon un récent sondage (1) seraient favorables à ce que la France intervienne militairement en Syrie. Quant à nos Rafale, ce ne sont pas des tracts qu'ils vont larguer sur l'EI…Le ministre français des Affaires étrangères s'inquiète par ailleurs de savoir qui pourrait être visé par une possible offensive russo-syrienne. Mais que craint-il? Que l'EI ne soit pas le seul visé? Qu'Al Nosra et les Djihadistes qu'on nous présente comme quasi fréquentables, quatorze ans après le 11 septembre 2001, terroristes que nous avons armés, soient aussi en ligne de mire? Tous les experts savent fort bien qu'il n'existe plus, face à l'armée de Bachar, aucune force rebelle significative tenant un discours sinon démocratique, du moins modéré…
En définitive la véritable question est de savoir si Américains et Européens ne s'inquiètent pas du possible succès d'une intervention massive de Moscou et de Téhéran parce que celui-ci mettrait Russes et Iraniens en position de force à la table des négociations pour discuter des modalités d'une sortie de crise en Syrie, une fois l'Etat Islamique et Al-Qaïda, notre inavouable allié, vaincus.
La véritable question est aussi de savoir si nous ne nous offusquons pas d'une possible intervention russe parce que nous semblons, une fois de plus et une fois encore avec retard, nous aligner sur la politique que prône depuis trois ans Vladimir Poutine. Et que nous ne voulons surtout pas nous retrouver aux côtés de tels alliés, aussi circonstanciels soient-ils.
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