JO: la politique entre dans le stade

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Par Grigori Melamedov, pour RIA Novosti
Par Grigori Melamedov, pour RIA Novosti

Les Jeux olympiques de Pékin n'ont pas encore commencé qu'ils sont déjà parmi les plus politisés de ces dernières décennies. Bien entendu, un boycott des JO par les grandes puissances mondiales, même après les événements survenus en mars au Tibet, était peu probable. Le président du Comité international olympique (CIO) Jacques Rogge, les dirigeants des grandes puissances, notamment les présidents de la Russie et des Etats-Unis, se sont prononcés contre cette initiative. Le fait est que la Chine occupe une place très importante, tout le monde a besoin d'elle en tant que partenaire économique et, sur le plan militaro-politique, personne ne veut se quereller avec Pékin. On peut être certain que les autorités chinoises assureront parfaitement le maintien de l'ordre pendant les Jeux et que toute mesure répressive, si elle s'avère nécessaire, sera soigneusement cachée aux étrangers.

D'ailleurs, le refus de participer aux Jeux olympiques de Pékin pour des raisons politiques serait absurde: certes, le régime chinois ne peut être qualifié de démocratique, et la situation concernant le Tibet est pour le moins incertaine, mais, au moment où la décision d'organiser les JO dans ce pays a été adoptée, la situation était déjà la même qu'aujourd'hui. Pourquoi changer brusquement d'attitude envers Pékin? Et si certains pays agissent tout de même de cette manière, il est certain que la Russie ne figurera pas parmi eux.

La politisation des Jeux olympiques ne pourra être évitée pour une autre raison: les émigrés chinois, y compris les partisans de l'indépendance du Tibet, ainsi que leurs sympathisants parmi les citoyens des pays occidentaux poursuivront leurs actions de protestation. La police devra réagir, certaines personnalités s'efforceront de profiter de l'occasion pour acquérir un capital politique, et pendant ce temps, les médias commenteront naturellement tout cela. Il faut s'attendre à ce que les grandes chaînes de télévision du monde complètent chaque sujet sportif en provenance de Pékin par des informations sur les troubles qui se produiront dans les villes européennes et américaines.

L'apparition de jeux politiques autour de compétitions sportives, en particulier les Jeux olympiques, n'est pas un phénomène nouveau. Dans certains cas, les initiateurs en sont les autorités du pays organisateur. Le premier exemple, le plus éloquent, reste les Jeux olympiques de Berlin sous le régime d'Adolf Hitler. Dans d'autres cas, la politisation provient de l'extérieur, ou bien d'adversaires du gouvernement à l'intérieur même du pays: des séparatistes, ou des terroristes. Ce fut le cas en 1992 à Barcelone et en 1972 à Munich. Le plus souvent, les impulsions intérieures et extérieures se combinent, comme par exemple au cours des Jeux olympiques de Moscou en 1980 et de ceux de Los Angeles en 84. Après la fin de la guerre froide, la tendance à politiser les Jeux olympiques s'est réduite, et on n'a plus vu de cas de boycott de la part de la moitié des pays de la planète.

Mais malheureusement, il existe des facteurs négatifs dont les effets s'accentuent un peu plus à chaque fois. Premièrement, étant donné que les Jeux olympiques se transforment de plus en plus en show d'envergure planétaire, la signification du moindre incident désagréable survenant au cours des JO est forcément amplifiée. Un petit piquet organisé par une poignée d'extrémistes politiques lors des Jeux peut être repris par les journaux du monde entier. A un autre moment, personne ne prêterait attention à ces manifestants. C'est donc une motivation supplémentaire pour tous ces trouble-fêtes.

Deuxièmement, il est difficile de ne pas partager l'avis des experts qui estiment que le sport de haut niveau se transforme de plus en plus en compétition entre apothicaires, chimistes, médecins et consortiums géants travaillant tant pour l'industrie du dopage que pour l'industrie de la lutte contre le dopage, s'il est toutefois possible de distinguer les deux. Le nombre de scandales liés au dopage autour des champions olympiques et autres médaillés ne cesse de croître, mais l'opinion publique est encline à voir dans chaque cas un problème politique, un préjudice causé aux intérêts de son pays, ou les intrigues d'un concurrent. Surtout si le pays qui gagne est en concurrence aussi en dehors des terrains de sport.

La réduction de la confiance envers le CIO et les fédérations de certains sports est à placer parmi les conséquences de la commercialisation des Jeux olympiques. Ainsi, après les JO d'hiver de Salt Lake City, les médias russes se sont presque tous mis à accuser les organisations sportives internationales d'être pro-américaines. Même les Russes éloignés du monde sportif pensent souvent que, si les Jeux olympiques se tiennent sur le Vieux continent, ils seront dans l'ensemble honnêtes, et que l'on peut être sûr du contraire s'ils ont lieu en Amérique.

Enfin, la jonction du sport et de la politique se manifeste en ce que le droit d'accueillir les Jeux olympiques est désormais considéré non seulement comme la reconnaissance mondiale des capacités du pays choisi en matière d'organisation et du développement de ses infrastructures, mais aussi comme la confirmation de la justesse de la politique appliquée par ses autorités. Le prestige de Vladimir Poutine s'est certainement accru lorsque la candidature de Sotchi a été retenue pour les JO d'hiver de 2014. D'une part, tout a été fait dans les règles: en effet, la visite éclair du président russe à la réunion du CIO et son brillant discours prononcé en plusieurs langues ont produit une forte impression sur les délégués. D'autre part, il faudrait être bien naïf pour ne pas y déceler une action publicitaire. Ce que, d'ailleurs, personne n'a contesté.

Il s'avère que chaque nouvelle édition, ou presque, des Jeux olympiques "contribue" un peu plus à la politisation des JO en tant que tels. Les JO de Pékin apporteront-ils leur pierre à ce phénomène? Malheureusement, il est fort probable que oui.

Le fait est que le problème du statut du Tibet n'est pas seulement ethnique et politique, mais également religieux. Jusque-là, les Jeux olympiques avaient au moins été épargnés par les passions religieuses. Même les membres de l'organisation "Septembre noir" qui avaient tiré sur les sportifs israéliens à Munich (1972) n'étaient pas des fanatiques religieux, mais des terroristes "laïques". A présent, on assiste à l'apparition d'un dangereux précédent, même si le bouddhisme et le lamaïsme ont acquis, depuis des siècles, l'image d'une doctrine absolument inoffensive et pacifique.

D'ailleurs, la composante religieuse devait faire partie, tôt ou tard, de la politique tournant autour du sport. Peut-on arrêter ou ralentir ce processus? On voudrait, bien entendu, faire preuve d'optimisme, mais cela paraît impossible.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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