Georges Estievenart se préoccupe beaucoup des problèmes de la sécurité en Europe. Voici ce qu'un chercheur chevronné, ancien haut-fonctionnaire à Bruxelles, pense de la conjoncture actuelle d'un conflit qu'il suit de près.
Question. Vous êtes un haut spécialiste des problèmes sécuritaire en Europe, vous avez collaboré avec Bruxelles… Vous travaillez dans le cadre des deux think tanks parisiens d'une importance stratégique pour la France. Que pensez-vous de la situation actuelle en Ukraine, surtout dans le cadre de la visite à Paris de M.Klimkine, ministre des Affaires Etrangères d'Ukraine?
Georges Estievenart. Evidemment je ne suis pas sur place. Je suis donc obligé d'avoir mon jugement à travers surtout l'information qui me vient de là-bas. Je constate surtout que malgré les difficultés de l'Ukraine qui sont grandes — économiques et puis celles de trouver aussi un consensus à l'intérieur du pays sur le sort à réserver dans l'avenir aux provinces de l'Est. Malgré tout cela et à la suite de la signature de l'accord de Minsk du 12 février dernier, je dois constater que la situation est bien moins mauvaise qu'elle ne paraît l'être encore aujourd'hui.
Je crois encore une fois qu'un mécanisme de rencontre et de négociations se poursuit un petit peu partout — en Ukraine, mais aussi ici en Europe. Les passages fréquents à Paris en témoignent; Et bientôt il y aura d'ailleurs une rencontre très importante des ministres des affaires étrangères à Bruxelles.
Q. Quid des retombées pratiques de la visite de M. Klimkine, peut-on déjà se prononcer ou il est trop tôt pour cela?
Georges Estievenart. Il est un peu difficile de pouvoir juger les retombées concrètes immédiates de cette visite. Je crois d'ailleurs qu'elle avait surtout pour but de préparer les rencontres qui suivent. Et notamment la visite prévue du président Porochenko à Paris le 22 avril. Mais je crois aussi qu'ils discutent d'une mise en œuvre des 13 points des accords de Minsk qui est un accord quand même extrêmement complet. Et au fur et à mesure qu'on avance dans le temps et que les réalisations sont constatées, j'ai l'impression qu'on fait tout de même des progrès importants vers une stabilisation et peut-être une pacification du conflit;
Georges Estievenart. Je pense qu'effectivement c'est un thème difficile et acceptable à la fois par les séparatistes ukrainiens et par la Russie. Ca va être certainement l'un des sujets majeurs justement qui vont faire l'objet de la discussion des ministres à Bruxelles du format Normandie. Il y a derrière ça un problème qu'il ne faut pas nier! L'OSCE rencontre des difficultés dans le contrôle de la mise en œuvre de l'accord.
Mais il y a peut-être d'autres moyens que le recours à une force internationale qui exige une décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Tout ça ne sera pas facile et forcément il faudra l'accord de la Russie. Si sans aller jusque là, il y a peut-être les moyens de renforcer le dispositif OSCE en place actuellement qui sont, eux, par contre négociables et qui ne reviendraient pas sur le principe même de ce contrôle exercé par l'OSCE tel qu'il est prévu dans l'accord de Minsk.
Moi, je crois, à titre de conclusion générale, bien difficile de bouger au cours de cette année-là par rapport au texte de Minsk 2. Le respect du texte de Misnk 2 et son exploitation maximale me paraissent vraiment une solution optimale dans l'immédiat.
Georges Estievenart. Je ne sais s'il y est allé un peu vite, mais il est sûr qu'il est allé un peu trop loin en tout cas dans ses comparaisons! (Rire) Tous les jours sur la scène politique entre des adversaires on a ce genre d'échanges. On peut bien que M.Porochenko est soumis à l'intérieur même de son pays à des pressions et des tensions énormes. Mais je crois que personne n'a intérêt à cautionner ou à prendre à son compte ce genre de propos.
J'ai l'impression encore une fois qu'il faut attacher beaucoup d'importance au rôle qui était joué par le tandem franco-allemand dans ce processus et au fait que la Russie semble en avoir tenu compte puisque bon an mal an la mise en œuvre de l'accord de Minsk progresse pour l'instant. Et on espère que ça va continuer ainsi. Du côté franco-allemand, à l'intérieur de l'UE à 28 partenaires, on a des positions qui sont intermédiaires entre ceux qui auraient plutôt une attitude dure et, le cas échéant, belliqueuse vis-à-vis de la Russie et puis ceux qui pensent qu'il vaut mieux être complètement passifs.
Les positions franco-allemandes ne sont pas celles-là. La traduction d'une position raisonnable et raisonnée et qui tient compte dans le processus des intérêts russes et qui va essayer de pousser à chercher avec l'UE à retrouver une relation vraiment constructive, indispensable entre l'UE et la Russie; Je crois beaucoup plus à ce genre d'attitude et certainement que ce tandem franco-allemand ne va pas du tout reprendre à son compte des comparaisons historiques que tout le monde peut faire et qui, en même temps, n'ont pas de substance.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.