Les conséquences de l’appréciation du Rouble

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On a donc montré dans une précédente chronique que le rouble connaissait une forte dynamique d’appréciation. Ceci doit être resitué dans le contexte de l’évolution et de la transformation de l’économie russe depuis maintenant plus de vingt ans.

Il est connu, et démontré, qu'une surévaluation de la devise nationale peut avoir des effets destructeurs sur le tissu industriel du pays, sauf si ce dernier est capable de dégager des gains de productivités (relativement à ses principaux concurrents mondiaux) qui permettent de compenser les effets de cette surévaluation. Telle fut la stratégie de l'Allemagne à partir de 1960. Mais, il faut aussi savoir que seuls un nombre limité de pays peuvent réussir ce pari.

La dynamique du Rouble en longue période

Le Rouble a une tendance générale, depuis 2002, à s'apprécier. Ceci est largement le produit des exportations des matières premières de la Russie. Rappelons que le prix du pétrole, que l'on peut considérer comme bas aujourd'hui, est en réalité élevé si on le compare à ce qu'il faut dans les années 1998-2000 (56 dollars le baril contre environ 18-20 dollars le baril). Il est donc logique que l'on ait une tendance à l'appréciation du Rouble. La réaction normale du gouvernement aurait dû être de développer massivement les investissements susceptibles de produire des gains importants de productivité, soit les investissements en capital, en éducation, en santé et en infrastructures. On sait même, depuis de nombreuses années, que les investissements publics ne sont pas contradictoires avec les investissements privés et servent même à crédibiliser ces derniers.

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Comment va le Rouble ?
En un sens, ceci fut fait de 2004 à 2008. Les gains de productivité furent d'ailleurs importants à cette époque. Pourtant, cette politique ne fut peut être pas poursuivi avec la constance qui aurait été nécessaire, et ce en particulier entre 2008 et 2012. La hausse de la productivité a ralenti, même si elle reste un peu plus importante que dans les pays occidentaux. Cette situation fait du taux de change du Rouble une variable importante pour le développement de l'économie.

A cela s'ajoute un autre problème: celui de la circulation financière en Russie. Une observation récemment faite par Evgueni Primakov est sur ce point aussi intéressante: «…dès les années 1990, notre système bancaire a eu recours, et continue à le faire, non pas à un financement issu de l'épargne intérieure, mais à des ressources financières provenant de l'étranger, qui semblent moins chères. La crise précédente autant que l'actuelle, montrent que ces emprunts étrangers sont loin d'être peu coûteux. Par conséquent, les banques exigent aujourd'hui un soutien énorme de la part du Trésor ». En fait, les banques, mais aussi les entreprises, ont empruntés des sommes considérables à l'étranger pour financer tant leur croissance externe (par acquisition d'entreprises étrangères) que leurs investissements en Russie. On peut regretter cette situation, et considérer que, compte tenu de l'importance de l'épargne (des ménages et des entreprises) en Russie, il eut été plus raisonnable d'utiliser plus et mieux les ressources financières du pays plutôt que de les thésauriser. Mais il en est ainsi. Il en découle que le taux de change a donc une influence très importante sur l'endettement externe. De ce point de vue, on perçoit le conflit d'intérêt. Une dépréciation du Rouble avantage les industriels et généralement les producteurs, mais pèse lourdement sur la structure d'endettement. Inversement, une appréciation du Rouble pénalise les producteurs, mais allège le poids de l'endettement.

