Interview accordée à RIA Novosti par Alexandre Choumiline, directeur du centre d’analyse des conflits au Proche-Orient de l’Institut des Etats-Unis et du Canada
Monsieur Choumiline, bonjour. Nous nous souvenons tous des événements du 11 septembre 2001. Selon vous, 10 ans plus tard, peut-on dire que le monde est devenu plus sûr et que la menace émanant du Moyen-Orient n’existe plus?
Pour l’instant, on ne peut pas dire que cette menace n’existe plus, car elle demeure et elle mute, mais le monde est, évidemment, devenu plus sûr. Les gouvernements et les services spéciaux, et la population occidentale et russe en général, ont déjà compris que le terrorisme était la principale menace, que les attentats étaient imprévisibles et pouvaient survenir n’importe où: dans le ciel, comme aux Etats-Unis, ou sous terre, comme dans le métro de Moscou. La vigilance de la population, la lutte des services spéciaux et des systèmes politiques contre le terrorisme porte ses fruits. On le voit très bien aux Etats-Unis où il n’y a aucun attentat. Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose de tous les pays occidentaux, ce qui s’explique par de nombreux problèmes liés à l’immigration. En Russie la situation est quelque peu différente: les terroristes sont souvent des ressortissants russes, mais ils sont alimentés depuis l’étranger, principalement par le Moyen-Orient, notamment par Al-Qaïda. Toutefois, à en juger par les rapports officiels du Service fédéral russe de sécurité (FSB) sur les attentats déjoués en Russie, la lutte contre le terrorisme dans ce pays est également efficace. Mais, bien sûr, la menace n’est pas totalement éliminée, il faut toujours être prêt, et c’est également valable pour les Etats-Unis où le niveau de menace terroriste était actuellement plus élevé en raison des manifestations de commémoration.
Après ces événements, les Etats-Unis ont adopté des mesures très strictes de sécurité, beaucoup parlent même d’Etat policier. Il est question des contrôles renforcés dans les aéroports, un régime de visas strict et bien d’autres, ce qui a permis de sécuriser la vie des Américains. Ce n’est pas le cas de la Russie où la menace terroriste existe et où la population ne se sent pas en sécurité. Les bouleversements au Moyen-Orient pourraient-ils aggraver la situation actuelle en termes de sécurité? Je m’explique. Nous constatons que les dirigeants de longue date qui se trouvaient à la tête d’un pays sont renversés, et que des extrémistes les remplacent. Autrement dit, la menace devient-elle plus grande?
C’est une large question. Evidemment, une telle logique est présente dans l’analyse des événements dans les pays arabes, mais rien n’est encore terminé et aucun pays n’a encore officiellement créé de nouveau gouvernement, les élections n’ont pas eu lieu et on ignore encore quelles forces politiques sortiront vainqueurs sur la scène politique. En Egypte l’armée continue à contrôler la situation en réfrénant des troubles d’un autre ordre que les précédents, en Tunisie pour l’instant la situation et calme, mais parfois on assiste à de légers troubles, avant tout en raison de la lenteur du gouvernement dans la mise en œuvre des réformes. Autrement dit, on ne peut pas encore affirmer que les portes sont désormais ouvertes au terrorisme car les anciens régimes n’existent plus. Nous pourrons le dire seulement quand nous aurons des preuves tangibles que les partisans non pas simplement des islamistes, comme les Frères musulmans en Egypte, mais bien des mouvements extrémistes associés à Al-Qaïda commencent à agir librement sur la scène politique. Malgré le chaos apparent, le contrôle en termes de surveillance des extrémistes demeure, mais le processus devient politique.
Mais alors d’où vient la menace terroriste?
La menace vient directement des mouvements radicaux qui, je le répète, sont liés à Al-Qaïda. Ils sont présents dans les rangs de l’opposition, notamment en Libye, cependant, le Conseil national de transition (CNT) et les pays occidentaux s’emploient à les neutraliser. Il n’en existe pratiquement pas en Egypte et ils sont totalement absents en Tunisie. Pour cette raison, pour l’instant il n’y a pas de signes que les radicaux ont obtenu une grande liberté d’action grâce à la vague révolutionnaire.
Pourrait-on trouver une solution à ce problème et éradiquer le terrorisme au Moyen-Orient, afin qu’il ne présente pas de menace pour la Russie et l’Occident?
Je pense qu’en cas d’évolution positive de la situation dans les pays arabes, les chances d’éradiquer l’extrémisme et le terrorisme augmenteront considérablement. En Egypte et en Tunisie, la population s’oppose fermement aux extrémistes, même les islamistes modérés sont difficilement tolérés. Et si les partis laïques arrivaient au pouvoir, les chances de vivre dans un monde plus sûr seraient plus grandes. Mais là n’est pas la question, car la menace provient d’Al-Qaïda comme d’un réseau ayant des centres loin en dehors des pays touchés par des révolutions, au Pakistan, en Afghanistan, ainsi que dans les montagnes du Yémen. Et ils continueront à se battre, y compris contre les nouveaux gouvernements, comme par exemple en Egypte où Al-Qaïda estime que les Frères musulmans ont trahi la cause de l’islam en prenant part au processus politique. On constate approximativement la même chose dans d’autres pays. Le radicalisme ne sera probablement pas exterminé, mais on peut espérer que la lutte contre les organisations extrémistes sera renforcée.
Quel rôle la Russie et les Etats-Unis pourraient-ils jouer dans cette lutte?
Les Etats-Unis jouent un rôle crucial dans cette lutte. A une époque, l’administration de George W. Bush avait exhorté les présidents d’Egypte, de Tunisie et de Libye à mettre en œuvre des réformes démocratiques, précisément dans le but d’empêcher ce qui s’est finalement passé. Les Etats-Unis voyaient dans la démocratisation un gage de modernisation de la société et de l’élimination de la tumeur terroriste. Cette politique était menée par Bush et est poursuivie de façon claire et cohérente par Barack Obama. La Russie avait également annoncé la nécessité d’aider les pays arabes à se débarrasser du terrorisme et de l’extrémisme, mais elle n’a fourni aucun effort concret à cet effet. Le soutien politique de Moscou aurait même suffi pour la dynamique positive dans ce sens, mais malheureusement cela n’a pas toujours été fait de manière cohérente: dans ce sens, les contacts [de la Russie] avec le Hamas vont à l’encontre de la politique annoncée de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, nous constatons deux approches de la Russie et des Etats-Unis. Dans l’ensemble, elles coïncident, à quelques détails près, notamment en ce qui concerne l’attitude envers le Hamas, qui est principalement liée à l’inertie de la politique antérieure.
Propos recueillis par Mikhaïl Goussev