De Kobani aux raids de la coalition. Les enjeux

De Kobani aux raids de la coalition. Les enjeux
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Crée par les USA, vitaminé jusqu’à ce qu’il atteigne son redoutable apogée, voici que le Daesh doit « enfin » être détruit. Par une coalition qui continue à nous raconter qu’il y a une gentille opposition à armer et surtout à entraîner chez ses non moins gentils alliés, les monarchies arabo-persiques et la Turquie prise entre le rôle qu’elle a à jouer au sein de l’OTAN et sa nostalgie de l’empire ottoman.

Si l’enjeu des raids aériens lancés par la coalition semblait encore assez flou il y a quelques temps, voici que la conjugaison d’un certain nombre de facteurs dont l’implication de la Turquie dans l’embrasement du mont Kobani et du nord kurde, le plan Erdogan visant à créer une zone de non survol au-dessus du nord de la Syrie et la façon assez étrange avec laquelle les raffineries syriennes sont bombardées montre bien que l’opération menée actuellement contre l’EI n’est nullement ce que l’on croit.

Selon le général William Mayville, chef des opérations à l’état-major états-unien, « les [bombardements en cours] ne sont pas capables d’affecter les capacités de l’Emirat islamique ou ses opérations dans d’autres régions d’Irak ou de Syrie » (citation reprise par Thierry Meyssan dans son récent article, Derrière l’alibi anti-terroriste, la guerre du gaz au Levant). Qu’en est-il des opérations au sol prévues par la Turquie malgré que Damas y soit opposé ? Là encore, on pourrait se poser quelques questions sachant qu’Ankara cautionne l’activité des camps d’entraînement pour les « bons » djihadistes et que ces camps sont situés dans deux provinces frontalières turques : celle d’Adana et celle de Hatay, toutes deux ouvertes aux frais de la CIA. Or, on sait que le port d’Alexandrette où sont localisés les bateaux de l’OTAN dirigeant l’opération fait partie intégrante de la province de Hatay. Cherchez l’erreur.

La tactique de la provocation n’a plus rien d’original. Souvenons-nous du prétexte de novembre 2012 lorsqu’un projectile de mortier parti de la Syrie avait fait cinq morts en Turquie. La riposte ne se fit pas attendre : le Parlement autorisa aussitôt le gouvernement d’Erdogan à effectuer des opérations militaires en Syrie, favorisant ipso facto l’essor des groupuscules islamistes. L’OTAN évoqua pour sa part, sans surprise, le fameux article 5 en installant ses Patriot à la frontière turco-syrienne.

Ces faits superposés, deux questions s’imposent:

- Pourquoi bombarder les raffineries pétrolières syriennes alors donc que ce genre d’intervention ne contribue que très piètrement à la liquidation des positions de l’EI ?

- Comment expliquer l’intervention supposée de la Turquie, elle qui continue à former et alimenter sur son sol les radicaux de tout poil qui n’ont rien à envier aux créatures de l’EI ?

Je soumets à votre attention l’analyse de Bassam Tahhan, islamologue de renom et géopoliticien.

La Voix de la Russie. « Les avions de la coalition bombardent les unes après les autres, jusqu'à les anéantir, les raffineries syriennes. Faudrait-il entrevoir, derrière ces bombardements, une énième manœuvre visant en définitive à démanteler la Syrie ?

Bassam Tahhan. Ces bombardements n’ont pas forcément pour but de démanteler la Syrie. Il est vrai qu’on en parle dès le début de l’opération et que, dans les circonstances présentes, cela pourrait éventuellement contribuer au démantèlement du pays. Ceci dit, je ne pense pas que ce soit le but immédiat de ces bombardements. Ces raids aériens visent les raffineries de pétrole à Raqqa et à Deir ez-Zor, mais aussi un champ producteur de gaz. En prétextant que Daesh ou l’EI s’en sert pour sa trésorerie, on avance un argument fallacieux. En réalité, la coalition a peur que finalement, par un moyen ou par un autre, ce pétrole puisse être récupéré par l’armée syrienne ou par les Kurdes. Voyons-y clair. Si ces sites restent intacts et que seule les forces islamistes qui les gardent sont bombardées, donc anéanties ou du moins affaiblies, que deviendraient ces champs ? C’est très simple. Soit c’est l’armée syrienne loyale qui les reprend, soit c’est la coalition de la défense populaire composée de Kurdes, d’Arabes, d’Assyriens, de chrétiens, d’Arméniens qui en prend possession pour vendre ce pétrole ou s’en servir elle-même.

Ce constat me pousse à croire que le but n’est pas de priver l’EI de ressources financières par la vente de ce pétrole mais d’en priver tout le monde, c’est-à-dire toutes les forces de la région qui ne sont pas forcément pour cette intervention de la coalition, à savoir les Kurdes, les Bédouins du coin et les chrétiens, qu’ils soient chaldéens, assyriens ou arméniens.

Il y a donc un projet de destruction de l’infrastructure syrienne et d’asphyxie, à la longue, de toutes les forces susceptibles de s’opposer au Daesh. Pourquoi? Pour que les Américains puissent rester maîtres du jeu, ce Daesh étant le monstre qu’ils ont créé. Tant que celui-ci existe, ils peuvent aisément faire pression sur toutes les forces belligérantes, qu’elles soient avec les Américains ou contre eux. Ils peuvent se servir de cet EI contre le Royaume Saoudite qui est un allié contre les Emirats.