Les conséquences de l'appréciation actuelle

La tendance haussière que l'on connaît actuellement doit être mise en perspective de la très grande dépréciation que le Rouble a connue depuis le début de 2014. Or, le Rouble était surévalué d'environ 15% au début de 2014. Il faut donc avoir en tête le niveau d'équilibre (du point de vue de la compétitivité de l'économie russe) du Rouble, et ceci d'autant plus que la très forte dépréciation a engendré une inflation importante (16,9% de mars 2014 à mars 2015). C'est ici que se manifeste un troisième effet de la dépréciation ou de l'appréciation du Rouble. Quand il se déprécie, il fait monter le prix en roubles des produits importés. Quand il s'apprécie il fait baisser ce prix. On peut considérer que le taux d'équilibre, calculé à partir du niveau atteint à la fin mars 2014, et qui s'était avéré très profitable pour les producteurs russes, se situe donc à 43 roubles pour 1 dollar et 50 roubles pour 1 euro. Si le taux de change actuel du Rouble se situe à prés de 20% en dessous du niveau d'équilibre pour le dollar, il n'est plus qu'à 10% pour l'Euro.

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Jim Rogers recommande d'acheter des roubles
Or, près de 40% des importations russes viennent de la zone Euro. En fait, compte tenu des différences entre les taux d'inflations des pays de la zone Euro, on peut penser que l'on est très près du niveau d'équilibre par rapport à l'Italie, mais que le Rouble reste sous-évalué par rapport à l'Allemagne.

Deux remarques s'imposent. Tout d'abord, le pouvoir d'achat des consommateurs russes (pour des produits importés issus de la zone Euro) s'est donc fortement apprécié et, aujourd'hui, il semble comparable à ce qu'il était au début du mois de novembre 2014; par ailleurs, les effets positifs sur la production industrielle russe, et en particulier l'impulsion forte sur la substitution aux importations qui a tirée la production industrielle dans la seconde partie de l'année 2014 sont en train de disparaître. La stabilisation du taux de change du Rouble s'imposera probablement dès la fin du mois d'avril, et la Banque Centrale semble d'ailleurs être en train d'acheter des devises. Ensuite, il est clair que l'appréciation du Rouble va avoir pour effet de modérer les tendances inflationnistes. Le taux d'inflation devrait donc progressivement baisser et atteindre, en glissement (soit en calcul d'un mois d'une année par rapport au même moi de l'année suivante) environ 11% d'ici la fin de l'année.

La politique de la Banque Centrale mise en cause

Ceci va poser le problème de la politique de la Banque Centrale et des instruments qu'elle peut utiliser. Avec la baisse de l'inflation, les taux d'intérêts réels vont augmenter fortement, pénalisant l'investissement des entreprises et la consommation des ménages. Si une baisse du taux directeur qui était de 14% depuis le 16 mars dernier à 12% est envisageable, il faut comprendre que ce taux se traduit par des taux emprunteurs pour les clients réels (entreprises et ménages) bien plus élevés. Le dilemme pour la Banque Centrale est donc soit de baisser fortement les taux, relançant l'investissement mais ouvrant la porte çà la possibilités de nouvelles spéculations, soit de maintenir les taux à des niveaux élevés, mais en comprimant plus que de raison l'investissement. Une politique de taux élevés tant d'ailleurs à reproduire la situation que la Russie a connue depuis une quinzaine d'années, en favorisant l'emprunt à l'étranger et donc l'endettement externes des banques et des entreprises. Ceci pose en réalité la question de la structure générale du système financier en Russie.

L'ouverture du système financier russe est bien entendu nécessaire si l'on raisonne à moyen ou long terme. Mais, l'ouverture à tous les flux de capitaux, et en particuliers aux flux spéculatifs, conduit à lier les mains de la Banque Centrale et l'empêche d'avoir une politique adaptée aux besoins du développement de l'économie russe. Or, si l'industrie s'est bien relevée à partir de l'effondrement des années 1990, le niveau de production reste globalement inférieur à ce qu'il était en 1991. La Russie a donc besoin d'une politique d'investissement, et ces investissements — qu'ils soient publics ou qu'ils soient privés — impliquent des taux d'intérêts réels faibles, voire négatif.

