L'Union eurasiatique: la forme et le contenu

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Le thème de l'unification dans l'espace postsoviétique sera, de toute évidence, le leitmotiv de la prochaine saison politique.

Le thème de l'unification dans l'espace postsoviétique sera, de toute évidence, le leitmotiv de la prochaine saison politique. Il s'agit avant tout du sort de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), qui se retrouve sous les feux des projecteurs en raison de la situation en Afghanistan et de son influence en l'Asie centrale. Après l'annonce par Tachkent de sa sortie de l'OTSC en juin dernier, beaucoup ont commencé à parler d'une crise au sein de l'alliance. Le refus de l'Ouzbékistan n'est pas fatal en tant que tel, ce pays a régulièrement bloqué tous les efforts pour approfondir la coopération militaro-politique et par conséquent, la situation sera plus simple dans un certain sens. Cependant, même sans Tachkent, l'OTSC a suffisamment de problèmes, dont le principal concerne l'absence de compréhension commune de ses principes de fonctionnement et des fondements pour une intervention militaire. En dépit des efforts entrepris pas la Russie au cours des deux-trois dernières années, la situation reste au point mort.

L'Union eurasiatique sera un autre thème des mois à venir. Premièrement, parce que Vladimir Poutine l'a lui-même déterminé comme prioritaire lors de son retour à la présidence. Son premier article de campagne publié en octobre 2011 portait précisément sur ce thème. Deuxièmement, l'intégration européenne rencontre de grandes difficultés, et dans les années à venir, il est clair que l'Union européenne ne pourra pas et ne voudra pas accorder de l'attention aux pays voisins à l'est. Autrement dit, les pays qui comptaient à long terme sur des relations institutionnelles avancées avec l'UE n'ont aucune chance d'y arriver. Dans les prochains mois, on assistera très certainement au début de la fragmentation de l'Europe en groupes de pays ayant divers droits et possibilités, ce qui signifierait la révision de certaines bases fondamentales d'intégration. Troisièmement, des élections se tiendront cet automne en Ukraine, et beaucoup de choses dépendent de leurs résultats. Elles entraîneront très probablement la poursuite de la détérioration des relations entre Kiev et Bruxelles, car l'Union européenne a laissé entendre depuis longtemps qu'elle ne considérerait pas les élections comme légitimes en l'absence d'Ioulia Timochenko. Ce qui signifie donc qu'après les élections, le gouvernement ukrainien devra encore plus sérieusement réfléchir à la direction à prendre. Les propositions russes pour une coopération étroite restent encore valables.

La situation pour le projet de l'Union eurasiatique évolue de manière plutôt favorable. Mais la question est de savoir dans quelle mesure cette idée est réfléchie et formulée suffisamment clairement pour devenir une construction porteuse en termes de réintégration de l'espace postsoviétique. Et beaucoup de nuances surviennent dans ce sens.

A commencer par le fait que l'appellation prête à confusion. L'idée de Poutine a particulièrement inspiré les adeptes de l'idéologie eurasiatique, selon laquelle la Russie représente une civilisation particulière et unique, opposée à l'Europe et ayant pour mission l'unification des immenses espaces de l'Eurasie. Cependant, d'après ce qu'on a pu entendre jusqu'à présent au sujet de l'Union eurasiatique, il n'y a aucune métaphysique dans l'esprit des philosophes-eurasiens russes du siècle dernier ou de l'idéologue contemporain de cette voie Alexandre Dougine (théoricien politique russe, patriote russe passionné, intellectuel et fidèle de la religion orthodoxe). Il est plutôt question d'emprunter aux approches européennes et de les adapter à l'espace postsoviétique moderne.

Dans le projet de l'Union douanière, qui devrait se transformer pour 2015 en Union eurasiatique, on ne parle pas du tout de l'Eurasie, mais d'un pays concret, situé en Europe – l'Ukraine. L'adhésion de Kiev apporterait un tout autre format à l'organisation. Les trois pays qui en font partie (Russie, Biélorussie, Kazakhstan) constituent un attelage intéressant, mais si l'Ukraine y adhère, avec son grand marché et une économie potentiellement forte et diversifiée – alors cela devient une structure conséquente dont tout le monde devra tenir compte. Quant aux étendues eurasiatiques et plus précisément l'Asie centrale, elles ne semblent pas vraiment intéresser les initiateurs du projet. Du point de vue économique, les candidats les plus plausibles (la Kirghizstan et le Tadjikistan) apporteront au moins autant d'ennuis que de dividendes. De ce fait, la composante eurasienne devrait se limiter pendant une longue période aux matières premières riches et potentielles du Kazakhstan.

D'autant qu'on indique constamment que l'Union eurasienne n'est pas une structure fermée, mais un élément du futur espace commun de Lisbonne à Busan, qui unira tous les marchés entre l'Europe et l'Asie-Pacifique. L'Union eurasiatique en tant qu'évolution de l'Union douanière est une entreprise appliquée. Son objectif consiste à élargir les marchés et à reconstruire les chaînes de production détruites après l'effondrement de l'URSS, et ce, grâce à la reproduction sur ce territoire des principes d'intégration européenne de la seconde moitié du XXe siècle. L'idée est tout à fait rationnelle et pourrait porter ses fruits.

Malheureusement, les architectes du projet n'en ont pas une image claire. Lorsqu'il existe un contenant sans contenu concret, il commence à se remplir de lui-même en absorbant ce qui flotte dans l'air. Or l'atmosphère en Russie est également emplie des restes de la rhétorique prosoviétique accompagnée par la nostalgie –sincère pour certains et artificielle pour d'autres – d'une superpuissance perdue. Les auteurs de l'Union eurasiatique n'ont pas de concept qui présenterait cette structure comme une forme moderne tournée vers l'avenir. Le tableau d'ensemble, que ce soit les valeurs communes des partenaires ou les intérêts géopolitiques qu'ils partagent tous, n'a pas pu être établi, et l'argumentation fait de nouveau référence aux souvenirs de la belle vie d'antan.

L'attendrissement sur le passé soviétique commun dans les autres anciennes républiques soviétiques n'est pas perçu de la même façon qu'en Russie. Il est clair que dans chaque pays postsoviétique, suffisamment de gens ont perdu beaucoup de choses en 20 ans et reviendraient avec plaisir à "l'âge d'or". Mais au fur et à mesure du vieillissement des générations, les gens qui se souviennent de cette époque sont de moins en moins nombreux. Et ces rêves ne seront certainement pas soutenus par la classe dirigeante d'un autre pays parmi les ex-républiques soviétiques – elle n'est certainement pas intéressée par sa propre délégitimation. Par ailleurs, la spécificité de l'intégration eurasiatique réside dans le fait qu'elle se construit davantage sur arrangements entre ses dirigeants que sa voisine européenne. Et il est inutile d'intimider les partenaires avec un retour au système antérieur de relations "centre – périphérie". D'autant plus que Moscou n'a pas l'intention de recréer un semblant d'Union soviétique, et l'ensemble des émotions et des arguments en ce sens sont précisément un remplissage aléatoire du vide idéologique avec les moyens du bord.

Si le projet d'Union eurasiatique se poursuivait, sachant que la volonté politique pour sa promotion est très forte, l'enveloppe pourrait être remplie avec un contenu plus concret, et les profits qui pourraient être tirés par ses membres pousseraient à la recherche d'une carcasse idéologique. Pour l'instant, l'Union eurasiatique est l'illustration d'une position intermédiaire de la conscience russe, qui provient clairement de l'ancienne matrice impériale, mais qui ne peut pas et ne veut pas encore l'admettre.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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