Poutine : l’heure des choix

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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Presqu’un an après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, les grandes manœuvres politiques s’accélèrent à Moscou, sur fond d’incertitudes économiques grandissantes.

Presqu’un an après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, les grandes manœuvres politiques s’accélèrent à Moscou, sur fond d’incertitudes économiques grandissantes.

Trois événements importants ont eu lieu ces derniers jours : la « ligne directe » de Vladimir Poutine le 25 avril, une réunion le 22 avril à Sotchi autour du président et du Premier ministre sur la politique macroéconomique du pays et le compte-rendu de Dmitri Medvedev devant la Douma d’Etat le 17 avril. Ils donnent des indications précieuses sur le rapport de forces à Moscou et sur les priorités de la direction russe.

Le discours de Dmitri Medvedev devant les députés a confirmé la vertigineuse perte  d’influence politique du Premier ministre. Déconsidéré tant au sein du pouvoir que dans l’opposition, exclu de toute décision politique importante, Dmitri Medvedev continue de subir les coups du « parti du renvoi », coalition de poutiniens oeuvrant en coulisses pour obtenir la tête du Premier ministre. Hasard ou pas, la chaîne Lifenews, réputée proche du Kremlin, a diffusé, le 15 avril, des extraits d’une réunion restreinte  au cours de laquelle le président critique en des termes très vifs l’action du gouvernement. A ce stade, Vladimir Poutine n’a semble-t-il pas l’intention de renvoyer le cabinet Medvedev (ce qu’il a d’ailleurs redit lors la « ligne directe »), mais il met tout en œuvre pour le démoraliser et faire en sorte qu’un remaniement paraisse inéluctable - et naturel - à l’automne.

Désormais traditionnelle (il s’agissait de la 11ème édition), la « ligne directe » de Vladimir Poutine comportait cependant quelques éléments de nouveauté. L’émission, retransmise en direct à la télévision, n’était pas organisée sous forme de duplex avec la population de plusieurs villes du pays comme précédemment. Le Kremlin avait réuni plusieurs dizaines de personnes, dont certaines inattendues (Alexeï Koudrine) ou d’opposition (Alexeï Venediktov et Konstantin Remtchoukov, les rédacteurs en chef de la radio Echo de Moscou et du quotidien Nezavissimaïa gazeta). Vladimir Poutine a répondu à 85 questions en 4h47. Il s’est posé en rassembleur, soucieux de dialogue avec l’opposition « responsable », tout en veillant à marginaliser l’opposition « hors-système » (Navalny, Goudkov, etc). Sans surprise, Vladimir Poutine a mis l’accent sur les thèmes sociaux, les sujets politiques - rarement abordés - étant présentés comme ne préoccupant qu’une minorité (celle qui a manifesté fin 2011-début 2012). Vladimir Poutine a réaffirmé ses positions sur les ONG, Pussy Riot, le mariage gay et sur les relations avec l’Occident, sans toutefois faire preuve d’outrance verbale comme ce fut souvent le cas récemment.

La réunion de Sotchi intervenait quant à elle dans un contexte de brusque ralentissement de l’activité (la dernière prévision de croissance pour 2013 fait état de 2,4%, après 4,3% en 2011 et 4,4% en 2012) et alors qu’une lutte d’influence féroce fait rage au sein du pouvoir sur ce que devraient être les priorités macroéconomiques. Deux courants s’affrontent : d’une part, les libéraux, partisans d’une politique monétaire orthodoxe. Selon eux, la priorité va à la lutte contre l’inflation, les taux directeurs de la Banque centrale ne pouvant baisser que dans un deuxième temps. Cette position est incarnée par le président (sortant) de la Banque centrale, Ignatiev, ainsi que par le ministre des Finances, Silouanov. Alexeï Koudrine, invité à Sotchi, veille à ce que cette approche, qu’il a constamment défendue de 2000 à 2011, soit préservée. En face, on trouve les tenants d’une politique plus interventionniste : selon eux, l’Etat - qui dispose de moyens importants - doit stimuler la croissance par le biais d’investissements dans les infrastructures et le gouvernement doit contraindre la Banque centrale à mener une politique monétaire plus souple. Sergueï Glaziev, conseiller du président, dirige ce groupe qui inclut également les académiciens Nekipelov (proche d’Igor Setchine) et Grinberg.

Ces récents développements  interviennent dans un contexte marqué par la poursuite des attaques visant des oligarques libéraux (la fondation Skolkovo, dirigée par Viktor Vekselberg, a été perquisitionnée, tandis que Rosnano, que dirige Anatoli Tchoubaïs a fait l’objet de vives critiques de la Cour des comptes) et des opposants au régime (le procès d’Alexey Navalny a débuté à Kirov à la mi-avril). Le cas de Dmitri Livanov, ministre de l’Education, doit être suivi de près. Attaqué de toutes parts (communistes, Russie unie), il gêne surtout parce qu’il a entrepris de dévoiler les « fausses thèses » et autres cas flagrants de plagiat. Or la plupart des députés et hauts fonctionnaires ont, ces dernières années, soutenu de telles « thèses » écrites par d’autres. Il s’agit, avec la campagne anti-corruption, d’un autre levier efficace en vue du renouvellement des élites. Vladimir Poutine y est favorable, mais il n’est pas certain qu’il puisse aller jusqu’au bout, tant les intérêts en jeu sont sensibles, y compris pour son entourage.

Un an après son retour au Kremlin, il met en tout cas toutes les options sur la table. Des choix qu’il fera ces prochaines semaines dépendra l’orientation de sa nouvelle présidence.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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