"Nous ne pouvons pas continuer à être des esclaves dans notre pays [...]. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir dans le cadre de la loi pour garantir que nos voix soient entendues. L'oppression de Chevron est [ancrée] dans le pays Itsekiri", a déclaré à Sputnik Afrique Collins Edema, ancien président de la NAIG et unique représentant de l'Olu de Warri (roi du royaume de Warri) auprès de la Nigerian National Petroleum Corporation.
Un accès restreint à l’emploi
Plusieurs raisons alimentent le mécontentement du peuple Itsekiri. Tout d’abord, le groupe embauche des locaux en tant que "stagiaires" et non en tant que titulaires, leur versant moins de 10 dollars par jour. Et ce, malgré le fait qu'ils effectuent le même travail que les salariés de l'entreprise qui, eux, sont rémunérés presque dix fois plus, explique M.Edema.
Qui plus est, à l'issue de la formation, les Itsekiri continuent à travailler avec des contrats de stagiaires, au lieu d’être mutés vers des contrats standards avec des salaires plus élevés, signale l’ancien responsable de la NAIG.
Pour défendre les intérêts de ses membres, la NAIG a déposé une plainte auprès du gouvernement nigérian. L’exécutif a condamné les pratiques de l'entreprise et exigé que des contrats normaux soient conclus avec les "stagiaires". Cependant, la compagnie a ignoré cette demande.
"Ils les ont maintenus dans une situation d'esclavage alors qu'ils étaient qualifiés et qu'ils effectuaient les mêmes tâches que leur personnel. Le président de la commission de la Chambre des représentants a critiqué Chevron et lui a demandé de leur accorder des contrats en bonne et due forme. Jusqu'à ce que nous parlions, ils ne leur ont donné qu'un contrat médiocre, où ils sont payés juste un peu plus que ce qu'ils gagnaient auparavant", a poursuivi M.Edema.
Marginalisation des employés Itsekiri
En 2014, en lançant une nouvelle usine, Chevron a recruté en secret des personnes originaires d’autres régions du pays, alors que les Itsekiri n'ont pas eu la possibilité de postuler.
Or, la loi de 2010 sur le développement des réserves pétrolières et gazières au Nigeria impose à toutes les compagnies pétrolières du pays d’octroyer une "part raisonnable" d'emplois aux membres des communautés d'accueil, précise M.Edema.
Responsabilité sociale négligée
En plus d’emplois, les entreprises internationales ont d’autres obligations à l’égard des communautés locales. Elles doivent fournir aux populations tout ce dont elles ont besoin pour vivre décemment: électricité, eau potable, installations médicales, emploi et formation professionnelle, énumère Ben Eburajolo, président du NAIG.
Chevron a "failli à toutes ses responsabilités sociales d'entreprise", a affirmé le patron de l’Association. Il n'y a pas de bonnes écoles, pas d'installations médicales, pas d'eau potable et les gens ne sont pas employés dans la région d'Itsekiri, a-t-il ajouté.
"La communauté d'accueil doit occuper 60% de postes. Je ne vois pas pourquoi Chevron prendrait un droit qui nous appartient et le donnerait au monde extérieur. Je l'appelle le monde extérieur parce qu'une fois qu'il quitte la communauté, cela devient le monde extérieur", a-t-il insisté.
Une approche néocoloniale
Exploiter des ressources et ne rien donner en retour relève du néocolonialisme, déplore Collins Edema. Chevron ne cherche qu'à gagner de l'argent au Nigeria et ne se soucie pas de la population locale.Toutefois, dans d’autres pays où l'entreprise est implantée, elle affiche une attitude contraire. En fait, ce sont des pays européens.
"Le siège de Chevron à San Ramon [ville de Californie, États-Unis] ne s'intéresse qu'aux bénéfices qu'il tire du Nigeria, et non au bien-être de la communauté [...]. Nous ne partageons aucune partie des bénéfices qu'ils tirent de la vente du pétrole dans notre pays [...]. Alors oui, les entreprises occidentales pratiquent probablement une autre forme de néocolonialisme dans cette partie du monde", a déclaré M.Edema.
Faire face à l’injustice
Pour contrer ce genre de comportement, les Africains devraient faire bloc, prône M.Edema:
"Je pense que la première chose à faire est d'unir l'Afrique. Malheureusement, même si nous avons l'UA, l'Afrique n'est pas vraiment unie [...]. L'Afrique doit vraiment bannir la discrimination. Il faut éviter l'égoïsme et la cupidité".
Ben Eburajolo, à son tour, reproche aux dirigeants africains et au gouvernement nigérian en particulier de ne pas "se lever et défendre [leurs] citoyens contre ces compagnies pétrolières internationales".
"Nos dirigeants ne devraient pas rester les bras croisés et nous regarder, nous, citoyens, être réduits en esclavage, être marginalisés et les entreprises s'en tirer à bon compte", a-t-il déclaré.
Cette inaction du gouvernement et des dirigeants africains est en fait la raison pour laquelle les habitants ont commencé à lutter pour leurs droits de leur propre chef, a poursuivi le patron de la NAIG.
"Nous voulons prendre notre destin en main en mettant fin à l'oppression de Chevron Nigeria Limited [...]. Nous avons été asservis pendant trop longtemps, maintenant que nous sommes libérés des maîtres coloniaux", a affirmé M.Eburajolo.
Les deux responsables ont fini l’entretien en faisant savoir à la communauté internationale que les Itsekiri allaient se battre pour leurs droits en utilisant des moyens pacifiques et légaux.
"Je veux que le monde sache que le peuple du royaume de Warri a été asservi, marginalisé et opprimé par les compagnies pétrolières occidentales. Nous ferons tout ce qui est dans le cadre de la loi pour obtenir ce qui appartient légitimement à la nation Itsekiri du royaume de Warri", a conclu M.Eburajolo.