Le 20 mars dernier, c’était la journée de la francophonie dans le monde. La francophonie c’est quelque chose. Pensez donc: près de 65 millions de Français, et on estime aujourd’hui le nombre de locuteurs réels du français dans l'ensemble des pays membres de l'Organisation internationale de la Francophonie à près de 250 millions.
Dans le Québec canadien, en Suisse Romande, à Monaco, en Wallonie belge, le français est la langue maternelle de la population. Dans les pays du Maghreb, c’est la seconde langue utilisée, et dans de nombreuses ex-colonies françaises d’Afrique sub-saharienne, le français est resté la langue officielle et administrative. En 2010, la langue française est la 8ème langue la plus répandue dans le monde par nombre de locuteurs, et c’est une des six langues de travail de l’ONU avec le mandarin, l’espagnol, l’arabe, l’anglais et le russe.
La langue française, jusqu’au 20ème siècle, a bénéficié d’une aura exceptionnelle à l’étranger et notamment en Russie. Dès la fin du 18ème siècle, sous l’influence d’Elizabeth 1ère, le français s’impose progressivement comme langue des courtisans. Pour la haute société de Saint-Pétersbourg, parler français était même devenu parfois plus naturel que parler russe. Cette prédominance de la langue française est par ailleurs présente dans toute l'Europe des lumières, puisque l'élite intellectuelle de nombreux pays (monarques, diplomates, femmes du monde, écrivains) s’exprimait généralement en français.
Malgré de nombreuses interdictions liées au rejet de la révolution française, l’empereur russe Paul Ier communiquait lui-même presque exclusivement en français. Au début du 19ième siècle, la langue française était encore très répandue dans la noblesse russe. Pouchkine, par exemple, parlait mieux français que russe, ce qui lui valu le surnom de Француз (“Le Français“).
Autre exemple: dans Guerre et Paix, le célèbre roman de Léon Tolstoï, l’un des personnages affirme que “même étant né en Russie, il pense en français“, car cette langue représente pour lui “la manière de parler mais aussi celle de penser“. Dans le courant de ce siècle, certains grands écrivains russes créaient leurs œuvres dans les deux langues, russe et français, puisque qu'ils parlaient français en famille, dès leur plus tendre enfance.
Jusqu’au début du 20ème siècle, le français était également la langue des diplomates. En 1905, le traité de paix russo-japonais fut, par exemple, rédigé en français. Pourtant, le 20ème siècle marqua le début du déclin de la langue française, déclin que les pessimistes affirment irréversible, en corrélation directe avec l’importance prise par la langue anglaise surtout depuis 1945. Malgré cela, l’attachement traditionnel et formel au français s’est prolongé durant le 20ème siècle en Russie, ou parler français était toujours la marque d’une éducation de bon niveau et aussi d’appartenance à une certaine élite.
Pour cette raison, de nombreuses familles soviétiques aimaient que leurs enfants parlent le français. Depuis la fin de l’Union Soviétique, la langue française n’a pas disparu en Russie, mais son influence s’est réduite. Elle est supplantée par l’anglais et l’allemand jugés plus utiles pour travailler. Au début des années 1990, selon les données du ministère russe de l’Education, 55% des écoliers apprenaient l’anglais, 34,9% l’allemand et 8% seulement le français, contre 20% dans les années 1960.
Autres chiffres, selon l’ambassade de France, qui bénéficie des données communiquées par le ministère fédéral de l'Education et de la science, il y avait en 2009 en Russie 410.000 personnes apprenant le français dans l'enseignement primaire et secondaire et 344.000 dans le supérieur, ainsi que 6.250 enseignants de français dans le primaire/secondaire, et 5.750 dans le supérieur. Ce déclin de l’apprentissage de la langue française touche malheureusement la Russie comme le reste du monde, sauf l’Afrique qui est en très forte expansion démographique.
Parallèlement, il y a aussi un recul de l’enseignement de la langue russe en France. Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France, confirmait cette baisse l’année dernière, durant l’année France-Russie. En 2008, 14.000 élèves apprenaient le russe en France dont 48% en 3ème langue, et 29% en 2ème langue. Il faut noter qu'en 20 ans, le nombre de ces élèves a diminué de 50%. L’effectif des enseignants baisse aussi et sur les 85 universités françaises, seules 22 proposent l’enseignement du russe, contre 25 en 2005, par exemple. Il y a environ 260 professeurs certifiés ou agrégés qui enseignent le russe aujourd’hui dans le secondaire français contre 487 en 1989.
Cette baisse de l’intérêt pour la langue russe en France s’explique sans doute en partie par l’image négative véhiculée par les médias depuis une douzaine d’années. Il faut pourtant rappeler que les perspectives économiques sont très encourageantes dans la zone russophone d’Eurasie, ce qui devrait inciter les Français à apprendre le russe mais également les Russes à apprendre le français. De nombreuses entreprises françaises, grandes et petites, sont en cours d’implantation en Russie et dans la zone russophone, mais il reste encore difficile de trouver, dans de nombreux domaines de l’activité économique, des spécialistes russes francophones ou des spécialistes français russophones.
Pour terminer sur une note positive, saluons ceux qui font vivre la langue de Molière jusqu’au bout de l’Eurasie. C’est le cas de la principale agence d’information multimédia russe, RIA Novosti qui dispose d’une version en langue française de son site internet et ce depuis 2000! L’agence s’adresse également depuis cette année en langue française aux lecteurs francophones sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter avec toujours la même logique: permettre de mieux comprendre la Russie d’aujourd’hui. Il est même désormais possible de discuter en direct avec les journalistes/traducteurs sur Facebook.
A une plus humble échelle, citons également le travail d’Olga, enseignante de français à l'Université pédagogique de Blagovechtchensk et également responsable du Centre de ressources en français. Depuis 2005, elle fait vivre avec son équipe la langue et la culture française en extrême orient russe, via un journal en français intitulé: “salut ca va“ ainsi que via “le blog des francais de l’amour“. Comme Olga le dit elle-même: “L’échange interculturel ne fait que renforcer l'intercompréhension de nos deux peuples et aide à mieux se comprendre. Le dialogue entre nos deux cultures apporte l’unique richesse qui compte, celle de l’esprit“.
Une belle initiative, à soutenir et sans nul doute, à reproduire.
"Un autre regard sur la Russie": Vers un redémarrage russo-japonais ?
"Un autre regard sur la Russie": Les enjeux de la bataille pour Tripoli
"Un autre regard sur la Russie": Le rôle de la Russie dans la journée de la femme
"Un autre regard sur la Russie": Tunis, Le Caire, mais pas Moscou!
"Un autre regard sur la Russie": Far-Est?
"Un autre regard sur la Russie": Couleurs de Russie
"Un autre regard sur la Russie": Féminité vs féminisme?
"Un autre regard sur la Russie": Des critiques malgré les bombes
"Un autre regard sur la Russie": Polémiques vestimentaires
"Un autre regard sur la Russie": Made in Russia
"Un autre regard sur la Russie": Divine Carélie
"Un autre regard sur la Russie": La démographie russe, objet de tous les fantasmes
"Un autre regard sur la Russie": Moscou, capitale de l'Europe?
"Un autre regard sur la Russie": Vladivostok, une ville au bout du monde
"Un autre regard sur la Russie": Rio Grande
"Un autre regard sur la Russie": Mistral gagnant
* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".