Ce qui importe beaucoup plus c'est le dossier naval russe en passe d'être tranché entre Damas et Moscou. Aussi bien acteur qu'observateur, Thierry Meyssan le Damasquin nous fait part de son commentaire qui se détache crûment sur le fond policé et tout vernis de la pensée académique française représentée par Hélène Carrère D'Encausse.
Question. Quel est votre commentaire sur la Syrie? On pense notamment au Daesh et aux conflits proche-orientaux…
Q. Il y a à peu près un mois, Hélène Carrère D'Encausse s'est prononcée sur la question ukrainienne et la Syrie. Selon elle, la Russie continuerait à jouer le rôle crucial au Proche-Orient tant que la Russie resterait en bons termes avec l'Europe! Elle aurait dit également que le jour où Obama décide de pacifier avec l'Iran et la Syrie, il aurait besoin de la Russie, car il ne peut se passer d'elle. Qu'en pensez-vous?
Thierry Meyssan. Je pense qu'encore une fois Madame D'Encausse est complètement à côté de la plaque! Ce qui se passe est complètement différent! En fait, il y a trois ans, les Etats-Unis avaient pour projet de partager le Proche-Orient avec la Russie. Cela a été l'objet de la Conférence de Genève 1, en juin 2012. Et au moment où les Etats-Unis étaient vraiment prêts à faire ce partage, car ils pensaient que cela leur éviterait d'avoir un très grand déploiement militaire au Proche-Orient, et cela leur permettrait de geler la question israélienne parce que la Russie ne laisserait pas tomber Israël où il y a plus d'1 Million d'anciens ressortissant de l'URSS, à ce moment les Etats-Unis ont changé d'avis et ont commencé à prendre la Russie en grippe.
Et tout cela a progressivement dégénéré jusqu'à l'affaire ukrainienne.
Si ça a lieu, c'est à la fois une bonne nouvelle pour la Russie qui aura la paix pendant dix ans au Proche-Orient, sauf peut-être au Yémen qui restera en dehors de ces accords. Mais c'est aussi quelque chose qui est défavorable à la Fédération de Russie puisque l'Iran prend alors au Proche-Orient la place que l'Union Soviétique avait lassé vacante: pendant l'entre-deux guerres, le Proche-Orient était divisé entre Moscou et Washington! Là, la Fédération de Russie doit abandonner cette ambition pour le Proche-Orient!
Cependant, s'il y avait une paix régionale, il est clair que la Russie pourrait rejouer un grand rôle économique dans cette région, mais pas nécessairement politique et militaire!
Q. Que pensez-vous du port de Tartous en passe de devenir la base principale pour la flotte russe de Méditerranée?
Commentaire. L'Iran n'est vraiment pas facile à digérer. Les passionnés du chiisme représentent une communauté qui raisonne en fonction des dogmes qui sont souvent à cent lieues de la realpolitik régionale. De quoi rendre Israël coléreux. On comprend bien que les Israéliens sont habitués à tous les retournements de la situation depuis la Guerre de 6 jours. Mais la nécessité de cohabiter avec une zone en pleine expansion pro-iranienne a de quoi donner du fil à retordre à Tel-Aviv! En tout cas la Russie fait d'une pierre deux coups: elle traite avec les Américains qui se croient être joliment tirés de l'impasse et, en même temps, elle bichonne le dossier naval en faisant un travail stratégique et de longue-haleine qu'est le binôme des bases entre Chypre et Syrie. Le jeu en devient encore plus serré et les mises américaines en pâtissent.