Radio Sputnik. Je voulais vous interroger sur François Hollande, sur le revirement de son comportement après les derniers évènements et son intervention devant les journalistes. On a eu l'impression qu'il a changé la façon de se présenter, qu'il est plus sûr de lui, est-ce que vous avez la même impression?
Thomas Guénolé. Pas vraiment, je ne partage pas l'idée que François Hollande serait soudain devenu un homme ayant une stature d'homme d'état, je pense que c'est le même François Hollande qu'avant. Ca me fait penser à la situation de Georges Bush après les attentats du 11 septembre. Il y avait eu dans l'air à la fois une envie et une analyse comme quoi Georges Bush aurait acquis une nouvelle stature, une nouvelle dimension, une nouvelle aptitude à être un homme d'état alors qu'avant il y avait une vive inquiétude dans le pays d'avoir élu au poste de président quelqu'un qui n'avait pas le niveau.
Mon avis c'est qu'il y a une espèce de volonté dans notre inconscient collectif français de trouver à François Hollande une dimension à la hauteur des événements, mais je pense qu'en réalité au delà d'une gestion de la crise elle même qui a été absolument irréprochable, il n'a pas la stature d'un grand homme d'état, d'un grand président de la république. J'en veux pour preuve qu'au lendemain de ces événements terribles il avait un capital politique et une opportunité historique d'engager n'importe quelle très grande réforme et il ne l'a pas fait. Sa conférence de presse récemment il a fait très peu d'annonces, finalement beaucoup de postures, très peu de réformes concrètes et les quelques réformes avec une très faible envergure. On attendait de Gaulle et nous avons eu Guy Mollet finalement.
Radio Sputnik. Vous pensez qu'avec une personne avec une stature plus importante des réformes étaient possibles à ce moment là?
Thomas Guénolé. Pour vous donner un élément de comparaison dans l'histoire française, lorsque le général de Gaulle était président et qu'il a lui même été victime d'un attentat qui a failli le laisser mort avec son épouse, c'était l'attentat du petit Clamart, dans la foulée le général a utilisé ce capital politique pour faire une réforme historique, il a lancé le référendum depuis lequel en France nous élisons le président de la république au suffrage universel direct, avant c'était le parlement.
Nous parlons d'un autre sens de réactivité politique, là ça n'a pas été le cas c'est un épouvantable gâchis. Ca me fait penser à Jacques Chirac qui au lendemain du 21 avril 2002 quand Jean-Marie Le Pen a été qualifié au second tour des élections présidentielles, Jacques Chirac a été élu par une mobilisation du front républicain des électeurs de droite et de gauche avec 80% des voix, il avait l'occasion d'engager de très grandes réformes en tant qu'élu du front républicain, soit il pouvait faire un gouvernement d'union nationale, soit il pouvait faire les deux et il n'a fait ni l'un ni l'autre il a continué « business as usual » c'était une véritable et profonde déception de voir que Jacques Chirac n'était pas à la hauteur du caractère historique des ces évènements.
Radio Sputnik. Si on parle de la crise ukrainienne, on voit que François Hollande prend un parti très engagé. Vous ne pensez pas que dans ce domaine là il va réussir ce qu'il a planifié?
Thomas Guénolé. Je pense sincèrement que l'initiative diplomatique de François Hollande va dans le bon sens, mais je suis très dubitatif du fait qu'il parvienne à quoi que ce soit en terme de conciliation des points de vue dans cette affaire. Je pense que François Hollande va dans le bon sens avec cette médiation, parce que quand on examine avec recul la situation de l'Ukraine il n'y a pas des gentils et des méchants — il n'y a pas une Ukraine de l'Ouest peuplée de gentils et de l'autre de méchants ogres qui viennent de l'Ukraine de l'Est et qui sont tous en fait une armée russe secrète qui est venue dévorer l'Ukraine de l'Ouest — le traitement de l'information sur l'Ukraine dans la plupart des médias de l'Europe occidentale, c'est ce type de caricature. J'exagère bien sûr, mais c'est ce type de raisonnement — gentils contre les méchants — qui est présent. C'est très agaçant quand on examine la question et quand on voit qu'il y a des différences très profondes à la fois d'alliances et de préférences géopolitiques, de langue, de culture et d'histoire entre l'Ouest et l'Est de l'Ukraine et donc à mon avis la seule issue raisonnable à ce conflit c'est la transformation de l'Ukraine pacifiquement en un état fédéral bilingue.
Ayant ce point de vue, je considère que quand François Hollande et Angela Merkel tentent une médiation entre l'Ukraine de l'Ouest et de l'Est, je pense que c'est une bonne approche, mais comme les Etats Unis évoquent le fait d'armer l'Ukraine de l'Ouest, je ne pense pas qu'ils obtiennent gain de cause et je trouve que c'est dommage pour la population Ukrainienne elle même, c'est une situation qui est particulièrement triste parce que ça n'était pas écrit que ça se finirait comme cela.
Radio Sputnik. François Hollande est décevant pour vous, mais quand est-ce que vous pensez que sa bulle de popularité va exploser?
Thomas Guénolé. Assez rapidement, je pense qu'il baisse déjà dans l'opinion et que ce n'est pas encore mesuré, c'est une question de temps, je pense qu'il aura sauté le cap de la baisse au plus tard une fois que l'on aura passé les élections départementales qui auront lieu à la fin du mois de mars et qui s'annoncent être une nouvelle déroute pour la gauche. Le parti socialiste n'a pas profité de cette séquence en terme de popularité. Si jamais la candidate du Front National l'emporte lors de l'élection législative partielle dans le Doubs, si c'est une nouvelle député Front National qui rentre à l'Elysée, je pense que ça aura un impacte négatif immédiat de quelques points sur François Hollande. Mais ce qui compte ce sont les intentions de vote 3 mois avant l'élection, le reste c'est complètement secondaire.