Aujourd'hui, c'est la Syrie qui est à l'ordre du jour. Après trois ans de guerre et près de 200.000 morts, elle est devenue sanctuaire du djihadisme mondial. Comment l'Occident a-t-il pu se tromper à ce point?— Avons-nous demandé à Frédéric Pichon, arabisant et chercheur associé à l'université de Tours, auteur du livre « Syrie: Pourquoi l'Occident s'est trompé ».
La deuxième erreur, selon moi, concerne le cadre international. Nous n'avons pas compris que nous n'étions plus dans les années 90 et que l'Occident ne pouvait plus intervenir à sa guise, selon ses propres critères, au nom du droit d'ingérence et que, notamment, il y avait des contre-pouvoirs dans les relations internationale avec la Russie, en particulier. Je crois que l'affaire libyenne où la Russie s'était abstenue avait donné son accord pour une intervention des Nations Unies. Cette affaire libyenne qui a tourné en changement de régime, ce qui n'était absolument pas prévu, c'est-à-dire une violation flagrante du droit international, a convaincu la Russie que, décidément, on ne pouvait pas faire confiance à l'Occident et donc elle s'est arqueboutée sur la question syrienne pour, essentiellement, des questions de principe.
La troisième erreur — c'est de nous avoir vendus, à nous, opinion publique occidentale, la fiction d'une révolution démocratique qui venait conforter nos propres fantasmes alors qu'en même temps, on comptait sur les puissances comme l'Arabie Saoudite et la Qatar pour faire progresser la démocratie en Syrie, ce qui est quand-même un pari perdu d'avance.
Beaucoup de nos élites, surtout en Europe et en particulier en France, n'ont pas compris que le monde avait changé, qu'il était devenu multipolaire et que, par conséquent, le recours à l'émotion, aux valeurs et aux droits de l'homme ne faisait pas une politique étrangère.
Le géopolitologue belge Luc Michel a poussé son analyse plus loin. Selon lui, Washington « a voulu, planifié et organisé la déstabilisation de la Syrie ». Ces propos que certains jugeraient de « théories de complot » ne sont pas infondés. Lors d'une interview à Vice News, le président américain Barack Obama a annoncé que l'essor du Daesh pouvait être directement lié à l'incursion des Etats-Unis en Irak sous l'administration de George Bush: « Deux choses: l'une c'est que Daesh est une excroissance directe d'Al-Qaïda en Irak qui a émergé de notre invasion. C'est un exemple de conséquences inattendues. C'est pourquoi nous devons viser avant de tirer». Quant à notre expert réputé Frédéric Pichon, bien qu'il « ne soit pas a priori très convaincu par les idées de complot », il reconnaît « qu'il y a des tas de gens qui avaient intérêt à ce que cela finisse comme cela, notamment, parce que derrière la Syrie, il y a aussi l'Iran, une puissance qui se profile, et que certains avaient intérêt à vouloir ligoter. »
En ce qui concerne l'Etat islamique, on se retrouve avec un monstre enfanté par les calculs cyniques des puissances régionales, que ce soit l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie. Tant qu'on ne sera pas capable de mettre la pression sur ces pays pour régler le problème du financement et de la circulation des combattants, on ne pourra pas résoudre le problème de l'Etat islamique par des bombardements. »