Cette hausse s'est accélérée de manière spectaculaire depuis la fin mars (Graphique 1 et 2). Durant ces deux derniers mois, le Rouble s'était fortement apprécié, que ce soit par rapport au Dollar des Etats-Unis (USD) ou que ce soit par rapport à l'Euro (Eur). L'ampleur des gains cependant varie. Elle atteint 26,7% par rapport au Dollar et 31,1% par rapport à l'Euro. La différence entre les rythmes d'appréciation recouvre les différences de mouvements entre le Dollar (qui s'est apprécié fortement face à l'Euro) et l'Euro. Il faut en comprendre les conséquences.
Source : Banque Centrale de Russie
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Ces mouvements traduisent donc l'existence de pressions haussières sur la devise russe. Ils correspondent tout d'abord au fait que la phase de forte spéculation contre le Rouble est terminée et que les investisseurs sont désormais attirés par une devise (et des titres financiers) largement sous-évaluée. Mais il faut aussi regarder les conditions d'offre et de demande pour le Roubles et les devises étrangères sur le marché des changes en Russie.
Source: Banque Centrale de Russie
Si l'on compare cette offre de devise au solde financier (Graphique 4), on peut avoir une vue globale de la situation sur le marché des changes.
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La balance financière a toujours montré un déficit, correspondant soit à des acquisitions d'entreprises à l'étrangers, soit à des remboursements d'emprunts, et bien entendu — mais surtout dans les années 1990 et le début des années 2000 — à une « évasion » de capitaux essentiellement liée à des opérations frauduleuses et à de l'évasion fiscale. Mais, ce dernier était largement compensé par le solde commercial positif. C'est pourquoi, jusqu'à la fin de 2013, il y avait une tendance à l'appréciation du Rouble. Les investisseurs étrangers ont commencé à quitter la Russie au deuxième semestre de 2013, et ce mouvement s'est accéléré au premier trimestre de 2014. Cela a entraîné une première dépréciation du Rouble. Mais, il faut ici ajouter que la politique de la Banque Centrale a certainement joué. En fait, le Rouble était surévalué à la fin de 2013. Le changement de politique de la Banque Centrale a provoqué une baisse du Rouble dès le mois de janvier, soit bien avant que la crise ukrainienne n'atteigne son point explosif, et bien avant le référendum sur la Crimée. En fait, le Rouble s'est stabilisé lors du second trimestre de 2014 et n'a recommencé à baisser que vers la fin de l'été, quand le prix du baril s'est effondré. Cette dépréciation pouvait alors être considérée comme « normale ». Le problème du taux de change n'a pris une dimension critique qu'au quatrième trimestre de 2014.
La combinaison de pics de remboursements que devaient faire les entreprises et les banques russes, et des mesures prises par les Etats-Unis pour empêcher que les banques occidentales ne consentent de nouveaux crédits, a provoqué un solde financier très fortement négatif. Il atteint les 77 milliards de dollars pour le quatrième trimestre, dont —35 milliards rien que pour le mois de décembre. Le solde commercial reste autour de 40 milliards, et le déficit sur le marché des changes atteint donc les 37 milliards. Ceci est accentué par des mouvements de spéculation contre le rouble, mouvements qui expliquent l'extrême instabilité du taux de change. Ajoutons que, sur le marché du Dollar pour les particuliers, les ventes de dollars ont aussi explosées au quatrième trimestre de 2014, montrant l'existence d'une forte épargne de précaution en dollars (Graphique 5).
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Le solde (ventes — achats) a atteint 7,8 milliards de dollars pour le quatrième trimestre 2014. Mais, ce mouvement — dans lequel on peut voir une inquiétude pour la situation des banques et donc la volonté de détenir directement du dollar-papier — semble s'être calmé dès le mois de février 2015.
Il n'en reste pas moins que cela n'explique pas l'accélération de ces dernières semaines. Cette accélération a même permis à la Banque Centrale de commencer à reconstituer ses réserves. On peut penser que cette accélération est liée aux gains potentiels que de nombreux investisseurs discernent désormais dans l'économie russe. Ces investisseurs, essentiellement des fonds de pensions ou des fonds spéculatifs, anglo-saxons interviennent sur la marché russe en passant par Shanghai ou Singapour et en utilisant le Yuan. Or, c'est un raisonnement qui confine à la prophétie auto-réalisatrice. Vous pensez qu'il y a des « bonnes affaires » à faire en Russie car sa monnaie est sous-évaluée et ses entreprises solides. Vous achetez donc des actions ou des obligations libellées en roubles. Dans le contexte de la fin du premier trimestre, cela provoque une forte demande pour le rouble et une forte offre des devises. Le Rouble s'apprécie, validant votre calcul et attirant de nouveaux spéculateurs, dont les achats vont contribuer à faire monter encore plus le Rouble.
Mais, la question se pose: cette appréciation du Rouble n'est elle pas trop rapide? Quelles sont les conséquences de court et de long terme que l'on peut en attendre? De cette question en découle une autre: comment peut évoluer la politique monétaire dans les mois qui viennent?