On savait les Français plutôt résignés, tout comme leur élite politique, face aux difficultés apportées par le multiculturalisme et le " vivre ensemble ". Nicolas Sarkozy, pendant son quinquennat, avait en effet ouvertement évoqué l’échec du multiculturalisme et de l'immigration un soir de novembre 2011, en rappelant cette triste vérité: " Dans toutes nos démocraties, on s’est trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui accueillait ".
Ces dernières années, quelque chose semblait s’être brisé en France sur le plan social. La méfiance entre les communautés et l’insécurité grandissante, que chacun constatait ou ressentait, avaient fortement contribué à cette remise en question du " grand vivre ensemble ". Les faits divers étaient devenus impossibles à ignorer malgré tous les efforts déployés par la ressource journalistique, qui a longtemps servi de " cache misère ", comme chacun a pu le constater par exemple lors de la sortie du livre La France Orange mécanique.
Il y avait bien des raisons de ne plus pouvoir, ou de ne plus vouloir croire à ce nouveau multiculturalisme, alors même que l’assimilation " à la française " avait, au cours des siècles, réalisé un authentique miracle historique: l'édification d’une nation.
Ce syncrétisme exceptionnel devait, nous avait-on dit, se prolonger avec les nouvelles vagues migratoires que le pays connaissait depuis le milieu des années 60. Mais ces vagues migratoires différaient cependant beaucoup des précédentes sur trois points: leur dimension, leur provenance, mais aussi le fait religieux. Celui-ci portait en son sein les germes d’un l’extrémisme qui n’allait pas tarder à se réveiller, grandement aidé, il est vrai, par le vide identitaire et politique en France (l’abandon de l’autorité de l’Etat), ainsi que par divers bouleversements à l'échelle internationale.
Désormais, les langues se délient et certains dénoncent ouvertement la collaboration entre des élus locaux et des minorités islamo-mafieuses qui peu à peu imposèrent leurs standards à des dizaines, des centaines voire à des milliers de zones d'habitation ou d'immeubles sur le territoire français. Pire, par crainte d’émeutes identitaires, des élus affirment que l’Etat leur a ordonné d'oublier la loi et de fermer les yeux sur le port de la burqa dans certains territoires.
La dégradation de la situation intercommunautaire en France ne date pas d'hier, et le massacre du 7 janvier 2015 à Paris n'est pas un événement fortuit franco-français. De nombreux facteurs intérieurs comme extérieurs ont joué un rôle dans la préparation de ces attentats en France.
Le 11 septembre 2001 a par exemple bouleversé la relation entre l’Occident et le monde musulman, précipitant ces deux acteurs dans une dynamique de conflit, et mettant l’Europe dans une situation critique en raison des fortes minorités musulmanes présentes dans nombre de ses Etats. D’un point de vue historique, cette inflexion relationnelle a coïncidé avec l’entrée en crise économique de nombreux pays européens. Cette crise, en France, a affaibli la capacité d’intégration des populations migrantes qui s’installaient sur le territoire français, et bloqué l'ascenseur social pour les enfants de ceux qui avaient fait ce choix une génération plus tôt.
En France, la crise identitaire nationale s'est aggravée lorsque les printemps arabes, qui paraissaient démocratiques au départ, ont finalement réveillé un islam affirmé. Certains radicaux ont déclaré la guerre au monde non musulman, mais aussi au monde musulman modéré, à cet islam acclimaté (comme le qualifie Aymeric Chauprade) qui est celui pratiqué par nombre de musulmans français, parmi lesquels deux des victimes du 7 janvier 2015.
Les élites politiques françaises ont délibérément, sur fond de printemps arabes, mené des politiques extérieures pyromanes, contribuant à la destruction de régimes qui constituaient des piliers de stabilité et des garants de la lutte contre l’Islamisation hors contrôle de cette région. Ces Etats qui étaient laïcs, que l’on pense à la Libye à l'Irak ou à la Syrie sont désormais soit anéantis, soit en guerre totale et aux prises avec l'islam militarisé le plus radical; ce dernier bénéficiant indirectement du soutien tactique occidental et de nos soi-disant alliés: les monarchies du Golfe, pourtant pas des modèles de démocratie ni d’islam modéré.
On découvre qu'il y aurait dans les troupes de l'Etat islamique environ 20.000 Européens dont environ 1.300 Français, convertis pour certains, et d'origine étrangère pour d'autres. Alors que l’Amérique envisage de former des milliers de rebelles syriens supplémentaires (rebelles " modérés " dont 3.000 viennent, pour la petite histoire, de rejoindre l'Etat islamique qu’ils jugent comme seule force apte à renverser l’Etat Syrien), on peut penser que la politique étrangère américaine risque de provoquer de nombreux " 7 janvier " en Europe dans un avenir proche.
En France et sur le plan intérieur, l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat, aggravé par l’ouverture des frontières et le transfert de souveraineté à Bruxelles, a ôté à la France non seulement sa capacité de réagir, mais aussi et surtout le droit moral de prendre les mesures nécessaires. Cet affaiblissement de l’Etat est sans aucun doute en grande partie responsable des morts du 7 janvier, tout autant que du laisser-aller moral et identitaire ayant conduit à ce que par exemple la minute de silence dédiée a cette abominable journée soit contestée dans des centaines (?) d’écoles par des lycéens récalcitrants.
Pour certains, l’obsession antireligieuse portée par la laïcité dogmatique qui règne en France est allée trop loin, jusqu'à inventer un " droit au blasphème ". La liberté de parole n’autorise pourtant pas un quelconque droit à l’insulte. L’outrage aux croyants qui ne cesse de se banaliser provoque de plus une lourde colère au sein du monde musulman. Ces derniers jours, des milliers de manifestants ont glorifié les frères Kouachi, et affirmé que les journalistes de Charlie Hebdo méritaient d’être tués. Des manifestants ont aussi attaqué des symboles français que ce soit en Turquie, en Algérie, au Pakistan ou au Niger… Dans le même temps les services européens accentuaient de leur côté les opérations anti-terroristes en France, Belgique, Allemagne ou Grèce…
Ce 7 janvier aura donc vu en même temps un attentat antisémite, un massacre de journalistes, et l'assassinat de policiers en uniforme. Des policiers représentant l’ordre et la morale sur lesquels, il faut le rappeler, la bonne conscience d’extrême gauche " à la Charlie Hebdo ", ne cessait de cracher. Le peuple français, sonné par ces événements, a choisi de descendre dans la rue pour affirmer son unité et son rejet du terrorisme. Malheureusement, cela ne suffira pas. C'est la mauvaise structuration de la cohabitation entre les communautés qui pose problème, des logiques d’affrontements confessionnels sont en train de se mettre en place.
Une libanisation de la France n’augurerait rien de bon, ni pour l’avenir de la France, ni pour l'avenir de l'Europe.
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