La nouvelle doctrine sécuritaire de l’Ukraine. La France se prononce

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Au moment où les ministres des Affaires étrangères de Russie, Ukraine, France et Allemagne (« format Normandie ») rejoignent leurs efforts pour trouver une issue pacifique à la crise ukrainienne, Kiev discute de sa nouvelle doctrine sécuritaire.

Se concentre-t-elle sur la guerre civile qui fait rage depuis plus d'un an dans le Sud-Est du pays? Non. Au lieu de protéger les citoyens, surtout les civils, face à la menace intérieure, la sécurité à l'ukrainienne est orientée uniquement à l'extérieur. Aux yeux de Kiev, le danger provient de la Russie.

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L'acharnement ukrainien contre son voisin oriental s'inscrit bien dans la logique de l'OTAN et des Etats-Unis qui voient la Russie comme « ennemi numéro un » (conformément à la nouvelle doctrine américaine de sécurité). Selon le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense ukrainien (SNBO) Alexandre Tourtchinov, l'Ukraine a l'intention de mettre en place un bouclier antimissile et d'adopter les standards de l'OTAN. Elle prévoit également de renforcer ses relations avec les Etats-Unis « en tant que garant de la sécurité internationale dans l'espace euroatlantique ».

Il est clair que l'Ukraine se dirige à grands pas vers l'Alliance transatlantique, voire veut aller plus loin. Le pays projette d'augmenter les dépenses militaires du 1,42% à 5% du PIB. Ce chiffre dépasserait même les 2% que les pays membres de l'OTAN se sont engagés de dépenser pour la défense d'ici 2024!

Rien qu'à voir les modalités de la nouvelle doctrine sécuritaire de l'Ukraine, on constate que le pays se prépare à la guerre.

Le général de division Jean-Claude Allard, spécialiste de politique de défense et de sécurité, nous a fait l'immense honneur de donner son opinion.

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Jean-Claude Allard. « Cette doctrine, comme toute doctrine de sécurité d'un Etat, est basée sur l'analyse des menaces extérieures. La Russie est vue comme l'agresseur de premier rang et la menace principale. Le problème particulier pour l'Ukraine est qu'au-delà d'une vision extérieure, il y a une nécessité d'avoir une vision intérieure parce que le problème sécuritaire majeur pour l'Ukraine c'est d'abord l'éclatement national, l'éclatement national qui préexistait à toute prise de position russe (je pense, notamment, à l'histoire de la Crimée). La nouvelle doctrine de sécurité ne dit pas comment la guerre civile doit être traitée et comment on va avancer dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Il y a des dispositifs principaux qui sont de dire « nous avons une menace extérieure, donc nous devons nous en protéger, nous nous rapprochons de l'OTAN », ce qui n'est pas gagné, et « on va voir quelles vont être les réactions des membres du groupe dit de Normandie qui se sont réunis lundi après-midi, c'est-à-dire la Russie, l'Ukraine, la France et l'Allemagne ». Quelle va être leur position sur cette doctrine de sécurité s'ils en parlent? Je pense qu'ils devraient en parler parce qu'on s'aperçoit que la France et l'Allemagne, jusqu'à présent, ne sont pas très favorables à un rapprochement de l'OTAN et de l'Ukraine. La Russie ne l'est absolument pas, bien entendu, donc les discutions ministérielles au format Normandie devraient essayer aussi de traiter cette question.
Lorsqu'il y a une guerre civile, il faut avoir envie de gagner la guerre, donc avoir une doctrine de sécurité, mais aussi savoir gagner la paix. C'est très compliqué lorsqu'il y a deux nations qui sont en guerre. Je vais prendre l'exemple de la France et l'Allemagne qui, depuis 1870, se sont opposées. Il a fallu attendre la Seconde guerre mondiale et le traité de l'Elysée de 1953 pour qu'ils se mettent d'accord, or, s'étaient deux nations. Quand c'est une guerre civile, comme en Ukraine, ça va être encore plus compliqué, surtout lorsqu'il y a des milices qui se mettent en jeu. C'est le cas actuellement. Le gouvernement de Kiev a coupé un petit peu les vivres aux indépendantistes de l'Est et les conditions de la construction de la paix sont rendues chaque jour plus difficiles à cause de ces antagonismes. Je regrette que la doctrine de sécurité ne se préoccupe pas de cet aspect des choses. »

Sputnik. Qu'est-ce que les dispositifs de cette doctrine vont changer dans les relations au sein du triangle OTAN-Russie-Ukraine?

Jean-Claude Allard. « Avant cette crise qui a débuté maintenant il y a plus d'un an, l'Ukraine était une charnière entre deux ensembles: l'ensemble russe, d'une part, et l'ensemble dit occidental. C'était une charnière et un pont. Lorsqu'il y a une charnière, c'est comme lorsqu'il y a une porte et un mur, on pivote autour de la charnière. Mais là, si l'OTAN s'empare de la charnière, les éléments vont être déséquilibrés et il y aura des très fortes tensions entre l'OTAN qui aura avalé la charnière et la Russie. Il est clair que l'on va monter vers des tensions encore beaucoup plus importantes et c'est dommageable. »

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Sputnik. Qu'est-ce qui pourrait être, à votre avis, derrière cette doctrine sécuritaire? Serait-ce une sorte de tentative de « provoquer » la Russie ou de réelles intentions de l'Ukraine en vue d'adhérer à l'OTAN?

Jean-Claude Allard. « Je pense que ce n'est pas vraiment une provocation. L'Ukraine fait quand-même une analyse, incomplète, comme je d'une menace russe à l'Est et, logiquement, veut se rapprocher de l'OTAN qui est considérée comme une alliance importante, militairement parlant. Elle cherche une protection. Je ne pense pas que ce soit une démarche de provocation vis-à-vis de la Russie, c'est une démarche de peur premièrement, c'est une démarche de crainte et c'est une démarche qui ne tient pas compte de tous les paramètres, je reviens toujours à cette affaire de guerre civile. De toute façon, au plan militaire par exemple, l'Ukraine a, depuis quelques années, développée un axe entre la Lituanie et la Pologne avec une brigade commune. Cela veut dire qu'elles veulent se rapprocher. Et comme la Pologne et la Lituanie sont dans l'OTAN, la démarche de l'Ukraine c'est de ce dire « moi aussi, je vais y aller ». C'est une démarche qui peut paraître naturelle mais qui risque d'enflammer la situation. »

Sputnik. Je voudrais revenir sur la rencontre au « format Normandie »: comment cette nouvelle doctrine sécuritaire, si elle est adoptée, s'inscrit-elle dans le règlement pacifique de la crise?

Jean-Claude Allard. « Je pense qu'elle est un peu déséquilibrée parce que le règlement pacifique de la crise, puisque que nous sommes dans une guerre civile, voudrait que l'on cherche les moyens de réconcilier tout le monde. L'Ukraine dit qu'elle veut protéger ses frontières qui englobent tout l'ensemble, y compris l'Est. Si elle arrive à sécuriser ses frontières, cela veut dire que toutes ces populations qui sont aujourd'hui révoltées contre le gouvernement central devront vivre avec l'Ukraine. Par conséquent, il faudra avoir vis-à-vis de ces populations une attitude qui permette de satisfaire un certain nombre de revendications politiques qu'elles ont afin d'éviter d'avoir un pays avec une guerre civile qui perdure pendant des années. Evoquer aujourd'hui une doctrine sécuritaire tournée vers l'extérieur dès à présent est une démarche qui, à mon sens, est insatisfaisante vu la situation. »

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Sputnik. La doctrine sécuritaire de l'Ukraine prévoit, entre autres, la création d'un bouclier antimissile. Est-ce que l'Ukraine est dans la mesure de le faire?

Jean-Claude Allard. « Elle n'a pas les moyens de le faire. Est-ce que cela signifie que l'Ukraine dit « j'ai besoin d'un bouclier anti-missile, je voudrai le faire, mais n'en ayant pas les moyens, je vais me tourner vers le bouclier anti-missile qu'est en train de mettre en place l'OTAN »? C'est, sans doute, une première étape vers l'idée d'intégrer ultérieurement le dispositif de l'OTAN.

Il faut attendre avant de valider la nouvelle doctrine sécuritaire de l'Ukraine sur des bases aussi nettes et tranchées vis-à-vis de l'OTAN et vis-à-vis de la Russie, parce que ça risque d'entrainer des conflits et des tensions majeures en Europe. »

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