C’est ainsi que le 18 mars 2011, le quotidien britannique The Guardian réagissait à l’abstention de l’Allemagne sur la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU concernant la Libye.
Cette résolution prévoyait la fermeture de l’espace aérien pour l’aviation libyenne, des actions militaires éventuelles à l’exception de l’utilisation des forces terrestres internationales et le gel des comptes à l’étranger de la compagnie pétrolière libyenne et de la banque centrale de Libye. Mais en réalité, cette résolution a de fait donné le droit à une intervention militaire extérieure. Et tout le monde était prêt à cette intervention. Avant la réunion, les diplomates français ont fait comprendre qu’en cas d’adoption de cette résolution, Paris et Londres dès la nuit suivante seraient prêts à effectuer des frappes contre les positions de l’armée libyenne. Selon des diplomates de l'ONU, le Qatar et les Emirats Arabes Unis ont déjà confirmé leur participation à l'opération militaire.
Il faut rappeler que seuls cinq pays se sont abstenus du vote sur la résolution. Mais les journalistes n’ont apparemment pas trouvé de moyen de tenir des propos vexants sur l'Inde et le Brésil. Personne n'écoutait alors les mises en garde du vice-ministre des Affaires étrangères de la Libye de l’époque, Khaled Kaaima, qui mettait en garde que la résolution « menace l'unité et la stabilité de la Libye ».
C'est exactement ce qui s'est passé.
Les pays occidentaux croyaient-ils qu’ils arriveraient à résoudre la situation par leurs propres moyens ? Probablement oui. « La résolution actuelle est une réponse forte à la situation d'urgence qui s’est formée en Libye », a déclaré après l’adoption de cette résolution la représentante des Etats-Unis à l'ONU, Susan Rice. Pour quel résultat ? Trois ans après, ce sont d’autres forces qui sont obligées de gérer les « fruits amers » de cette réponse forte. L’aviation des Emirats Arabes Unis bombarde actuellement avec des missiles et des bombes les positions des islamistes à Tripoli. Mais là, il s’agit de défense, et non plus d’attaque. Le ministre des Affaires étrangères de l'Egypte Sameh Choukri a récemment déclaré que la situation en Libye menaçait non seulement toute la région, mais aussi d'autres parties du monde. Selon lui, les membres des groupes extrémistes et terroristes sont en train de transférer leurs activités dans les pays voisins.
« Nous ne pouvons pas abandonner les civils et les victimes des répressions brutales à leur sort. Nous ne pouvons pas permettre que l'état de droit et les principes moraux universels soient outragés », a indiqué à l’époque le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé. Mais Khaled Kaaim a déclaré que la Libye « était prête à un cessez-le feu et une trêve avec les rebelles qui luttent contre Kadhafi », et proposait de « discuter de la manière d’y parvenir ». Les pays occidentaux ont refusé de discuter avec « le régime sanglant ». Et actuellement, apparemment, il n’y a plus d’interlocuteur avec qui l’on peut discuter de ces questions.
« La communauté internationale s'est unie pour condamner les actions de Kadhafi et de son régime, et exiger que son régime arrête la violence contre le peuple libyen»,a indiqué le représentant du Royaume-Uni à l’ONU Mark Grant.
On savait très bien à qui étaient adressées ces condamnations et ces exigences. Mais maintenant, en lisant de telles déclarations des personnalités politiques occidentales, une impression se crée que la violence, les destructions et la violation des droits se produisent d’elles-mêmes ou par la volonté de forces abstraites. Qui est donc visé par la déclaration commune sur la Libye des gouvernements des principaux pays d’Europe et des Etats-Unis, adoptée cette année ?
« Les gouvernements de la France, d'Italie, d'Allemagne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis condamnent fermement la poursuite des combats et la violence dans les villes de Tripoli et Benghazi, mais aussi autour de ces villes, dans toute la Libye. Nous sommes notamment profondément préoccupés par l'augmentation de la violence contre la population civile en Libye et des institutions de l'Etat, ainsi que par les menaces que cette violence représente pour la transition vers la démocratie en Libye. Nous regrettons l'augmentation du nombre de victimes parmi les civils et exprimons notre profonde préoccupation face à la pénurie de médicaments, ainsi que le déplacement forcé des milliers de familles de leur lieu de résidence d’origine. Nous sommes également préoccupés par la destruction généralisée des bâtiments et des infrastructures, ainsi que par la cessation de l'activité économique du pays.
Nous sommes profondément préoccupés par les attaques dirigées contre des civils et des cibles civiles à Tripoli et à Benghazi, qui peuvent être considérées comme des violations du droit international humanitaire. Ces violations doivent cesser et les coupables de ces violations doivent être traduits en justice ».
La délicatesse dans les formulations de cette déclaration est tout à fait compréhensible. Un grand ennemi a de nouveau été remplacé par une myriade de forces ingérables et destructrices. Il est peu probable que ceux qui sont véritablement coupables puissent répondre de ce qui s’est produit.
Tout le monde est habitué au fait qu’actuellement, dans les affaires internationales, le « méchant » est remplacé encore et encore par un autre méchant, encore plus insupportable. Mais nous devons nous rappeler que c'est de cela que « la démocratie développée », « la dictature communiste » et « le pays à la réputation douteuse », essayait de sauver la Libye, tout comme deux autres grands pays. /N