Syrie : il est grand temps que l’Occident reconnaisse ses torts

© Sputnik . Andrey SteninSyrian soldiers on a mountain not far from the militants' positions near Kessab
Syrian soldiers on a mountain not far from the militants' positions near Kessab - Sputnik Afrique
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Les Occidentaux ne semblent toujours pas avoir tiré des conclusions des échecs en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Irak, au Liban, au Pakistan ou ailleurs, de cet abîme stratégique dans lequel ils se sont aveuglement jetés sous la houlette des USA après les attentats du 11 septembre 2001.

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Aussi curieux que cela puisse paraître, il est impossible de trouver une réponse à la question « que faire? » en ignorant « qui est coupable? ». Les Occidentaux ne semblent toujours pas avoir tiré des conclusions des échecs en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Irak, au Liban, au Pakistan ou ailleurs, de cet abîme stratégique dans lequel ils se sont aveuglement jetés sous la houlette des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.

Aujourd'hui, c'est la Syrie qui est à l'ordre du jour. Après trois ans de guerre et près de 200.000 morts, elle est devenue sanctuaire du djihadisme mondial. Comment l'Occident a-t-il pu se tromper à ce point?— Avons-nous demandé à Frédéric Pichon, arabisant et chercheur associé à l'université de Tours, auteur du livre « Syrie: Pourquoi l'Occident s'est trompé ».

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« Il y a trois principales erreurs de l'Occident, précise-t-il. La première — c'est d'avoir totalement sous-estimé les capacités de résistance, de résilience du gouvernement syrien qui jouissait du soutien des minorités certes, dont les alaouites, communauté à laquelle appartient le président Bachar el-Assad, mais au-delà d'une bonne partie de la population sunnite ce qui, d'ailleurs, explique qu'aujourd'hui encore de 60 à 70 pour cent de la population syrienne est contrôlée par le gouvernement.

La deuxième erreur, selon moi, concerne le cadre international. Nous n'avons pas compris que nous n'étions plus dans les années 90 et que l'Occident ne pouvait plus intervenir à sa guise, selon ses propres critères, au nom du droit d'ingérence et que, notamment, il y avait des contre-pouvoirs dans les relations internationale avec la Russie, en particulier. Je crois que l'affaire libyenne où la Russie s'était abstenue avait donné son accord pour une intervention des Nations Unies. Cette affaire libyenne qui a tourné en changement de régime, ce qui n'était absolument pas prévu, c'est-à-dire une violation flagrante du droit international, a convaincu la Russie que, décidément, on ne pouvait pas faire confiance à l'Occident et donc elle s'est arqueboutée sur la question syrienne pour, essentiellement, des questions de principe.

La troisième erreur — c'est de nous avoir vendus, à nous, opinion publique occidentale, la fiction d'une révolution démocratique qui venait conforter nos propres fantasmes alors qu'en même temps, on comptait sur les puissances comme l'Arabie Saoudite et la Qatar pour faire progresser la démocratie en Syrie, ce qui est quand-même un pari perdu d'avance.

Beaucoup de nos élites, surtout en Europe et en particulier en France, n'ont pas compris que le monde avait changé, qu'il était devenu multipolaire et que, par conséquent, le recours à l'émotion, aux valeurs et aux droits de l'homme ne faisait pas une politique étrangère.

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Dans mon livre, je m'en prends surtout à la politique de la France. Pourquoi s'est-on trompé? Cela tient à la médiocrité du personnel politique et même du personnel diplomatique qui, depuis une dizaine d'années, n'est plus ce personnel traditionnel que nous avions connu, que les pays du monde connaissaient, des diplomates français chevronnés capables de dialoguer, de faire jouer à la France ce rôle qu'elle a toujours joué, c'est-à-dire un rôle de grande puissance moyenne, capable de parler avec tout le monde. Et là, c'était inverse, je crois qu'on s'est mis à faire une diplomatie de cow-boy et je reprendrai l'expression grecque d'hybris (« démesure ») par rapport à notre rôle réel. »

Le géopolitologue belge Luc Michel a poussé son analyse plus loin. Selon lui, Washington « a voulu, planifié et organisé la déstabilisation de la Syrie ». Ces propos que certains jugeraient de « théories de complot » ne sont pas infondés. Lors d'une interview à Vice News, le président américain Barack Obama a annoncé que l'essor du Daesh pouvait être directement lié à l'incursion des Etats-Unis en Irak sous l'administration de George Bush: « Deux choses: l'une c'est que Daesh est une excroissance directe d'Al-Qaïda en Irak qui a émergé de notre invasion. C'est un exemple de conséquences inattendues. C'est pourquoi nous devons viser avant de tirer». Quant à notre expert réputé Frédéric Pichon, bien qu'il « ne soit pas a priori très convaincu par les idées de complot », il reconnaît « qu'il y a des tas de gens qui avaient intérêt à ce que cela finisse comme cela, notamment, parce que derrière la Syrie, il y a aussi l'Iran, une puissance qui se profile, et que certains avaient intérêt à vouloir ligoter. »

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« Le bilan est catastrophique, conclut Frédéric Pichon. Ce que j'ai envie de dire, c'est une expression un peu triviale mais « tout ça pour ça ». C'est-à-dire, qu'au bout de quatre ans et 200.000 morts, on commence à se rendre compte qu'il aurait fallu écouter les Russes dès le début, il aurait fallu intégrer l'Iran dans les négociations, il aurait fallu une transition politique, il aurait fallu, ce que vient de dire John Kerry, négocier avec Bachar Al-Assad. Il y a vraiment un sentiment de gâchis. La Syrie est retournée 40 ans en arrière du point de vue de son infrastructure, du point de vue de son PIB.

En ce qui concerne l'Etat islamique, on se retrouve avec un monstre enfanté par les calculs cyniques des puissances régionales, que ce soit l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie. Tant qu'on ne sera pas capable de mettre la pression sur ces pays pour régler le problème du financement et de la circulation des combattants, on ne pourra pas résoudre le problème de l'Etat islamique par des bombardements. »

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