Halidou Tinto est le seul Africain parmi les dix personnalités scientifiques reconnues par le magazine britannique Nature comme ayant marqué 2023. Directeur de l'Unité de recherche clinique de Nanoro au Burkina Faso, il est à l’origine de recherches pour un vaccin contre le paludisme.
Dans un entretien avec Sputnik Afrique, il parle des enjeux de la lutte contre le paludisme en Afrique et évoque quels défis les pays africains doivent relever pour contrer la fuite des cerveaux et combler le retard technologique médical du continent.
Son entrée dans la liste du Nature lui donne un sentiment de satisfaction.
"Savoir que vos travaux sont reconnus au-delà du Burkina, au-delà du continent africain, ça veut dire que vous impactez d'une façon ou d'une autre la santé des populations et c'est cela qui me rend vraiment très fier", confie Halidou Tinto.
Vers la lutte contre le paludisme
Pourquoi ce pharmacien de formation a-t-il choisi la lutte contre le paludisme? Pour sentir que son travail "a un impact sur la population": "Je me suis dit que je devais m'intéresser à une maladie qui est un problème endogène en Afrique".
Et le paludisme, maladie infectieuse propagée par la piqûre de certaines espèces de moustiques anophèles, reste le quotidien d’une immense partie des populations africaines.
Éliminée en Europe, le paludisme "persiste et continue de faire beaucoup de victimes" en Afrique, constate le scientifique. Par exemple, au Burkina Faso, où il vit et travaille actuellement, en 2022, il y a eu 12 millions de cas pour une population de 20 millions. Cela se traduit par environ 5.000 décès, soit l’équivalent du nombre total de morts du Covid-19 depuis le début de l’épidémie au Burkina, avance-t-il.
"C'est cela qui m'a motivé à me dire qu'en tant qu'Africain, j'ai le devoir de m'engager pour mener des recherches sur le paludisme afin d'aider mon continent à résoudre ce problème qui a un impact très négatif sur le développement économique", indique Halidou Tinto.
Vers l’idée du vaccin contre le paludisme
Au début, il s’est orienté vers la résistance aux médicaments des parasites du genre Plasmodium, qui provoquent le paludisme. Depuis des années, la chloroquine a été utilisée de façon très efficace pour traiter cette maladie. Actuellement, explique le chercheur, ce traitement ne marche plus, car le parasite a commencé à développer une résistance contre celui-ci.
Ensuite, il renoue avec la pensée qu’il faut trouver une vaccin:
"Toutes les grandes pandémies du monde ont été vaincues grâce à la vaccination, est-ce qu'il n'est pas temps que je m'intéresse à cette question de la vaccination qui va permettre de prévenir la maladie?".
En 2009, il supervise les recherches cliniques en Afrique pour le groupe pharmaceutique GSK, qui avait mis au point le premier vaccin contre le paludisme, le RTS S.
Clinique créée à partir de zéro
Halidou Tinto a grandi à Abidjan, en Côte d'Ivoire, mais a poursuivi ses études professionnelles dans différents pays. Après avoir fait sa thèse en Belgique en 2006, il décide de retourner au Burkina Faso où il y fonde, en 2009, l'Unité de recherche clinique de Nanoro pour continuer ses recherches sur le vaccin anti-paludique.
"Et je l'ai créée à partir de zéro parce qu'il n'y avait pas d'électricité, Il n'y avait pas de bâtiments, il n'y avait rien", se rappelle-t-il.
La fondation de Bill et Melinda Gates a financé la mise en place du centre médical à Nanoro. Quant aux autorités burkinabés, elles ont électrifié le village.
Ce projet était risqué mais "c'était une folie assez positive qui valait la peine d'être essayée", confirme-t-il.
Les résultats du travail de la clinique sont impressionnants: actuellement, au-delà des RTS,S, la plateforme a été mise en place à Nanoro, permet de tester le vaccin anti-paludique de deuxième génération, R21, qui protège à 75%.
"Je me suis dit que j'étais beaucoup plus utile en Afrique qu'aux États-Unis"
Le chercheur a décidé de ne pas accepter l’offre de travail avancée en 2003 par une université américaine, et voici comment il justifie cette décision: "Aujourd'hui, quand on prend les États-Unis, il y a suffisamment de chercheurs qui ont les mêmes qualités que moi, peut-être beaucoup sont aussi bien et même à un niveau plus élevé".
"Moi, en allant aux États-Unis, en tant qu'Africain, je ne peux pas avoir un impact visible aux États-Unis […]. Alors je me suis dit que j'étais beaucoup plus utile en Afrique qu'aux États-Unis et c'est ce qui m'a motivé à revenir", explique M.Tinto.
Comment l’Afrique peut rattraper son retard technologique
Pour rattraper son retard en termes d'innovation et de technologie, le continent africain devra "investir beaucoup de ressources dans la formation, pas seulement la formation, mais la formation de qualité", avance le scientifique.
"Ce qui nous manque en Afrique, on n'a pas encore une masse critique de chercheurs, de scientifiques formés à un très bon niveau, de très bonne qualité, qui puissent être bilingues, parler à la fois l'anglais, le français, parce qu'il faut pouvoir être compétitif", explique Halidou Tinto.
"Notre objectif, ce n'est pas d'avoir une assistance permanente des scientifiques occidentaux, y compris la Russie, mais c'est de faire en sorte qu'un transfert des technologies soit fait de ces pays", conclut-il.