La doctrine de la Banque Centrale est actuellement celle du ciblage d'inflation (Inflation Targeting) même si elle a du prendre en compte un objectif implicite de taux de change. Le choix du ciblage d'inflation, et ce fut dit il y a déjà plusieurs années, ne permet pas de mener une politique adaptée aux besoins de la Russie. La politique de la Banque Centrale doit donc aussi prendre en compte les besoins de financement de l'économie. Cela implique de reconnaître qu'il faut prendre en compte la question de l'incertitude radicale. Cette question est d'une importance capitale pour l'investissement, en particulier dans la période actuelle. Elle fut abordée par Edmond Malinvaud dans les années 1980. Cette question de l'incertitude a reçu, vers la fin des années 1990 un regain d'attention. Mais elle ne pourra le faire qu'en retrouvant son autonomie par rapport au marché mondial.

Ceci implique que des mesures de contrôles des flux de capitaux à court terme soient introduites. Il faut ici souligner le fait qu'un document du FMI indique que de tels contrôles devraient logiquement faire partie des instruments monétaires pour les banques centrales des pays émergents. En fait, les marchés financiers ne sont pas de bons guides quand ils sont laissés à leur seul libre-arbitre sur la question de l'investissement.

A Russian ruble coin is pictured in front of the Kremlin in in central Moscow, on November 6, 2014 - Sputnik Afrique
Bloomberg: le rouble, monnaie la plus performante du monde
Le mouvement actuel d'appréciation du Rouble, s'il correspond en un sens à un « retour à la normale » repose des problèmes de fond quant au développement de l'économie russe et au choix qui devront être faits quant à la politique monétaire et financière.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


1 On consultera le chapitre 3 du World Economic Outlook d'avril 2015, publié par le FMI, et rédigé par Patrick Blagrave, Mai Dao, Davide, Furceri (responsable du groupe), Roberto Garcia-Saltos, Sinem Kilic Celik, Annika Schnücker, Juan Y.pez Albornoz, and Fan Zhang, avec l'assistance technique de Rachel Szymanski.

2 D.A. Aschauer, "Is public expenditure productive?", in Journal of Monetary Economics, vol. XXIII, n°2, mars, 1989, pp. 177-200. Idem, "Why is Infrastructure Important?", in A. H. Munnell, (ed.), Is there a Shortfall in Public Capital Investment, Federal Reserve Bank of Boston, Boston; et R. Ford & P. Poret, "Infrastructure and Private-Sector productivity", OCDE, Departement d'économie et statistique, Working paper n°91, OCDE, Paris, 1991

3 Primakov E. « Les quatre erreurs de notre économie », publié en russe le 4 avril 2015 sur le site http://ruskline.ru/news_rl/2015/04/04/evgenij_primakov_chetyre_oshibki_nashej_ekonomiki/

4 Sapir J., « What Should Russian Monetary Policy Be » in Post-Soviet Affairs, Vol. 26, n° 4, Octobre-Décembre 2010, pp; 342-372.

5 Malinvaud, E, « Profitability and investment facing uncertain demand », Document de travail de l'INSEE, n° 8303, Paris, 1983

6 Malinvaud, E., « Capital productif, incertitudes et profitabilités », Document de recherche de l'IME, Université de Dijon, n°93, 1986.

7 Carruth A., Dickerson A. et Henley A. (2000), « What Do We Know About Investment Under Uncertainty? », Journal of Economic Surveys, vol. 14, n° 2, pp. 119-153; Bourdieu J, Benoît Cœuré et Béatrice Sédillot « Investissement, incertitude et irréversibilité », Revue économique, Volume 48, n°1, 1997. pp. 23-53

8 Ostry Jonathan D., Atish R. Ghosh, Karl Habermeier, Marcos Chamon, Mahvash S. Qureshi, and Dennis B.S. Reinhardt, Capital Inflows: The Role of Controls, IMF staff position note, février 2010, FMI, Washington DC.

9 Arestis, P., Ana Rosa González et Óscar Dejuán, « Investment, Financial Markets, and Uncertainty », The Levy Economics Institute, Working Paper n° 743, décembre 2012

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