Il faut ajouter à cela que le gaz est utilisé en Syrie par la population pour se réchauffer. Or, l’hiver ne va pas tarder à venir. Ce calcul s’inscrit dans la continuité d’un vieux projet qui n’a pas pu être réalisé au moment prévu, la ville d’Alep, contre toute attente, ne s’étant pas révoltée, tout comme d’ailleurs bien d’autres régions du nord de la Syrie qui sont restées loyalistes. On a voulu asphyxier l’économie syrienne en s’attaquant à Alep et en détruisant ses usines. Or, c’est là qu’on comprend l’importance du gaz ! On voulait détruire les usines pour pousser la grande ville d’Alep de 4 millions d’habitants à se révolter, pour pousser la population syrienne de ces religions à s’opposer au gouvernement légal d’Assad.

Nous sommes derechef dans le même cas de figure. Privée de gaz, peut être que la population, crevant de froid, finira par s’opposer au gouvernement de Damas. A mon sens, voilà les raisons réelles pour lesquelles la coalition détruit la Syrie.

Ceci étant, la raison principale qui sous-tend toutes ces ingérences se résume aux intérêts géostratégiques d’Israël qu’il convient de choyer en engageant une guerre par procuration, ce qui rejoint le grand plan dont j’ai parlé il y a déjà des années et qui a commencé par la neutralisation de l’Egypte avec les accords de Camp David.

L’Irak ayant été rasé maintes et maintes fois, il ne restait plus que la Syrie qui n’avait pas signé de contrat avec Israël. Il ne restait que la Syrie qui n’est pas entrée dans le jeu de la mondialisation américaine puisque la Syrie avant cette guerre avait zéro dette étrangère ce qui ne pouvait plaire aux Américains.

Ajoutez à cela que l’objectif final consiste toujours à neutraliser la Syrie et de fait à couper les ailes de l’Iran en cassant ce pays qui donne un accès à la Méditerranée pour tout l’Axe de la Résistance antiaméricain qui part de Téhéran en passant par Bagdad, Damas, le Hezbollah, et éventuellement les alévis de Turquie susceptibles de se révolter vu la politique de discrimination que mène contre eux comme minorité (enfin, minorité relative car ils sont quant même 20 millions) le gouvernement d’Erdogan.

LVdlR. Comment interpréter l'ingérence de la Turquie qui prévoit des opérations au sol?

Bassam Tahhan. La Turquie a aidé l’EI dès le début. Les plus grandes forces de l’EI qui sont entrées en Syrie sont passées avec la bénédiction d’Erdogan qui était Premier ministre en Syrie. Il y avait des camps d’entraînement, tout le monde le savait. Or, à ce stade, je crois qu’on est en train par les excuses que Biden a présentées aux Emirats et à Erdogan de refaire une virginité à ce dernier. On va essayer de fermer les yeux, de dire qu’ils n’ont jamais aidé les islamistes, ce qui est ridicule parce que tout le monde sait qu’Erdogan les a aidé. On dispose à ce sujet d’un dossier « béton » qui met en relief sa responsabilité.

En quoi est-ce que consiste le jeu d’Erdogan dans cette affaire ? Il n’a pas dit qu’il allait engager ses forces terrestres. Il a dit qu’il pouvait en principe le faire ayant obtenu l’accord du Parlement. Il a parlé des forces de l`OTAN. Il y a des Patriot qui ont été installés dimanche sur la frontière syro-turque en faisant appel à l`OTAN comme si la Turquie était un pays menacé. Or, personne ne menace la Turquie ! Elle menace bien davantage qu’elle n’est menacée. Il faut être objectif.

Dans l’état actuel des choses, je crois qu’Erdogan ne va pas s`engager. Il va laisser se faire massacrer les Kurdes de Kobané pour les affaiblir, eux qui n`ont pas voulu se révolter contre le gouvernement loyaliste de Damas. On va donc possiblement assister à un massacre des Kurdes dont l’intervention est loin d’être exclue.

D’ailleurs, entre nous soit dit, la coalition n’est qu’une vaste mascarade. Elle aurait pu arrêter l’EI devant Kobané. Pourquoi ne l`a-t-elle pas fait ? Tout simplement pour rester maître du jeu.

De même en est-il de la Turquie. Elle entend faire pression sur les Kurdes mais je crois qu’Erdogan va payer très cher cette bataille de Kobané du fait qu’il ne soit pas intervenu, du fait qu’il n`ait pas autorisé aux Kurdes d’entrer pour aider leur frères à Kobané, du fait qu’il n’ait pas armé ces gens-là, du fait qu’il ait condamné qu’on arme les Kurdes de peur que ses armes ne se retournent un jour contre lui avec le PKK mais du Kurdistan turc. On comprend dès lors mieux la stratégie adoptée par le gouvernement turc. Ceci dit, il s’agit d’un jeu très dangereux et je crois qu’Erdogan risquerait à terme de laisser beaucoup de plumes ».

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