Tatarstan : Moscou calme le jeu

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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L’événement est passé relativement inaperçu hors des frontières de Russie. Le 17 avril dernier, Vladimir Poutine a nommé Kamil Samigoulline, 28 ans, à la tête de la Direction spirituelle des musulmans du Tatarstan.

L’événement est passé relativement inaperçu hors des frontières de Russie. Le 17 avril dernier, Vladimir Poutine a nommé Kamil Samigoulline, 28 ans, à la tête de la Direction spirituelle des musulmans du Tatarstan. Un choix qui a surpris à Moscou comme à Kazan.

Rappelons que le Tatarstan, république de la Fédération de Russie située sur les bords de la Volga, a connu, en 2012, de fortes tensions. Le 19 juillet, le mufti Ildous Faïzov, alors à la tête de la Direction spirituelle des musulmans du Tatarstan, était grièvement blessé lors d’un attentat à la bombe. Une heure plus tôt, son adjoint, Valioulla Iakoupov, était assassiné. Les autorités régionales, inquiètes des répercussions de ces événements sur l’Universiade qui doit se tenir à Kazan à l’été 2013, avaient d’abord privilégié la piste d’un règlement de comptes pour motifs commerciaux. Selon elles, la manne liée à l’organisation du Hadj suscitait bien des convoitises. Une version qui n’avait guère convaincu les connaisseurs de l’islam de Russie, pas plus d’ailleurs que les services de sécurité. D’ailleurs, le 24 octobre, deux islamistes étaient tués à Kazan lors d’une opération du FSB liée à l’enquête, tandis que les attentats de juillet étaient revendiqués par les « moudjahidines du Tatarstan ».

Faïzov a démissionné, le 6 mars, officiellement pour raisons de santé. De sources russes concordantes, son départ a également des raisons politiques. Entre sa nomination, en 2011, et les attentats de juillet 2012, le mufti et son adjoint s’étaient distingués par une grande intransigeance vis-à-vis de l’islam « non-traditionnel », c’est-à-dire la mouvance wahhabite ou présentée comme telle. Un conflit avait éclaté, au printemps 2012, autour de Ramil Iounoussov, imam de la grande mosquée Qol Sharif de Kazan. Faïzov avait cherché à le limoger, mais il s’était heurté à de fortes résistances et avait dû renoncer. Finalement, l’édifice avait été fermé pour cause de travaux, Iounoussov préférant quant à lui prendre du champ à Londres.

Cette ligne dure était soutenue par le « Centre », en particulier par les structures de force. Mais elle suscitait de nombreuses tensions sur place. De fait, Iounoussov et ses amis avaient le soutien du maire de Kazan, ainsi que de nombreux fonctionnaires et membres de l’élite tatare proches de l’ancien président, Mintimer Chaïmiev, toujours influent. Or le Kremlin veut absolument éviter tout ce qui pourrait, directement ou indirectement, fragiliser la stabilité du Tatarstan. Alors que l’on observe, au sein de la jeunesse tatare (y compris parmi les jeunes gens éduqués de la capitale), des signes de crispations identitaires vis-à-vis de la population slave,  un signal d’apaisement a été envoyé. Le nouveau mufti, qui a fait ses études au Daghestan et en Turquie, est présenté comme un homme ouvert au dialogue, bien que sans doute un peu plus conservateur que son prédécesseur.

Les récents changements à la tête de l’islam du Tatarstan doivent en tout cas être suivis de très près. Trois courants s’y affrontent depuis plusieurs années : l’islam « coutumier », pratiqué par les générations socialisées à l’époque soviétique ; l’islam « européanisé », prisé de certaines élites urbaines ; et l’islam « purifié », nourri d’influences étrangères. Le choix du jeune Samigoulline se veut un compromis. Il montre en tout cas que le Kremlin est conscient de la sensibilité du problème et sait faire preuve de plus de pragmatisme qu’on ne le pense en Occident.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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