Le démantèlement d'un réseau de casinos clandestins dans la région de Moscou a provoqué un séisme judiciaire qui pourrait se propager à la scène politique. C'est désormais le nom du procureur général de Russie, Iouri Tchaïka, qui est éclaboussé suite aux informations concernant l'implication de son fils dans cette affaire, révèle le journal Kommersant.
Une loi entrée en vigueur le 1er juillet 2009 interdit, à l'exception de trois zones, le fonctionnement d'établissements de jeux de hasard sur le territoire russe. La loi a rapidement été contournée grâce à la création de maisons de jeu au statut flou (du type "loterie") et d'établissements illégaux, ce qui n'était un secret pour personne. Au mois de février, le Service fédéral de sécurité (FSB) démantelait dans la région de Moscou un vaste réseau de casinos clandestins, qui dégageait 10 millions de dollars de bénéfices de par mois. L'opération avait débouché sur la saisie de milliers de machines à sous et sur l'interpellation du propriétaire du réseau, Ivan Nazarov.
En ces temps de lutte contre la corruption et de réforme policière, la satisfaction de la population fut malheureusement de courte durée: peu après l'opération, des fonctionnaires de haut rang du Parquet et de la police de la région de Moscou prenaient publiquement la défense de M. Nazarov. La stupéfaction a atteint son comble lorsqu'un porte-parole du parquet affirmait que le FSB et le Comité d'instruction (organe indépendant du parquet) avaient commis de "graves vices de procédure lors de la détention du suspect". Il affirmait en outre que les activités de ce dernier étaient légales, celui-ci détenant une licence en bonne et due forme pour réaliser des jeux de loterie.
La situation est rapidement devenue ubuesque: le parquet régional a contesté tous les chefs d'accusation contre le suspect. Après chaque libération ordonnée par le parquet, le FSB et le Comité d'instruction ordonnaient une nouvelle détention auprès du tribunal d'une des quinze villes où s'étendait le réseau. Le FSB et le Comité d'instruction d'une part, le Parquet et la police d'autre part, s'affrontaient par Nazarov interposé.
Les perquisitions réalisées par le FSB ont permis d'attester les liens entre Nazarov, le parquet et la police. Le suspect avait "acheté" une série de personnalités au sein de la police et du parquet, notamment en les envoyant en vacances tous frais payés dans des stations balnéaires à l'étranger pour plusieurs millions de dollars. Le FSB jouait une carte maîtresse en publiant une liste d'hôtels particuliers achetés pour différents fonctionnaires à une agence immobilière contrôlée par M. Nazarov. Une des perquisitions aurait même permis de découvrir des titres de propriétés au nom du magnat russe Boris Berezovski, recherché pour fraude fiscale et réfugié à Londres depuis 2001.
L'affaire a rebondi fin mars dans un tribunal de la ville de Serpoukhov, au sud de Moscou. Lors de l'examen d'un appel contre une énième annulation de poursuites contre Ivan Nazarov, un témoin s'est livré à des révélations sensationnelles. On apprenait notamment que l'intermédiaire entre le parquet et le businessman n'était autre qu'Artiom Tchaïka, le fils du procureur général de Russie Iouri Tchaïka.
Une bien mauvaise nouvelle, alors que le Comité d'instruction s'apprêtait à tenter sa dernière chance pour débloquer la situation: demander personnellement à M. Tchaïka (père) de revenir sur la fermeture de cinq dossiers pénaux contre M. Nazarov. Ce dernier a entre temps écrit une lettre au président Medvedev, dans laquelle il se présente comme un "simple commerçant de la ville de Pouchkino", devenu otage du conflit entre le Parquet et le Comité d'instruction….
La tension est si forte qu'un comité de la Douma (chambre basse du parlement russe), a décidé d'intervenir dans cette guerre des gangs qui a depuis longtemps acquis une résonnance nationale. "Malheureusement, derrière les échanges d'amabilités entre le Parquet général et le comité d'instruction, nous n'avons toujours par entendu la réponse à la question principale: pourquoi les casinos continuent de fonctionner presque légalement dans la région de Moscou, et pourquoi ils sont couverts par des fonctionnaires corrompus de tout niveau", s'interrogent les députés.
Si l'implication des politiques dans ce dossier est en mesure de débloquer une situation qui mine la crédibilité du système judiciaire russe, elle pourrait toutefois générer de nouvelles révélations, peut-être plus gênantes que les précédentes. Les Russes, quant à eux, observent le spectacle et se demandent quand les lois de leur pays seront enfin respectées.
La Russie à la croisée des chemins