Pologne - Etats-Unis : le "jeu" des missiles Patriot

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Par Andrei Fediachine, RIA Novosti
Par Andrei Fediachine, RIA Novosti

Il semble bien que l'administration Obama s'apprête à tirer le meilleur parti du "compromis" consistant à ne pas déployer de nouveaux systèmes de défense antimissile (ABM) sur le territoire de la Pologne et de la République tchèque. Sous George W. Bush, la Maison Blanche entendait déployer dans ces pays, d'ici 2013, 10 missiles intercepteurs et une grosse station radar pour assurer, disait-elle, une protection en cas d'attaque de missiles en provenance de l'Iran. Ces projets ne sont pas abandonnés par le 44e président américain, mais ils sont en train d'être "revus" du point de vue de l'efficacité et de la nécessité effective du déploiement du bouclier antimissile, à l'aune, tout particulièrement, des dépenses à consentir.

Dans le langage de l'administration de la Maison Blanche, cette "révision" peut signifier tout aussi bien la volonté de renoncer bientôt à ces projets, que leur approbation totale ou un "entracte" destiné à préciser définitivement les avantages supplémentaires qu'il serait possible de tirer de l'abandon des projets de l'administration précédente. Et à préciser également les efforts financiers nécessaires pour obtenir ces avantages. Le récent voyage de trois jours effectué par le ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, à Washington témoigne que la troisième variante y est déjà à l'étude.

A l'issue de sa rencontre du 25 février avec la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, Radoslaw Sikorski a déclaré qu'indépendamment de la présence, ou de l'absence, de nouveaux missiles intercepteurs en Pologne, une batterie de missiles antimissiles Patriot (analogue aux systèmes russes de défense antimissile S-300) serait déployée en Pologne. Selon un accord conclu en août dernier sous le président George W. Bush, une batterie Patriot devrait être installée dans le Nord de la Pologne, près de Redzikowo, en Poméranie, à 4 km de Slupsk, où les Etats-Unis avaient l'intention d'installer des missiles intercepteurs.

C'est Varsovie elle-même qui avait le plus insisté sur l'installation de Patriot en Pologne. Selon l'accord intervenu, des missiles Patriot seraient transférés d'Allemagne "par rotation".

Il est significatif que toutes les informations selon lesquelles la décision aurait été définitivement prise de livrer des missiles Patriot à la Pologne ne proviennent, pour l'instant, que des Polonais. Le ministère polonais de la Défense a même déjà déclaré que des missiles Patriot seraient installés en Pologne "temporairement" jusqu'en 2013, et qu'ils s'y trouveraient en permanence après cette date. Après la visite du ministre polonais, cela n'a été ni confirmé, ni démenti par la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et le Pentagone.

Le déploiement aussi bien d'intercepteurs que du système de défense antimissile est avantageux pour les Polonais du point de vue financier. Varsovie obtiendrait presque 20 millions de dollars pour le "droit d'accueillir" sur le sol polonais la troisième zone de positionnement de la défense antimissile américaine et la modernisation de l'armée polonaise. Dans les conditions de la crise actuelle, c'est une somme importante.

Les Etats-Unis ont également d'autres raisons de continuer ce "jeu des missiles Patriot" et le jeu autour d'eux. Ils ont déjà laissé entendre qu'ils aimeraient obtenir, en échange de leur renoncement au déploiement d'un nouveau système de défense antimissile en Pologne et en République tchèque, l'accord immédiat de la Russie de réduire ses armements stratégiques offensifs de 80%, autrement dit de ramener le nombre des ogives nucléaires stratégiques à 1 000 pièces pour chacune des deux parties. La Russie a actuellement peu de raisons de se réjouir de cette proposition qui, du reste, n'est pas encore clairement formulée. L'Amérique mettant actuellement l'accent sur le renforcement de ses systèmes de défense antimissile et le passage aux missiles de croisière nucléaires à moyenne portée (jusqu'à 3000 km), Moscou ne juge pas utile de réduire le nombre d'ogives de ses armements stratégiques offensifs. Au contraire, la Russie modernise son "parc de missiles balistiques". Réduire le nombre d'ogives des armements stratégiques offensifs à la demande des Américains signifierait créer un déséquilibre des forces nucléaires, donner automatiquement aux Etats-Unis une supériorité très importante en ce qui concerne les vecteurs moyenne portée et la défense antimissile.

Tout système de combat, y compris celui de défense antimissile, déployé dans les régions (telle la Pologne) d'opposition des puissances nucléaires devient un instrument de géopolitique. Les missiles Patriot ne font pas exception à la règle. De plus, les Etats-Unis en ont aussi besoin en Pologne en tant qu'atout pour jouer la "carte iranienne". Le chef du Pentagone, Robert Gates, a déclaré presque sans ambages, dans une interview accordée à la mi-février au journal polonais Rzeczpospolita, que l'avenir tant du bouclier antimissile que des missiles Patriot en Pologne dépendrait directement de la position de Moscou à l'égard de l'Iran. Si la Russie accepte le point de vue américain, fait pression sur Téhéran et occupe une position plus rigide, en l'obligeant à renoncer au développement de son programme nucléaire, le déploiement du bouclier antimissile et, par conséquent, de missiles Patriot en Pologne ne sera plus nécessaire. Mais il est peu probable que la Russie y consente. Elle a déjà achevé la construction de la première tranche de la centrale nucléaire de Bouchehr et s'apprête à conclure des contrats en vue de poursuivre la coopération dans ce domaine. "Faire pression" sur Téhéran signifierait perdre des contrats.

La Pologne, au demeurant, n'a pas besoin d'installer des missiles Patriot sans déploiement du système d'intercepteurs balistiques américains. Elle est déjà suffisamment bien protégée, sans eux, par les systèmes antimissiles de l'OTAN.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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