Il y a 75 ans, le 23 août 1939, était signé l'un des documents diplomatiques les plus connus de l'histoire — le Pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique (que nous appellerons "Pacte"). Ignorant l'appellation officielle du texte, les politiciens et les journalistes occidentaux parlent en général de "pacte Molotov-Ribbentrop". Hier l'URSS, aujourd'hui la Russie, sont pointées du doigt: l'Occident affirme qu'en signant ce Pacte avec l'Allemagne hitlérienne le Kremlin a fait de notre pays un complice des nazis dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cette affirmation est un mensonge cynique et effronté destiné à rejeter la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale sur les Russes.
Qui a libéré Hitler des "chaînes de Versailles"
Les premiers pas vers la guerre ont été faits par les Anglais et les Français rapidement après l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne. Moins de six mois plus tard, le 15 juillet 1933, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie signaient à Rome le Pacte d'entente et de collaboration. La République de Weimar était tenue en "laisse courte" par Londres et Paris, qui ont par là-même introduit l'Allemagne hitlérienne dans le cercle des grandes puissances et commencé à parler avec elle sur un pied d'égalité.
Les démocraties occidentales n'ont pas omis le fait que depuis longtemps, Hitler appelait les Allemands à une marche vers l'Est pour s'emparer des ressources et d'un "espace vital". En signant le Pacte d'entente et de collaboration, le dirigeant du Troisième Reich a non seulement connu un grand succès diplomatique, mais a également lancé le Drang nach Osten — la "Marche vers l'Est", vers les "grandes étendues russes" — qui répondait parfaitement aux intérêts de Londres et de Paris. Ces derniers ont donc poussé les nazis dans cette direction. Il est à noter qu'en maudissant le pacte Molotov-Ribbentrop, l'Occident omet sciemment d'évoquer le Pacte d'entente et de collaboration, qui a donné naissance à la politique de "pacification de l'agresseur" aux dépends des territoires et des intérêts des pays tiers.
L'attaque suivante contre ce traité a été portée en 1936, quand Hitler a occupé la Rhénanie perdue par l'Allemagne en 1919. Londres et Paris n'ont pas réagi. Puis a commencé la guerre civile en Espagne, où l'Allemagne et l'Italie ont soutenu le général Franco. L'Espagne devient alors un polygone où les "surhommes" allemands acquièrent une expérience de combat précieuse.
Complot de Munich
Le partage du territoire de la Tchécoslovaquie démocratique et pacifique, en l'absence de ses dirigeants mais entre des dictateurs sanguinaires, en parfaite violation de la Constitution de ce pays n'a dérangé ni Chamberlain ni Daladier. En revanche, ils se sont réjouis de voir l'URSS incapable d'aider la Tchécoslovaquie malgré ses tentatives, qui s'était elle-même retrouvée isolée sur l'arène internationale.
Aveuglé par son "euphorie", Chamberlain a "oublié" qu'en partant en Munich il avait promis au gouvernement tchécoslovaque de tenir compte des intérêts de la Tchécoslovaquie. En réalité, il s'en souvenait autant que les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de la France et de la Pologne se rappelaient de leurs promesses faites au président ukrainien Viktor Ianoukovitch en février 2014. Par contre, Chamberlain n'a pas oublié, le 30 septembre, de signer une déclaration de non-agression avec Hitler. Selon l'historien Oleg Rjechevski, tout comme l'accord entre Paris et Berlin du 6 décembre 1938, c'était en fait un pacte de non-agression.
En septembre 2013, les accords de Munich et le pacte Chamberlain-Hitler ont fêté leur 75e anniversaire. Ces dates ont été ignorées par l'Occident et sa "cinquième colonne" en Russie pour des raisons évidentes. Ce qu'on comprend moins, c'est pourquoi un événement clé dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a été ignoré par pratiquement tous les médias russes. Il faut rappeler à nos collègues étourdis que la Russie fait l'objet d'une guerre médiatico-psychologique d'envergure, impitoyable, et que c'est plus qu'une erreur de continuer de jouer à "qui perd gagne" avec l'Occident dans la partie historique qui se joue sur le front médiatique.
La paille et la poutre
Au long des années 1930, jusqu'au 23 août 1939, le gouvernement stalinien de l'Union soviétique a mené obstinément une politique de "sécurité collective". Le malheur de Moscou — et pas sa faute — était que les efforts des "pacificateurs de l'agresseur" l'avaient poussé à y renoncer. Le tournant dans la politique étrangère du Kremlin a été précédé par des négociations trilatérales entre les missions militaires britannique, française et soviétique à Moscou. Les Britanniques et les Polonais sont responsables de leur échec. Les premiers, visant à empêcher le rapprochement de l'URSS et de l'Allemagne, menaient les négociations pour la forme. Les seconds, comptant vainement sur Paris et Londres, ont catégoriquement refusé l'aide militaire de l'URSS, bien que le couperet allemand pende déjà au-dessus de leur pays.
"Le pacte germano-soviétique n'était pas une alliance, c'était un échange de promesses de non-agression et de neutralité… L'Occident a fait énormément de bruit concernant les crimes de la Russie soviétique, qui avait conclu un accord avec la puissance fasciste. On comprenait difficilement les reproches des politiciens britanniques et français, qui avaient activement contribué au partage de la Tchécoslovaquie et cherchaient même à passer un nouvel accord avec l'Allemagne via la Pologne", note l'historien britannique Alan John Percival Taylor.
Cependant, on continue d'entendre des reproches de la part de ceux qui voient la paille dans l'œil de leur voisin, mais pas la poutre dans le leur.
Une session extraordinaire du Conseil suprême de l'URSS s'est tenue le 31 août 1939. Dans son allocution, le président du Conseil des commissaires du peuple de l'URSS et des Affaires étrangères Viatcheslav Molotov avait déclaré:
"Le Pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne marque un tournant dans l'histoire de l'Europe, et pas seulement de l'Europe… Cet accord (tout comme les négociations britanno-franco-soviétiques qui ont échoué) indique que dorénavant les questions importantes en Europe orientale ne pourront être réglées sans une participation active de l'Union soviétique, que tous les efforts pour contourner l'URSS et régler ces questions dans son dos seront voués à l'échec".
Écartée par l'Occident de la participation au règlement de la crise tchécoslovaque, l'URSS est revenue un an plus tard sur l'arène internationale pour y devenir l'un des principaux acteurs — un succès impressionnant de la diplomatie soviétique. On devrait songer à inscrire le 23 août dans le calendrier historique de la Russie. Certes, cette idée suscitera des débats enflammés. Mais une chose est certaine: il y a 75 ans, le gouvernement soviétique n'a rien fait de quoi avoir honte ou se repentir.
Oleg Nazarov, docteur en hisroire, membre du Club Zinoviev de Rossiya Segodnya