En France, selon les derniers sondages, la socialiste Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, se retrouve en tête des candidats à la présidentielle de 2007. La lutte qui l'opposera à Nicolas Sarkozy, candidat de la droite, promet d'être rude, mais ses chances sont assez élevées. La presse parle désormais du "phénomène Ségolène". Tout porte à croire, néanmoins, que la popularité de Ségolène Royal s'explique moins par ses convictions socialistes ou son charisme - plus évident que celui de ses collègues du parti, dont son compagnon François Hollande, - que par son appartenance au sexe faible.
En effet, Ségolène Royal n'a rien à voir avec tous ces hommes dont on a par-dessus la tête, quelles que soient leurs convictions. Faut-il donc s'étonner que cette quinquagénaire appartenant à la bourgeoisie de gauche, mère de quatre enfants et ancienne ministre, se soit hissée au Top-10 des femmes les plus sexy du monde dressé par le magazine FHM?
Les différences de sexe deviennent un important avantage concurrentiel électoral. Pour reprendre la formule de Simone de Beauvoir, le "deuxième sexe" se substitue au premier dans tout ce qu'il y a de plus masculin, la politique. En France, c'est le "phénomène Ségolène"; aux Etats-Unis, on voit grandir la popularité de Hillary Clinton et de Condoleezza Rice. Que dire alors d'Angela Merkel, l'une des personnalités politiques les plus influentes du monde? En Russie, les interrogations se multiplient également sur l'éventualité de voir une Ségolène Royal russe intervenir dans la politique, encore considérée comme une affaire d'hommes sans scrupules.
Selon un sondage réalisé par FOM, 54% des Russes n'excluent pas qu'une femme soit élue à la tête de l'Etat. Dans le paysage politique russe, il n'y a, à proprement parler, que deux femmes: Valentina Matvienko, gouverneure de Saint-Pétersbourg et ancienne vice-première ministre chargée des questions sociales, et Irina Khakamada, ténor de la droite et ancienne ministre des PME. Les autres personnalités, telle Lioubov Sliska, première vice-présidente de la Douma (chambre basse du parlement russe), ou Ella Pamfilova, chef de la commission pour les droits de l'homme auprès du président, semblent moins attrayantes sur le plan électoral. La première incarne la militante soviétique type, au ton ferme, les cheveux rassemblés en un chignon ringard; la seconde a atteint le sommet de sa popularité à la fin des années 1980, à l'époque de la "perestroïka". Il y a encore un type absolument nouveau, celui de leader des jeunes, auquel correspond plus au moins Maria Gaïdar, fille de l'architecte des réformes de marché Egor Gaïdar. Mais on voit mal jusqu'où peut monter la popularité d'un tel leader, plus présent sur le web ou dans les manifestations de rue.
Avec Valentina Matvienko, tout est sérieux. Elle dispose d'un réseau de relations qui lui a permis de se mettre à la tête de la deuxième ville de Russie. Difficile de juger si les efforts qu'elle déploie au poste de gouverneur sont efficaces. Typologiquement, elle appartient plutôt à cette catégorie de femmes soviétiques engagées dans la lutte pour la paix, les droits de la mère et de l'enfant, mais on ne trouve pas d'autres personnalités politiques du "deuxième sexe" qui soient aussi visibles et promues par les autorités.
Irina Khakamada dispose d'une cote de popularité moins élevée que celle de Valentina Matvienko: 1% contre 4%, selon les données du centre Vtsiom, du centre Levada et de FOM. Son image de marque est tissée de plusieurs éléments: "self-made woman" qui n'a rien de soviétique, libérale affirmée, entrepreneuse, fonctionnaire et femme du monde. C'est le seul leader de l'opposition libérale issue des années 1990 à bénéficier d'une quelconque cote de confiance ou électorale (1%). A la dernière élection présidentielle, sa candidature a recueilli 3,8% des voix. Si Irina Khakamada avait à sa disposition des leviers administratifs, si elle pouvait s'offrir une bonne campagne médiatique et si son image de marque était associée moins à la chronique mondaine qu'à la politique réelle, elle aurait de bonnes chances dans la lutte pour la magistrature suprême.
Bien entendu, Irina Khakamada ne sera jamais soutenue d'en haut. Par contre, on évoque de plus en plus souvent Valentina Matvienko comme candidate "de rechange", voire principale candidate du Kremlin à la succession de Vladimir Poutine.
On le murmurait encore en 2003, quand sa campagne électorale de Saint-Pétersbourg était perçue par beaucoup comme la répétition d'une campagne présidentielle. Mais on l'a vite oublié, et ce n'est qu'aujourd'hui que cette hypothèse ressurgit. Même si le facteur sexe n'est pas un avantage électoral en Russie, en raison de la culture et des traditions politiques russes, l'appartenance au beau sexe, avec en renfort des leviers administratifs efficaces, pourrait s'avérer d'un grand secours. L'électeur moyen russe s'intéresse moins au contenu des programmes des candidats qu'à leur image et à leur charisme. Une gestionnaire agressive, mi-soviétique mi-moderne, a peut-être des chances de trouver un accueil chaleureux auprès de l'électorat, quoi qu'elle dise de la politique ou de l'économie.
Ainsi, la Ségolène Royal russe ressemble peu à son prototype français. En effet, le leader de la course politique féminine pourrait à peine se hisser au Top-10 des femmes les plus sexy du monde. Mais cela n'a pas beaucoup d'importance pour la Russie où d'autres qualités sont appréciées. La femme russe, disait le poète, ne craint pas d'arrêter un cheval au galop ni de se jeter dans une maison en feu. Les autres caractéristiques féminines semblent moins demandées. En tout cas, pour l'instant.