Les erreurs géostratégiques coûtent toujours très cher. Elles se payent par les larmes et par le sang des peuples que des hyperpuissances de type impérialiste ont soumis à leurs intérêts pervers. Une question se pose aujourd'hui, plus lancinante que jamais: Damas, tiendra-t-il?
La prise de Palmyre par les hordes sanglantes de l'EI a secoué le champ médiatique atlantiste qui s'offusquerait surtout de voir tomber les splendides colonnes d'une ville qui de par son ancienneté fait pâlir Paris. Même s'il est vrai que la perle du désert pourrait finir comme le musée de Mossoul, on en serait presque à croire que l'assassinat de ses habitants et, plus globalement, celui de millions d'innocents à travers le Moyen-Orient et l'Afrique subsaharienne a moins apitoyé la bien-pensance bruxello-washingtonienne que l'éventualité d'un acte de barbarie contre l'Histoire.
Comme il est difficile de croire à un accès altruiste aigu, peut-être faudrait-il chercher ailleurs en se rendant compte que les pyromanes crient toujours au feu quand la flamme se rapproche de leur logis et qu'ils décident de l'éteindre. Mais il faut préparer l'opinion publique comme il se doit. En ce sens, Palmyre convient à merveille: comment peut-on livrer aux mains de ces salafistes une cité où rôde encore l'âme de la glorieuse reine Zénobie, libératrice de la Syrie et du Levant dans son ensemble, parangon de tolérance religieuse et de haute culture? Livrerait-on le Louvre à des bouchers obscurantistes? De deux choses l'une: soit le Pentagone entend rétropédaler — inutile de dire que Paris en fera aussitôt autant — ayant perdu le contrôle de Daesh, soit que l'idée de frapper la Syrie qui remonte à août 2013 est réagitée par des faucons toujours influents tels que McCain.
Dans le premier cas, il faudrait savoir si la coalition est prête à mener des opérations au sol. La réponse est certainement non. Les Occidentaux seront prêts à combattre jusqu'au dernier Syrien mais pas même jusqu'au premier Britannique ou Français. Sans opérations au sol, les frappes chaotiques de la coalition n'ont aucun sens. On le voit à l'image de la progression ambiante de l'EI.
Toujours dans le premier cas, il faudrait aussi déterminer quelle est la part d'influence des USA sur le couple israélo-saoudien uni par deux ennemis communs: l'Iran et la Syrie. Or, en dehors d'une alliance opportuniste de l'Occident avec Téhéran et Damas, l'EI, avec ses clients pétroliers, ses prodigieux comptes bancaires et le soutien militaire dont il jouit, ne sera jamais défait. On sait ce que ça peut donner avec les courants d'air que nous devons à Shengen et aux travaux d'infiltration idéologique du Qatar dans les banlieues des grandes villes européennes. Feu Kadhafi et Assad n'ont jamais été ambivalents là-dessus. « A l'enfer qu'est l'Irak! » aurait dit Sadam Hussein la corde au cou, quelques secondes avant son exécution, alors même que ses bourreaux, prêts à ouvrir la trappe, l'envoyaient au diable.
Dans le deuxième cas, inutile de préciser que les frappes aériennes de la coalition soi-disant contre l'EI en Syrie augmenteront le niveau d'entropie livrant le pays au chaos total.
Que l'on apprécie ou non la politique d'Assad — et c'est de toute façon à son peuple de l'apprécier — il est très clair que la solution est à Damas. N'en déplaise à mes collègues qui au lieu de s'attaquer à l'essentiel avaient martelé que l'EI s'était emparé de Palmyre parce que c'est là que se trouvait la plus terrible prison du Moyen-Orient et qu'ils en ont libéré les détenus ce qui est hautement symbolique. De qui se moque-t-on?
Radio Sputnik. Comment définiriez-vous la façon dont les évènements de ces derniers mois évoluent en Syrie? Observe-t-on une lente mais certaine progression des forces gouvernementales à travers les zones contrôlées par les djihadistes? Qu'en est-il de l'offensive de l'EI et d'autres groupes radicaux de sensibilité salafiste? Prend-elle de l'ampleur?
Mère Agnès-Mariam de la Croix. Malheureusement, l'offensive prend beaucoup d'ampleur, que ce soit par rapport aux mouvements de l'EI qui ont récemment mis la main sur la ville multimillénaire de Palmyre — la capitale culturelle de la Syrie — mais aussi par rapport à ceux de Jabbat al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda qui s'est emparé de Jisr al-Chohour et, dernièrement, d'Idleb. Tout comme en Irak, de grandes fils de réfugiés se constituent à travers le pays et semble en appeler à la conscience de la communauté internationale. D'un autre côté, les forces gouvernementales font ce qu'elles peuvent, elles essayent actuellement d'endiguer le déploiement des djihadistes dans la région du Qalamoun frontalière du Liban.
Radio Sputnik. Dans une récente intervention, vous avez dénoncé l'incohérence totale de la politique syrienne de François Hollande. Pourriez-vous étayer SVP cette thèse? Pourquoi est-ce que selon vous cette politique reste ce qu'elle est, intransigeante et immuable en dépit du bon sens?
Radio Sputnik. Au vu des évènements tragiques qui déchirent en ce moment la Syrie depuis voilà près de quatre ans — c'est aussi le cas de l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Afrique subsaharienne — comment voyez-vous l'avenir des chrétiens de ces régions? Peut-on rester modérément optimiste?
Agnès-Mariam de la Croix. Je ne suis pas du tout optimiste. Je pense que le monde a oublié la valeur de la présence chrétienne dans des sociétés majoritairement musulmanes. Or, il s'agit d'une présence de cohésion, de responsabilisation culturelle et humaine. Bien malheureusement, il semblerait que l'objectif des grandes puissances occidentales consiste à faire revenir nos régions à un état pré-civilisationnel afin d'y instaurer le "chaos creator" qui nous avait été annoncé à l'époque par Condoleezza Rice lors de son voyage à Beyrouth, et pour implanter, ultérieurement, ce que j'ai appelé le "génie du chaos". Ce dernier constitue un crime contre l'humanité. J'espère qu'il se trouvera des personnes de bonne volonté pour créer un réseau de réinformation et de soutien afin que non seulement la présence chrétienne soit sauvegardée mais aussi la présence de toutes les composantes du riche tissu qui définit nos sociétés, moyen-orientales mais aussi nord-africaines. Il faut que des voix s'élèvent enfin et que nous traduisions les coupables, quelle que soit leur nationalité, en justice ».
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