Des S-300 en échange d'un sanctuaire à Jérusalem?

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Par Andreï Mourtazine, RIA Novosti
Par Andreï Mourtazine, RIA Novosti

La récente visite du premier ministre israélien Ehud Olmert à Moscou s'est tenue, pour ainsi dire, "à huis clos". Les dirigeants des deux pays ont prononcé quelques phrases d'ordre général conformes au protocole et aucun commentaire n'a suivi la rencontre. Ce n'est pas étonnant, car, bien avant l'arrivée du premier ministre israélien à Moscou, la Russie et Israël s'étaient entendus sur les priorités de ces négociations. Parmi les principaux sujets, le service de presse du Kremlin a cité la situation au Proche-Orient et les questions relatives à la coopération économique bilatérale. Le quotidien Haaretz, qui a commenté la récente réunion du cabinet israélien, a souligné que l'objectif principal de la visite était de persuader Moscou de renoncer aux contrats sur la livraison de missiles aux pays hostiles à Israël. De l'avis du gouvernement israélien, les prochaines livraisons de missiles russes S-300 à l'Iran et à la Syrie "perturberaient l'équilibre militaire stratégique au Proche-Orient".

Le premier ministre israélien n'est pas arrivé à Moscou les mains vides. Il apportait la décision du cabinet israélien de transmettre à la Russie la métochie Saint-Serge située au centre de Jérusalem et qui fut construite à la charnière des XIXe et XXe siècles aux frais de la Société orthodoxe impériale de Palestine. Avant 1917, les pèlerins russes qui se rendaient en Terre sainte y étaient logés. Israël a fait un autre geste de bonne volonté: Tel-Aviv a renoncé à sa coopération militaire avec la Géorgie, ce qui lui a fait perdre des contrats portant sur la livraison d'armes et la formation des militaires géorgiens évalués à plusieurs millions de dollars. Enfin, Israël a annulé le régime des visas pour les voyages réciproques des citoyens russes et israéliens. De l'avis d'Israël, tout cela devrait inciter la Russie à revoir ses accords sur les livraisons de moyens de DCA ultramodernes à l'Iran et à la Syrie.

D'après des sources militaires russes, l'Iran possède actuellement 10 systèmes de missiles de DCA S-200 et 6 systèmes de missiles S-300, de vieux modèles secrètement achetés à la Biélorussie au milieu des années 90.

En ce qui concerne la Syrie, elle dispose de missiles S-200 et de chasseurs intercepteurs Mig-25 et Mig-31. Cependant, la présence de ces armes n'a pas empêché les avions israéliens de pénétrer sur le territoire syrien le 6 septembre 2007, de bombarder un "ouvrage militaire secret" dans le Nord-Est de la Syrie et de revenir sans avoir essuyé aucune perte.

Ce n'est pas un secret qu'au fur et à mesure de la détérioration des rapports russo-américains ces dernières années, la Russie a intensifié sa coopération avec l'Iran dans les domaines énergétique et militaire. Ainsi, au cours de sa visite à Téhéran en octobre 2007, Vladimir Poutine avait promis d'achever la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr. Moscou a maintes fois défendu Téhéran face aux dures sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU, mais l'Iran a accueilli cette politique russe comme allant de soi et non avec gratitude.

Israël craint le transfert de systèmes russes de DCA à l'Iran. Comme l'a récemment souligné le quotidien Kommersant, en 2006 l'Iran avait déjà reçu 29 systèmes de missiles de DCA Tor-M1 et, en 2007, 1.200 missiles correspondants. Mais ce que Tel-Aviv redoute le plus, c'est le contrat sur la livraison à l'Iran de 5 systèmes de missiles S-300 PMU-1 qui pour l'instant n'a été que paraphé par les parties. Ces missiles de DCA pourraient être un moyen très efficace de lutter contre les avions occidentaux modernes.

D'après les données du quotidien Kommersant, la Russie a l'intention de vendre à la Syrie, au cours de la période 2008-2010, 36 autres systèmes de DCA: des Pantsir S-1.

Durant toute la période postsoviétique, la Russie a toujours appliqué dans sa politique proche-orientale un principe de sécurité égale pour Israël et les Arabes, ce qui signifie dans le langage diplomatique une "approche équilibrée". Cependant, ces deux dernières années, au fur et à mesure de l'accroissement des contradictions russo-américaines (tout d'abord, en raison du déploiement d'éléments du système de défense antimissile américain (ABM) en Pologne et en République tchèque), ainsi qu'en réponse à l'intention de Washington d'élargir l'OTAN en y admettant l'Ukraine et la Géorgie, Moscou a commencé à revoir son "approche équilibrée" en faveur des Arabes et de l'Iran. C'est alors que la coopération russo-iranienne et russo-syrienne s'est intensifiée dans le domaine militaire. Cependant, il n'était pas encore question de livrer des missiles S-300 à Téhéran et à Damas.

Logiquement, la Russie aurait pu jouer la carte anti-américaine et anti-israélienne en réponse aux actions de l'Occident en Géorgie: l'armement du régime fantoche de Saakachvili. Mais c'est un jeu très dangereux. L'Iran, que la Russie qualifie de "partenaire régional stratégique", méprise ostensiblement toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU qui l'invitent à arrêter l'enrichissement de l'uranium et à réduire son programme nucléaire.

Le but de Téhéran est évident - devenir une puissance nucléaire régionale - et il se rapproche de plus en plus de celui-ci. D'après le renseignement militaire israélien, l'Iran pourrait créer sa première ogive nucléaire vers 2010-2012. Rien ne garantit que les dirigeants actuels de la république islamique, qui ont promis de rayer de la surface de la Terre l'Etat sioniste d'Israël, n'emploieront pas leur futur arsenal nucléaire dans ce but.

Ce scénario n'intéresse nullement la Russie. Moscou est prêt à respecter ses engagements concernant la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr et les livraisons à l'Iran de combustible pour celle-ci, mais le projet des dirigeants iraniens de produire du combustible nucléaire dans leur pays n'arrange ni la Russie, ni l'Occident.

Autrement dit, la Russie se trouve de nouveau face à un dilemme: répondre comme il se doit à Israël en armant ses ennemis, ou bien accepter les "présents d'Olmert" (métochie Saint-Serge à Jérusalem) et reporter de nouveau sine die les livraisons d'armes à Téhéran et à Damas.

Comme toujours, le Kremlin garde le silence, du moins ce fut le cas aussitôt après les négociations avec Ehud Olmert. Mais, même si Moscou donne son "feu vert" pour la vente de systèmes modernisés de missiles S-300, leur construction dans les entreprises militaires russes, ainsi que la formation de spécialistes iraniens prendraient au moins un an et les Etats-Unis et Israël auraient alors largement le temps de porter un coup préventif aux sites nucléaires de l'Iran, comme ce fut le cas en Irak en 1981.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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