Opposition France-Turquie: «un jeu de miroir malsain entre Macron et Erdogan»

© REUTERS / Eric Feferberg/PoolEmmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan
Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan - Sputnik Afrique
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Le Conseil européen a tranché ce 11 décembre: la Turquie sera sanctionnée, mais a minima. Pourtant, la France demande depuis des mois une politique plus musclée face à Ankara. Une approche que Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et spécialiste de la Turquie, juge dépourvue de vision stratégique.

Dans la nuit du 10 au 11 décembre, le Conseil européen a finalement décidé de sanctionner la Turquie. Pourtant, aucune punition d’envergure, comme des sanctions économiques ou diplomatiques, n’a été prise par les chefs d’État de l’Union européenne à l’encontre de la Turquie d’Erdogan et de sa politique agressive, notamment en Méditerranée orientale. Un camouflet pour Emmanuel Macron. Le Chef d’État français, qui appelait à de véritables sanctions contre Ankara, n’a pas été suivi par l’ensemble de ses homologues.

«On voit bien qu’au sein de l’Union européenne, il y a des partisans du bras de fer, incarnés par Emmanuel Macron, expression qu’il a utilisée lui-même en arguant du fait qu’Erdogan ne comprenait que le langage du rapport de forces», constate pour Sputnik Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

Si les positions des décideurs européens ne sont pas toutes connues en détail, celle de la chancelière Angela Merkel a toujours été de ménager la puissance turque.

«Nous avons une autre position, incarnée par la chancelière Merkel, qui depuis des mois, de façon très opiniâtre, cherche tous les moyens pour tenter de parvenir à un compromis entre la Turquie et la Grèce et plus largement avec l’UE.»

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Deux positions «véritablement incompatibles», donc. En effet, au-delà des liens démographiques et économiques entre Berlin et Ankara, l’Allemagne considère que la défense européenne doit avant tout s’appuyer sur l’Otan, dont la Turquie est un élément crucial.

Sanctions contre la Turquie: fracture franco-allemande

L’unanimité trouvée lors de ce Conseil européen masque donc une fracture européenne. La décision finale fait pourtant quelques heureux, notamment l’Espagne, la Pologne, Malte et dans une moindre mesure l’Italie, qui ont toutes des intérêts importants avec la Turquie. En effet, si des sanctions européennes avaient été décidées, elles n’auraient pu être que contreproductives, selon le directeur adjoint de l’IRIS, qui «ne croit pas que cela serait favorable aux intérêts européens.» Et au-delà des bénéfices que tire l’UE d’une bonne relation avec la Turquie, ce sont les intérêts de la France qui sont aussi en jeu:

«Je pense qu’Emmanuel Macron a pris une très mauvaise direction et plus il en rajoutera moins nous serons efficaces», pense-t-il avant d’ajouter: «Il y a un jeu de miroir malsain entre Macron et Erdogan.»

A contrario, l’approche allemande serait plus sage: «la position de Merkel est beaucoup plus mesurée, mais en même temps beaucoup plus efficace. Efficace, pas dans l’immédiat, et son travail est ingrat, parce qu’on ne voit pas ses résultats tout de suite. Mais il faut être patient et se projeter sur le moyen terme.»

«Mesurer le temps», une qualité indispensable dans les relations internationales, selon Didier Billion. Mesurer l’espace, aussi, tant la brouille immédiate entre l’UE et Ankara n’entraînerait pour lui que le rejet de la Turquie «dans les bras de la Russie ou plus lointainement vers la Chine.»

Sanctions sans vision, une impasse?

Mais alors, quelles réponses donner aux politiques agressives de Recep Tayyip Erdogan, qui déploie son armée ou ses supplétifs de la Syrie au Haut-Karabakh et de l’Irak à la Libye? N’a-t-il pas contraint ses adversaires au rapport de forces?

«Ce rapport de forces, je ne suis pas contre à partir du moment où on a un objectif stratégique bien déterminé. C’est-à-dire: quelle est à terme la politique que nous voulons développer à l’égard de la Turquie? Or là-dessus, il y a un grand vide. Il n’y a pas de vision stratégique de la part de l’Union européenne prise comme organisation globale. On navigue à vue.»

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Sans vision précise, la confrontation que prône la France serait donc une erreur, tranche Didier Billion. Bien sûr, notre interlocuteur ne manque pas de préciser qu’«il ne s’agit pas de passer sous les fourches caudines de Recep Tayyip Erdogan sur certains dossiers.» Mais la confrontation et l’affrontement verbal qui semblent diriger les rapports franco-turcs ne sont pas la solution la plus adéquate:

«La rupture n’est pas impossible, mais quel serait l’intérêt de la France de rompre avec la Turquie? […] Opérer des ruptures au niveau des contrats économiques? Il y a bon nombre d’industriels français qui ont des intérêts en Turquie, qui ne regardent pas cela d’un bon œil. On peut toujours gonfler ses muscles, on peut toujours en rajouter dans la rhétorique, mais ce n’est pas la bonne méthode.»

Illustration de ces tribulations, l’appel au boycott des produits français lancé par le Président turc le 26 octobre avait amené Paris à rappeler son ambassadeur, Hervé Magro. Mais une semaine plus tard, le diplomate reprenait son poste sans l’ombre d’une solution. Tout porte à croire qu’il en sera de même sur le volet économique. En effet, si la France oblige ses entrepreneurs à quitter le territoire turc, ses concurrents –notamment européens– récupéreraient ses parts de marché. Emmanuel Macron semble donc disposer d’un éventail étroit de solutions pour contrer les politiques de Recep Tayyip Erdogan.

Et sans doute en restera-t-il ainsi tant qu’une vision stratégique qui envisage la relation franco-turque et turco-européenne sur le long terme ne sera pas élaborée.

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