Les Russes éliront dimanche leurs maires et leurs gouverneurs de régions. La course pour le poste de maire de Moscou, qui opposera principalement Sergueï Sobianine – en poste - et le chef de l'opposition Alexeï Navalny, sera l'événement clé de cette journée de vote.
Tous les pronostics prédisent la victoire de Sobianine, allié de Poutine et ex-chef de l'administration présidentielle, avec une avance très confortable. Selon les commentateurs politiques, le résultat de Navalny sera pourtant intéressant puisqu'il montrera à quel point les Moscovites ne sont pas satisfaits par le président et sa politique.
"Le choix d'une grande partie des électeurs votant contre Sobianine ne visera pas l'administration de Moscou et le maire de la ville mais condamnera plutôt la politique du centre fédéral, déclare Boris Makarenko, président du Centre de technologies politiques. Les signaux venant de tout part en direction du Kremlin montrent qu'une importante partie de la population désapprouve la politique du président."
Le fait que Navalny puisse participer aux élections n'est pas un hasard. Selon les analystes, en acceptant sa participation les autorités cherchent à légitimer le vote à Moscou, où après les législatives de 2011 et la présidentielle de 2012 des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour protester contre la falsification des résultats au profit de Poutine et de ses partisans.
"L'élection municipale de Moscou vise à mettre fin aux protestations en montrant que, dans une ville devenue l'épicentre du mouvement protestataire, les autorités sont capables de remporter une victoire honnête", analyse le politologue Nikolaï Petrov. "L'élection montrera que le Kremlin peut non seulement remporter la victoire mais qu'il peut le faire en obtenant une majorité écrasante de voix", a-t-il déclaré.
Hormis Moscou, les élections des gouverneurs et des chefs de collectivités locales se tiendront dans 7 sujets de la Fédération de Russie, y compris la région de Moscou, l'Ingouchie et le Daghestan, où la situation reste instable.
Les élections directes des gouverneurs ont été supprimées sur l'initiative de Poutine après la prise d'otage de Beslan dans le Caucase du Nord en 2004 afin de renforcer le contrôle du centre fédéral sur les régions. Depuis, les gouverneurs étaient sélectionnés par les assemblées régionales parmi les candidats avancés par le président. Et en 2010 Sobianine a été nommé maire de Moscou en suivant précisément cette procédure.
Les élections directes des gouverneurs ont été rétablies en 2012 mais le Daghestan et l'Ingouchie y avaient renoncé. Conformément à la loi adoptée en avril, les assemblées locales avaient gardé le droit de nommer le gouverneur si les autorités craignaient que les élections directes déstabilisent la situation et entraînent des violences.
Moscou sous le feu des projecteurs
L'annonce de la tenue d'une élection à Moscou était une surprise. Bien qu'il lui reste encore deux ans de mandat, Sobianine a déclaré en juin 2013 qu'il démissionnait de son poste pour se faire élire par un vote direct.
"Les Moscovites veulent que l'élection se déroule aujourd'hui et non pas dans deux ou trois ans", a déclaré Sobianine dans une interview accordée à la radio Echo de Moscou fin août. "En fin de compte, j'ai compris que si je faisais constamment référence aux circonstances objectives, on commencerait à me prendre pour un lâche", a-t-il déclaré.
Cette décision inattendue a laissé peu de temps à ses adversaires potentiels pour organiser une campagne électorale valable, ce qui devrait assurer la victoire à Sobianine. D'après les sondages publics et indépendants, le maire sortant obtiendra plus de 50% des voix.
Navalny a donc fini par être l'unique adversaire réel de Sobianine et le seul à avoir été capable d'organiser une campagne dans le style occidental. Son rôle central dans le mouvement protestataire de Moscou lui a permis d'acquérir le statut de candidat original et authentique, et les autorités ont fait beaucoup d'efforts pour assurer sa participation à l'élection municipale.
En juillet Navalny a été reconnu coupable de fraude mais après une journée d'incarcération il a été relâché le temps de l'examen de l'appel, lui permettant de poursuivre sa campagne.
"Cela témoigne de la volonté du Kremlin de rendre le pouvoir plus légitime aux yeux de la population", a déclaré à RIA Novosti Alexandre Morozov, chef du centre d'études médiatiques UNIK.
La prévention des falsifications et l'absence d'intimidation des observateurs pendant la journée du vote sera un "grand pas vers des élections honnêtes", a ajouté Morozov.
Par ailleurs, les analystes affirment que la campagne électorale pourrait contribuer à la baisse de l'activité protestataire et montrer que l'opposition est incapable de remporter la victoire même lors d'élections "honnêtes".
Poutine y avait justement fait allusion à l'été 2012. Au cours d'une visite d'un camp de jeunesse pro-Kremlin au bord du lac Seliger, Poutine avait expliqué que l'adoption de la loi sur la diminution des exigences envers les partis pour participer aux élections était appelée à montrer aux organisations politiques dites "hors système" qu'elles ne sont pas soutenues par la population.
Jusqu'aux protestations de 2011-2012 organisées avec la participation d'Alexeï Navalny, le nom de ce blogueur et combattant contre la corruption populaire était pratiquement inconnu du grand public. La situation a changé.
La campagne électorale de Navalny a même été mentionnée par Poutine lors d'une interview diffusée mercredi dernier, où le président a remis en question les compétences politiques de cet opposant.
"Manier le thème de la lutte contre la corruption ne signifie pas qu'on est capable de gérer une ville de 12 millions d'habitants", a déclaré Poutine.
Bien que Navalny soit devenu le visage du mouvement protestataire moscovite, il pourrait perdre sa popularité et se retrouver en prison après l'élection. La confirmation de sa condamnation le priverait du droit de se présenter à l'élection et à exercer une fonction publique à l'avenir.