Nous avons posé cette question à Félix Navarro, spécialiste en santé publique, président de l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse, qui a donné son commentaire de la récente affaire de cinq bébés congelés retrouvés dans une maison en Gironde.
Dr. Félix Navarro. « Pour l'instant la prudence s'impose parce qu'on n'a pas assez de détails. Toutes les hypothèses sont ouvertes, notamment, celles de déni de grossesse et de grossesse cachée. »
Dr. Félix Navarro. « Dans ces histoires-là, on est souvent surpris par les détails qui peuvent sembler incohérents. Il est possible que l'homme n'ouvre pas le congélateur. Et le fait qu'il ne s'est pas rendu compte que sa femme était enceinte — c'est aussi tout à fait probable. Si la femme a fait un déni de grossesse, on ne voit rien à l'extérieur, c'est-à-dire qu'elle n'a pas de gros ventre, elle n'a pas de douleur, de vomissements, de prise de poids. Et si par cas, on est dans l'autre hypothèse, c'est-à-dire qu'elle savait qu'elle était enceinte, elle a pu se débrouiller pour que ça ne se voie pas. »
Sputnik. Quelles suites judiciaires pourrait-on donner à cette affaire?
Dr. Félix Navarro. « Il va y avoir forcément une enquête, un procès. »
Sputnik. Si le déni de grossesse est prouvé, qu'est-ce que cela veut dire pour la femme du point de vue juridique?
Dr. Félix Navarro. « Devant les tribunaux, le fait d'avoir fait un déni de grossesse va, certainement, être une circonstance atténuante et, éventuellement, peut l'exonérer de sa responsabilité si les experts, notamment, les experts psychiatres pensent qu'au moment de l'accouchement, elle n'avait pas sa conscience. »
Sputnik. On sait bien que dans le cas d'un infanticide, la femme peut encourir jusqu'à trente ans de prison…
Dr. Félix Navarro. « Oui, tout à fait. C'est vraiment le crime le plus puni en France ».
Sputnik. Et dans le cas d'un déni de grossesse, est-ce que les juges auront à choisir entre la prison et un asile psychiatrique?
Dr. Félix Navarro. « Il faut savoir que dans un déni de grossesse, la femme n'a pas forcément de problème psychiatriques en dehors de la grossesse. C'est une forme de pathologie qui ne concerne que la grossesse. Toutes les femmes que j'ai rencontrées et qui ont fait un déni de grossesse sont tout à fait normales en dehors de ces épisodes-là. Il doit y avoir des soins. La femme en question doit réaliser, est en train de réaliser ou a commencé à réaliser que ce qui s'est passé est une chose absolument épouvantable et affreux pour elle et pour les enfants. Qu'elle soit emprisonnée ou pas, il doit y avoir un suivi psychiatrique, un suivi psychologique très fort. »
Sputnik. Est-ce que cela veut dire que le déni de grossesse permet aux femmes de tuer les nouveau-nés et de le faire en série?
Dr. Félix Navarro. « Dans l'immense majorité des cas, le déni de grossesse se conclut par des enfants vivants qui sont élevés par leurs parents. La très grande surprise et émotion d'une naissance inattendue passée, quelques heures, quelques jours, parfois quelques semaines après, la femme va se comporter comme une mère normale. En France, il y a 300-350 femmes qui accouchent tous les ans sans savoir qu'elles sont enceintes. Là-dessus, les infanticides sont très minoritaires, une dizaine par an. »
Peut-on justifier l'infanticide par un déni de grossesse et le meurtre multiple par un trouble mental? Vivons-nous au Moyen Age lorsque le père avait le droit de tuer son enfant avant ses douze ans? C'est une grande question pour la justice française.
Comme nous montre la pratique, il est peu probable que la Justice envoie l'affaire de cinq bébés congelés à la Cour d'assises pour meurtre multiple. Vous n'êtes pas sans vous rappeler le plus grand infanticide en France en 2010 (huit bébés tués) dont l'auteure attend toujours d'être rejugée parce que la chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé son renvoi devant la Cour d'assises. Même chose pour la plus grande affaire de bébés congelés en 2006: la coupable, condamnée à huit ans de prison ferme, a été libérée trois ans après.
Aujourd'hui, il est trop tôt pour parler de l'issue de l'enquête de Gironde. Espérons que la justice française ne cède pas devant la tolérance hypertrophiée au mépris de son objectif essentiel.