Moscou doit nouer des relations "à la chinoise" avec l'UE

S'abonner
Il est grand temps. Le dernier sommet UE-Russie, où au lieu de signer des documents les deux parties ont préféré parler des relations étranges entre Moscou et Bruxelles, aurait dû être organisé il y a déjà quelques années, pas le 28 janvier 2014. Il fallait depuis longtemps changer le style, le sens et le ton de ces relations pour les faire ressembler, par exemple, à celles qu’entretiennent l'UE et la Chine.

Il est grand temps. Le dernier sommet UE-Russie, où au lieu de signer des documents les deux parties ont préféré parler des relations étranges entre Moscou et Bruxelles, aurait dû être organisé il y a déjà quelques années, pas le 28 janvier 2014. Il fallait depuis longtemps changer le style, le sens et le ton de ces relations pour les faire ressembler, par exemple, à celles qu’entretiennent l'UE et la Chine.

Même après le sommet on ne peut pas dire que les Européens – ou plutôt l'eurobureaucratie – ont compris qu'il était temps d’enterrer, officiellement, une époque finie depuis longtemps.

Pourquoi raccourcir le format

Il est amusant que les Européens aient tenté de reporter puis de raccourcir dramatiquement l'ordre du jour de ce sommet de deux jours à une brève discussion, annoncée comme n’ayant pas de programme défini. Autrement dit, ils ont rejeté tout ce que les diplomates avaient préparé depuis des semaines pour aborder fermement le thème de l'Ukraine et demander, notamment, pourquoi la Russie avait écarté Kiev de son "chemin européen".

Moscou ne s’est pas vraiment réjoui de ce tournant de la situation et a cherché, pendant la réunion, à évoquer tous les thèmes sur lesquels les discussions avec Bruxelles n’avançaient pas : tout d’abord les questions commerciales et la tentative de forcer la Russie à vendre en Europe son gaz en conformité avec les règles du Troisième paquet énergie – une mesure qui crée artificiellement plusieurs fournisseurs au lieu d'un seul, russe, et les met en concurrence pour réduire les prix. Moscou a également mis sur la table la question de la levée des visas, ainsi que l'accord sur les principes d'interaction discuté depuis 2006, car l'ancien a expiré en 2007 et aucun nouveau texte n’a été signé depuis...

Une Europe aux multiples visages

Quand la Russie communique avec les Britanniques, les Italiens, les Néerlandais, elle s’adresse bien à l’Europe et pourtant, le dialogue a tout de même lieu. La question est donc posée : qu’est devenue l'idée d'Union européenne aux yeux des Russes après leur longue expérience de communication avec les fonctionnaires de Bruxelles ?

En tête de liste de ces interlocuteurs on retrouve le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et la haute représentante de l'Union pour les Affaires étrangères Catherine Ashton. Contrairement à de nombreux autres Européens, ils sont personnellement impliqués dans l'histoire du Partenariat oriental avec Kiev. Et dans la rage de la partie nord-est de l'Europe quand ce partenariat n'a pas fonctionné.

Face à ce "trio", de l'autre côté de la table, le président Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov représentaient la Russie. Voici ce que nous savons de cet entretien : les parties ont principalement parlé de Kiev, ont condamné la violence et le radicalisme, déclaré qu'elles reconnaîtraient toute décision prise par le parlement ukrainien, et décidé que les consultations à ce sujet se poursuivront avec Moscou. Voici ce qui est connu du grand public à l'issue du sommet.

Vladimir Poutine a répété ce qu'il avait déjà déclaré : des pays comme l'Ukraine "cherchent à coopérer plus activement avec l'UE tout en conservant des liens historiques et de coopération avec la Russie. Il faut indéniablement les aider dans cette tâche. Mais il est inadmissible de créer de nouvelles lignes de démarcation. Il faut, au contraire, travailler ensemble à la création d'une Europe unie".

La politique énergétique européenne commune a également été évoquée, puisque c’est sur cette base que la Commission européenne est prête à engager des sanctions contre les pays qui ont signé avec la Russie un accord sur le gazoduc South Stream – une fois de plus ces pays n’ont pas eu droit au chapitre et le trio de Bruxelles s’est exprimé pour eux. Au final on a l’impression que toutes les bonnes choses, en Europe, passent par les relations bilatérales. Et que les mauvaises sont personnifiées par Bruxelles.

Les relations entre Moscou et Bruxelles ne sont pas tendues à cause de leurs différences (elles sont évidentes et immuables). Mais au début des années 1990, on entendait dire à Moscou que les Russes étaient "aussi des Européens". Et les vrais Européens, à leur tour, pensaient qu'il était normal d'avancer à Moscou la même liste d'exigences d'"européennité" que celle proposée actuellement à l'Ukraine.

Au début des années 2000 déjà, Moscou a commencé de tirer au clair ces relations de professeur/étudiant – notamment par ses tentatives d'élaborer un nouvel accord de coopération pour 2007 évoquées plus tôt - alors que le Européens n'ont toujours pas compris comment c’était possible, contrairement aux Américains.

Tout cela aurait pu être exprimé à ce demi-sommet de Bruxelles. Evidemment, la réponse aurait été forcément la suivante : nous ne pouvons pas faire autrement car nous, les Européens, nous avons des principes. Nous ne pouvons pas ne pas les imposer aux autres, nous ne savons pas coopérer autrement.

Ce n'est pourtant pas le cas : une fois par an, l'Union européenne organise le même genre d’activités bureaucratiques avec la Chine. Dans ces discussions, au départ, le ton avait tendance à monter au sujet des valeurs. Mais depuis trois ans au moins elles sont absentes des débats : les affaires ont pris le dessus. En effet, les Européens n'ont pas besoin des valeurs chinoises.

A chacun son jardin. La Chine communique depuis longtemps avec les autres sur un pied d'égalité, et elle a bien raison.

Par conséquent, le passage des relations UE-Russie vers un "modèle chinois" pourrait être le nouvel objectif de la diplomatie russe. Et les débats sur une Europe de l'Atlantique à l'Oural se réduire à une ligne académique.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала